Qui a besoin d’un ministère de la Diaspora ?

Diasporas
14.02.2019
Une vague de manifestations a mobilisé les Arméniens du monde entier avant même que les rumeurs sur la fermeture du ministère de la Diaspora ne soient confirmées. Journalistes, intelletuels et dirigeants de partis politiques au sein de la Diaspora ont exprimé leur mécontentement quant à cette décision. De modestes manifestations ont eu lieu à Erevan, mais aussi à l’étranger, comme en Syrie. Si une minorité manifestait contre le démantèlement du ministère, la majorité l’a fait contre la manière avec laquelle la décision a été prise : sans consulter les représentants de la Diaspora. D’un trait de plume, un dirigeant d’Erevan a créé voici dix ans le ministère de la Diaspora, tout comme il vient de mettre fin à son existence. Ici, du moins, nous n’observons pas de révolution au sein de la culture politique qui prévaut à Erevan depuis l’indépendance.

 

Par Viken Cheterian, journaliste et pollitilogue 

Par quoi sera remplacé le ministère de la Diaspora ? Difficile à dire. Qu’adviendra-t-il des projets titanesques de Pachinian, dont un rapatriement massif et attirer des investissements de la part de la Diaspora ? Pas de réponse à ce stade. L’appareil administratif de l’ancien ministère sera probablement transféré vers un nouveau ministère, comme celui des Affaires étrangères, ou quelque autre unité administrative. L’élimination du ministère va placer la question des relations entre Arménie et diaspora à un niveau politique inférieur.

La dissolution du ministère de la Diaspora constitue une reconnaissance tacite de l’échec de la politique antérieure d’Erevan vis-à-vis d’elle.

La dissolution du ministère de la Diaspora constitue une reconnaissance tacite de l’échec de la politique antérieure d’Erevan vis-à-vis d’elle. Cet échec ne concerne pas seulement la politique de Serge Sarksian de ces dix dernières années – durant lesquelles le ministère de la Diaspora fut mis en place pour renforcer les relations avec les communautés arméniennes à l’étranger – mais aussi l’échec de la politique de la République vis-à-vis de la Diaspora sous l’autorité du premier président, Lévon Ter-Pétrossian, et du second président, Robert Kotcharian. Politiques sur le mode du “Filez-nous du blé et n’intervenez pas dans notre politique” ou de rencontres de présidents avec des “people” de la Diaspora, prenant des photos avec eux. Laquelle mission consistant à rencontrer des personnalités de la Diaspora et à sourire face aux objectifs fut ensuite dévolue à la ministre en charge de la Diaspora, Heranouche Hakopyan.

Les signaux en provenance d’Erevan depuis la révolution n’inspirent guère confiance quant à la possibilité d’un quelconque changement d’importance. A nouveau, l’on a l’impression que les nouveaux dirigeants d’Erevan nourrissent de grandes ambitions qu’ils pensent réaliser grâce aux ressources de la Diaspora. Mais Erevan est-elle prête à écouter ou à investir des ressources permettant à celle-ci de mener à bien de tels projets ? L’annonce de Pachinian lors d’un de ses discours en décembre dernier où il déclarait que grâce à la révolution, “nous avons effacé la frontière entre la Diaspora et l’Arménie” révèle à nouveau une profonde incompréhension quant à l’essence de la Diaspora. Il y a une nécessité impérieuse de repenser la nature des relations entre deux partenaires différents, sans pour autant feindre que ces deux entités très différentes n’en fassent qu’une seule. L’Arménie en tant qu’Etat, et la Diaspora en tant que pluralité d’espaces, d’organisations et d’identités sociales, ne sauraient être réduites à des slogans politiques. Dès lors que la révolution est clairement victorieuse, doit-on encore s’abreuver de slogans ?  

Un quart de siècle après la création de l’Arménie comme Etat souverain, il n’est plus besoin de slogans vides de sens. L’urgence – sans cesse abandonnée – est à la capacité de penser le type de relations que l’Arménie doit nouer avec les communautés en diaspora, susceptibles de bénéficier aux deux parties.

Un quart de siècle après la création de l’Arménie comme Etat souverain, il n’est plus besoin de slogans vides de sens. L’urgence – sans cesse abandonnée – est à la capacité de penser le type de relations que l’Arménie doit nouer avec les communautés en diaspora, susceptibles de bénéficier aux deux parties. Une telle stratégie pourrait se fonder sur une compréhension sociologique des relations dynamiques entre les deux, des défis auxquels elles sont confrontées et de la meilleure façon d’investir à partir de ressources limitées. En 25 ans, beaucoup d’événements ont eu lieu sous la forme de congrès Arménie-Diaspora, mais seule une tentative pour repenser les choses : une manifestation organisée par la Fondation Gulbenkian à Lisbonne en 2014, demeurée sans lendemain.

Les dirigeants politiques d’Erevan ne portent qu’une responsabilité secondaire dans l’état désastreux des relations Arménie-Diaspora. Ils les ont conçues à sens unique : les ressources des communautés de la Diaspora au service de l’Arménie. Le fait que des responsables politiques d’Arménie n’aient vu dans la Diaspora que des ressources au service de leurs projets est tout naturel. Les politiques réagissent aux pressions, et les dirigeants d’Erevan réagissent aux besoins de leurs circonscriptions. Bien que la Diaspora soit l’atout maître de l’Arménie, et qu’il faille l’appréhender dans sa dimension stratégique, les politiques ont néanmoins tendance à fonctionner à court terme, réagissant aux nécessités immédiates. Ce qui explique pourquoi, depuis 1991, l’Arménie manque encore d’une vision bilatérale de la Diaspora.

Ce qui manque dans l’équation Arménie-Diaspora c’est la voix de la Diaspora.

Ce qui manque dans l’équation Arménie-Diaspora c’est la voix de la Diaspora. Mais celle-ci se fait-elle entendre ? Qui la représente ainsi que ses communautés ? L’Eglise apostolique arménienne ? Les trois partis politiques arméniens traditionnels ? L’Union générale arménienne de bienfaisance (UGAB) ? Autant d’institutions traditionnelles qui ont renoncé à penser les défis auxquels sont confrontées les communautés arméniennes au profit plus commode de “l’aide à l’Arménie.” Qui est en charge de la politique de la Diaspora, qui la représente ?

Seule une Diaspora consciente de son identité politique peut amener un tel changement. Changement positif suite à la révolution de 2018, le fait que les Arméniens de la Diaspora ne suivront plus aveuglément la ligne politique d’Erevan.

La révolution en Arménie a le potentiel d’y ouvrir la possibilité d’une culture politique nouvelle ainsi que parmi les Arméniens. Le potentiel existe aussi de revoir l’état calamiteux des relations Arménie-Diaspora. Or Erevan ne saurait introduire un changement radical dans cette relation. Seule une Diaspora consciente de son identité politique peut amener un tel changement. Changement positif suite à la révolution de 2018, le fait que les Arméniens de la Diaspora ne suivront plus aveuglément la ligne politique d’Erevan. Les manifestations organisées par des journalistes et des acteurs politiques en diaspora visant la décision prise unilatéralement par Pachinian de supprimer le ministère de la Diaspora pourraient bien être une première – bien que timide – étape vers l’instauration d’une relation véritablement bilatérale Arménie-Diaspora. 

Traduction : © Georges Festa pour France Arménie - 01.2019