Luis Moreno Ocampo : « Les prisonniers arméniens sont des otages »

Actualité
11.11.2023

À Paris ce 10 novembre, Luis Moreno Ocampo, ancien et premier procureur général de la Cour Pénale Internationale, a appelé à la libération immédiate et sans condition des 55 « otages » arméniens détenus en Azerbaïdjan ainsi qu'à la fin du soutien militaire israélien au régime de Bakou.

 

Luis Moreno Ocampo, publiait le 7 aout dernier un rapport édifiant intitulé "Génocide contre les Arméniens en 2023" sur le processus génocidaire mis en œuvre par l'Azerbaïdjan pendant le blocus du corridor de Latchin. Il est intervenu ce vendredi au cours d'une conférence de presse organisée par Anne Hidalgo à l'hôtel de ville de Paris. Le 10 décembre prochain, à l'occasion de la Journée internationale des droits de l'homme, cette dernière remettra aux représentants des Arméniens d'Artsakh la citoyenneté d'honneur de la ville de Paris.

 

Luis Moreno Ocampo :

« Le massacre des Arméniens en 1915 et l'Holocauste ont déclenché l'adoption en 1948 de la Convention sur le génocide. Malheureusement, en 2023, six conflits en cours pourraient être considérés comme des génocides, y compris contre les Arméniens et les Juifs. Pour les deux communautés, "plus jamais ça" n'est pas qu'une métaphore.

Les méthodes et le nombre de victimes varient, mais dans tous ces cas, des groupes ethniques sont ciblés pour être détruits, pour reprendre les mots de la Convention : les Masalit au Darfour, Tigréens en Éthiopie, Rohingyas au Myanmar, Arméniens au Haut-Karabakh, Israéliens victimes du Hamas et Palestiniens bloqués à Gaza.

Les attaques du Hamas, les plus importantes après l'Holocauste, sont un génocide car elles visent à détruire les Israéliens. En réponse, un blocus total illégal de Gaza a été annoncé par le ministre de la défense d'Israël, Yoav Gallant. « Nous assiégeons complètement Gaza... Pas d'électricité, pas de nourriture, pas d'eau, pas de gaz ». Les otages du Hamas, le blocus et les meurtres de civils palestiniens ont déclenché un débat mondial, mais aussi des réactions hostiles et des campagnes antisémites et islamophobes dans les médias sociaux.

Face au retour du tribalisme, Anne Hidalgo nous invite tous à choisir un camp : celui des victimes. Elle prend l'initiative de protéger 55 Arméniens en captivité sous le régime du président Aliyev. Certains d'entre eux sont des dirigeants politiques, d'autres d'anciens soldats, d'autres encore sont simplement des personnes qui se sont trouvées au mauvais endroit au mauvais moment, mais tous sont des victimes de génocide et des otages du président Aliyev.

Ces otages ont besoin d'une protection internationale parce qu'il n'y a pas un seul juge azerbaïdjanais qui les libérerait, personne ne peut contredire le président Aliyev. Dans son rapport 2022 sur les droits de l'homme, le département d'État américain mentionne que l'Azerbaïdjan n'a pas de système judiciaire indépendant et que les prisonniers sont torturés et tués.

Pourquoi ces 55 personnes sont-elles victimes de génocide ?

L'article II de la Convention sur le génocide en définit cinq formes différentes. L'une d'entre elles - le point "c" - ne requiert pas de meurtres effectifs. Il a été adopté à la suite d'une proposition française : « si un groupe quelconque était soumis à des rations si courtes qu'elles rendraient son extinction inévitable, simplement parce qu'il appartenait à une certaine nationalité, race ou religion, ce fait relèverait également de la catégorie des crimes génocidaires ».

Depuis décembre 2022, l'Azerbaïdjan a bloqué le corridor de Lachin, seul lien entre l'Arménie et les Arméniens de souche vivant dans le Haut-Karabakh, créant ainsi les conditions nécessaires à la destruction du groupe, conformément à l'article II-c de la convention.

En outre, l'attaque militaire lancée par l'Azerbaïdjan le 19 septembre contre le Haut-Karabakh a produit le préjudice moral décrit à l'article II-b. Après le blocus et les bombardements, la quasi-totalité des 120 000 Arméniens se sont enfuis, quittant leurs terres ancestrales. C'est la première fois en mille ans qu'il n'y a plus d'Arméniens au Haut-Karabakh.

Les 55 Arméniens sont des otages car leur incarcération est un message à leur communauté : si vous revenez au Haut-Karabakh, vous serez affamés, humiliés ou tués. Leur captivité est l'aboutissement d'un génocide.

Pourquoi est-il important de qualifier ce crime de génocide ?

Le nettoyage ethnique est une description courte et frappante , mais n'entraîne pas de conséquences juridiques. En revanche, le risque de "génocide" déclenche l'obligation pour les 153 parties à la Convention de « prévenir et de punir » le génocide (article I).

La punition viendra. L'Arménie est devenue un État partie au Statut de Rome il y a quelques jours, et la Cour pénale internationale pourrait maintenant décider d'enquêter sur le président Aliyev. Mais la priorité doit être donnée à la prévention, à l'arrêt du génocide.

Les intérêts géopolitiques des États affectent leur devoir de prévention. Des États ont délibérément nié des génocides pour échapper à leurs obligations. La reconnaissance du génocide arménien de 1915 a été bloquée pendant un siècle par des intérêts géopolitiques. Le déni permet aux diplomates et aux politiciens de se concentrer sur les avantages géopolitiques. Le déni est le pétrole qui a facilité tous les génocides.

Mais le déni brouille l'analyse des menaces actuelles de l'Azerbaïdjan d'attaquer les Arméniens en Arménie. Le déni a permis au président de la Commission européenne de serrer la main du président Aliyev et de le considérer comme un partenaire fiable et digne de confiance. Fiable et digne de confiance. Le déni permet à Israël de devenir le principal fournisseur d'armes d'un régime génocidaire.

La maire de Paris, Anne Hidalgo, fait aujourd'hui quelque chose de très important : elle contribue à mettre fin au déni du génocide. Elle n'a pas d'armée, mais elle construit quelque chose de nouveau pour créer un ordre mondial : un réseau de villes libres reliées à des autorités nationales et régionales telles que le Parlement de l'Union européenne, représenté par M. Bellamy, pour protéger les droits de tous les citoyens du monde. Les Palestiniens, les Israéliens, les Rohingyas, les Tigréens, les Arméniens, les Darfouris, tous doivent être protégés.

Permettez-moi de conclure :

Les 55 otages doivent être libérés immédiatement et sans condition, les Arméniens doivent retourner dans le Haut-Karabakh, la Commission européenne doit écouter le Parlement européen et empêcher un génocide, et Israël doit cesser de soutenir le régime azerbaïdjanais ».