En Arménie, une jeunesse amoureuse du français

Arménie francophone
09.11.2018

L’Arménie compterait environ 10 000 locuteurs francophones sur trois millions d’habitants. Si l’anglais a pris le pas sur le français, il n’en demeure pas moins que beaucoup de jeunes décident d’apprendre la langue de Molière. Certains par amour de la culture, d’autres par pragmatisme.

Par Ani Paitjan

En déambulant dans les rues d’Erevan, des mots en français apparaissent discrètement sur les façades de bâtiments: “Café La Bohème”, “Le café de Paris”, “Baguette & co”, “La Boulangerie de Paris”, “Jean-Paul, café existentialiste”, des restaurants pour la plupart mais aussi, plus inattendu, un salon de coiffure, “Chez Lulu”. En tendant l’oreille, on perçoit aussi du français dans la bouche des Arméniens avec le traditionnel “merci” utilisé à tout va. Et puis des mots comme “chef-d’œuvre” ou “avant-garde” sont prononcés en faisant rouler les "r".

Le centre arménien des statistiques Armstat recense environ 10 106 francophones, dont 10 056 seraient des Arméniens de souche. D’autres sources affirment que 200 000 locuteurs ou locuteurs partiels sur 3 millions d’habitants utilisent le français

Si l’Arménie n’est pas un pays francophone en soi, le français a une influence certaine. La preuve, son adhésion à l’Organisation internationale de la Francophonie : le pays du Caucase vient d’accueillir le XVIIe Sommet de la Francophonie.  

A combien monte le nombre de locuteurs francophones en Arménie? Difficile à dire… Le centre arménien des statistiques Armstat recense environ 10 106 francophones, dont 10 056 seraient des Arméniens de souche. D’autres sources affirment que 200 000 locuteurs ou locuteurs partiels sur 3 millions d’habitants utilisent le français. Des chiffres incertains donc…

Sevan Gharibian et Shushanna Gaboyan sont deux jeunes amoureux de la langue française. Dans un café où ils sirotent leur thé, les yeux brillent lorsqu’ils parlent de cette langue. Sevan, 18 ans, étudiant en composition au Conservatoire de musique de l’Institut Komitas, a quatre langues à son compteur mais voue un amour tout particulier au français. “Vous savez, c’est une langue qui a une aura spéciale. La première fois que je  l’ai entendue, j’étais très jeune, et j’ai tout de suite aimé. Sa grammaire est complexe, la prononciation n’est pas facile. En apprenant, je me heurtais aux difficultés, mais cela me fascinait tellement que je m’acharnais d’autant plus à l’étudier,” explique, en français s’il vous plaît, Sevan.

Lorsqu’on lui demande quel est le mot qu’il aime le plus, il répond “moelleux” en mimant de ses mains une boule que l’on malaxe. “Vous saisissez la beauté du mot? Moelleux… Cela exprime exactement la sensation. C’est ça le français, une langue précise, soignée, douce, mélodieuse, émotionnelle mais sérieuse aussi,” poursuit-il avec entrain. 

A côté de lui, Shushanna hoche continuellement de la tête avec un sourire en coin. La jeune femme de 23 ans a étudié les Relations Internationales à l’Université de Moscou. Elle aussi maîtrise quatre langues mais le français et elle, c’est une histoire d’amour. “Comment peut-on ne pas aimer le français? Cela m’échappe totalement… La tonalité m’a complètement séduite. C’est une langue tellement raffinée que lorsque les francophones parlent, ils ont la bouche en cœur. La preuve que c’est la langue de l’amour!”, déclare-t-elle dans un joli sourire.

De nombreuses entreprises internationales viennent s’installer en Arménie, car le coût de la main d’œuvre est plus avantageux, mais aussi parce que les jeunes arméniens sont bien éduqués et fournissent un travail sérieux et de qualité. Nous avons des clients du monde entier et des francophones également. Si l’anglais demeure la langue vernaculaire, le français s’avère aussi utile avec les clients francophones.

Pour les deux francophiles, la langue est étroitement liée à la culture et l’histoire française. Que ce soit à travers les chansons, l’histoire, les films, le meilleur ambassadeur, selon Sevan et Shushanna, reste la France. “Quand on pense au français, on pense tout de suite à Paris, ses boulevards, sa richesse culturelle, c’est inévitable. Et tous ces éléments séduisent davantage. C’est comme un fantasme,” explique Shushanna. “Évidemment, la langue dépasse les frontières de l’Hexagone. La Belgique, le Luxembourg, la Suisse, le Canada sont des pays francophones et c’est aussi très avantageux parce que cela ouvre des horizons. Moi qui suis compositeur, je me dis souvent que cela me permettra aussi de travailler en France, en Belgique, en Suisse où il y a une réelle sensibilité artistique,” ajoute Sevan. 

Justement, le français assure-t-il des opportunités professionnelles? Tout comme dans le reste du monde, l’anglais est la langue à connaître en Arménie pour décrocher plus facilement un travail. Cette nécessité a relayé le français au second plan. Pourtant, de nombreux jeunes voient les choses de manière plus pragmatique et mettent toutes les chances de leur côté. Pour ceux-là, l’anglais est indispensable, mais si le monde entier parle anglais, quel est leur plus-value? L’élément qui les démarque des autres? Une autre langue. Pour Tatevik Torosyan et Felix Paytyan ce sera le français. Ils sont de jeunes actifs dans la trentaine. Ils ont choisi de faire leurs études supérieures à l’Université française en Arménie (UFAR). Une institution fondée en 2000, assurant à ses élèves une éducation de qualité. Les matières telles que le marketing ou la gestion sont données en français mais l’arménien et l’anglais ne sont pas négligés. Chaque année, l’université ouvre ses portes à des milliers d’étudiants. 

De nombreuses entreprises internationales viennent s’installer en Arménie, car le coût de la main d’œuvre est plus avantageux, mais aussi parce que les jeunes arméniens sont bien éduqués et fournissent un travail sérieux et de qualité. Nous avons des clients du monde entier et des francophones également. Si l’anglais demeure la langue vernaculaire, le français s’avère aussi utile avec les clients francophones,” assure Tatevik, gestionnaire de budget et de projet dans une compagnie de technologies de l'information et de la communication (TIC). Felix Paytyan, actuellement consultant business pour une firme allemande, a très vite perçu les avantages. “Durant l’année de master à l’UFAR, j’ai fait un stage en Belgique. J’ai noué un réseau professionnel. Je suis devenu le vice-Président et directeur pour l’Arménie de la Chambre de Commerce Belgique-Arménie. De retour ici, j’ai travaillé en tant que gestionnaire pour un magasin de sport. A l’époque, tous les magasins tentaient d’avoir l’exclusivité sur la marque de sport Le Coq Sportif. Mais impossible de l’obtenir. En quatre jours, j’ai pu l’obtenir pour le magasin tout simplement parce que ma première démarche a été d’écrire à la marque en France et avoir une conversation à distance en français. Ca leur a plu et ils ont signé avec nous. Les francophones sont très fiers de leur langue et ils se sentent flattés lorsque d’autres personnes font l’effort de la parler,” raconte-t-il.

La langue dépasse les frontières de l’Hexagone. La Belgique, le Luxembourg, la Suisse, le Canada sont des pays francophones et c’est aussi très avantageux parce que cela ouvre des horizons.

En Arménie, le français a encore de beaux jours devant lui. En discutant avec les Arméniens, on les entend souvent vanter la beauté de la langue et leur attachement à la culture. Citez Albert Camus, ils vous diront “Ah oui Camus, quel écrivain!”, citez Alexandre Dumas, ils vous diront “un auteur classique, nous l’avons tous lu”. Si l’anglais fait figure d’élocution indispensable à maîtriser, il semblerait que le français demeure la langue de cœur des Arméniens. Et qui c’est, la Francophonie décidera peut-être de nouveaux jeunes à se lancer dans l’apprentissage de la langue de Molière.