Benjamin Netanyahou: un portrait sans censure

Région
09.10.2019

A l’occasion des élections législatives israéliennes anticipées d’avril 2019, l’historien du Proche Orient Jean Pierre Filiu publie un essai à charge sur le Premier ministre Benjamin Netanyahou. Il y dresse le portrait d’un homme ambitieux, marqué par un populisme agressif et dont la façon de gouverner son pays menace en permanence la démocratie. Ce livre est avant tout une réaction aux propos du Premier ministre israélien tenus le 20 octobre 2015 lors du congrès sioniste mondial à Jérusalem. À la veille d’un déplacement à Berlin, B. Netanyahou attribuait la responsabilité intellectuelle de l’holocauste au grand mufti de Jérusalem, Amine al Husseini, reçu par Hitler fin 1941.

Par Tigrane Yégavian

L’historien tente de comprendre les raisons qui ont poussées le Premier ministre israélien à relayer un tel mensonge et pourquoi tente-t-il d’exonérer en partie la responsabilité nazie de la solution finale. Ce que reproche l’auteur à Netanyahu c’est d’avoir détourné son pays du projet de ses pères fondateurs, de vouloir réécrire l’histoire du peuple juif et par ricochet le récit national israélien. Pour ce faire, J. P. Filiu retrace le parcours de celui que l’on surnomme familièrement « Bibi » et l’importance des liens tissés entre son père et Zeev Vladimir Jabotinsky (1880-1940), chef de file du sionisme révisionniste, père spirituel du Likoud et de la droite dure, inspirateur de l’Irgoun, groupe terroriste juif à l’époque de la Palestine mandataire. Outre une vision révisionniste et ultra radicale du sionisme, son père historien lui a transmis une vision pessimiste de l’histoire du peuple juif, perçue comme une succession d’holocaustes, relativisant ainsi le caractère unique de la Shoah.

Au pouvoir à deux reprises (1996-1999 et depuis 2009), Netanyahou est en passe de dépasser le record de longévité détenu par Ben Gourion, fondateur de l’Etat d’Israël. Le jeune Benjamin a su tirer profit de la gloire de son frère aîné Jonathan, membre comme lui des forces spéciales de Tsahal et mort au cours d’une opération de libération d’otages à Entebbe en Ouganda en 1977. De là date une obsession vis-à-vis du terrorisme international et d’un discours qui n’a rien à envier à celui des néoconservateurs américains les plus va-t’en guerre.

Pour B. Netanyahu, seul compte le rapport de force et œuvrer au maintien de la judéité de l’Etat d’Israël, comme l’a montré en juillet 2018 le vote à une courte majorité d’une loi fondamentale à valeur constitutionnelle faisant d’Israël le « foyer national du peuple juif ». Ce texte ne mentionne pas une seule fois le terme « démocratie » et qui supprime le statut officiel de la langue arabe parlée par 20% de la population israélienne.

Ce qui caractérise Netanyahou est, outre l’influence des idées révisionnistes de son père, la violence qu’il a introduit dans le débat politique israélien. Après avoir successivement évincé deux figures de l’histoire du pays, les généraux Yitzhak Rabin et Ariel Sharon, il a entretenu un climat de haine qui a favorisé en novembre 1995 l’assassinat de Rabin. Ses victoires politiques, il les doit en grande partie à ses soutiens auprès de la droite dure des États-Unis, pays qu’il connaît intimement pour y avoir passé une grande partie de son enfance et avoir représenté Israël aux Nations Unies. Bénéficiant de moyens conséquents, il parvient à révolutionner la communication politique en renversant l’ordre établi, en « américanisant » la vie publique en privilégiant l’invective, la polarisation et une forme d’hystérisation au débat d’idées.

L’auteur s’intéresse également aux relations de plus en plus tendues ente « Bibi » et la diaspora juive, en particulier celle des États-Unis, connue pour son penchant démocrate et progressiste. En cela, il demeure fidèle à l’héritage idéologique de Zeev Jabotinsky, qui disait qu’il fallait « se débarrasser de la diaspora avant qu’elle ne se débarrasse de nous », en faisant allusion au caractère inexorable de l’assimilation. De sorte qu’à mesure que la diaspora est marginalisée dans les calculs de Netanyahou, assiste-t-on à une montée en puissance de la mouvance sioniste évangélique venant des États-Unis, très liée à l’administration Trump et à l’origine du déplacement de l’ambassade états-unienne de Tel-Aviv à Jérusalem. La victoire au Brésil de Jair Bolsonaro, adepte du sionisme chrétien, le conforte dans cette orientation stratégique

Au plan international « Bibi » est parvenu à aligner Washington sur ses positions et a multiplié des alliances avec des dirigeants populistes en se rapprochant de Viktor Orban en Hongrie et de Matteo Salvini en Italie avec lesquels il partage un rejet en bloc de l’immigration ainsi qu’une commune aversion pour le philanthrope Georges Soros, accusé de vouloir imposer le « multiculturalisme ». Concentrant à lui seul un grand nombre de portefeuilles ministériels, il est sensible aux thèses prônées par les dirigeants illibéraux et n’hésite pas à détourner la mémoire de la Shoah à des fins politiciennes, allant jusqu’à dédouaner les Polonais d’une quelconque responsabilité dans le génocide.

Ayant opéré un basculement du centre de gravité de la politique israélienne vers la droite dure et l’extrême droite, fort du soutien des colons, Netanyahou fait fi des multiples affaires de corruption et d’abus de confiance qui le concerne. Mais si « Bibi » a gagné la bataille des idées en Israël, il n’est pas condamné à durer éternellement comme le montrent les sondages majoritairement défavorables à son maintien au pouvoir.

https://www.youtube.com/watch?v=uXRAi16AJrw

https://www.msn.com/fr-fr/finance/other/jean-pierre-filiu-la-ressource-principale-de-netanyahou-cest-la-peur/vi-BBTcooF

http://www.france-palestine.org/Main-basse-sur-Israel-Netanyahou-et-la-fin-du-reve-sioniste-Jean-Pierre-Filiu

Jean-Pierre FILIU, Main basse sur Israël. Netanyahou et la fin du rêve sioniste, La Découverte, 224p. 16 €.