Le « géant solitaire »

Arménie francophone
17.12.2018

Il y a quelques jours, lors de la commémoration du 30ème anniversaire du tremblement de terre qui avait frappé l'Arménie le 7 décembre 1988, l'association suisse KASA a organisé, à Gumri, la présentation de l'ouvrage du journaliste et photographe Pascal Maguesyan «Martin de Gumri, ou le serment du quarantième jour». Le Courrier d'Erevan continue la poblication des articles dédiés à la commémoration de cette date.

Par Agnès Ohanian

Martin de Gumri c'est Martin Pachayan, l'homme qui a redonné naissance à l'école française de Gumri après le tremblement de terre. C'est le « géant solitaire », comme le surnomme Pascal Maguesyan, qui a su se relever dignement de ses blessures, et qui a œuvré pour sa ville natale. Martin Pachayan, cet amoureux de la langue française qu'il a découverte à travers les chansons de Charles Aznavour, est l'une des figures majeures de la francophonie en Arménie.

Martin Pachayan était présent ce soir-là à KASA, entouré de ses amis, de ses proches et de quelques-uns de ses anciens élèves. Certains ont souhaité témoigner publiquement de leur reconnaissance envers l'ancien directeur de l'école française de Gumri. Parmi eux, le comédien et ancien directeur du théâtre de Gumri, Samvel Grigoryan qui a prononcé un discours dédié à son ami pour lequel il voue une grande admiration. Pour l'homme de théâtre, l'humanisme de Martin Pachayan fait de lui un grand artiste. Celui-ci a œuvré sans rien attendre de personne, alors qu'il venait de perdre sa femme, ses deux enfants et une grande partie de ses élèves, victimes du séisme du 7 décembre 1988.

Dans la salle règne un mélange d'émotions: à la fois la tristesse du souvenir, la reconnaissance et la joie. Joie d'avoir eu la chance de croiser le chemin de ce grand homme. Une ancienne élève se lève et, émue, remercie son ancien professeur pour lui avoir transmis l'amour de la langue française et lui avoir donné l'opportunité de découvrir le monde.

Dès son plus jeune âge, Martin Pachayan a témoigné d'une grande détermination. Élève à l'école n°13 de Gumri, son premier examen de français fut un échec. Il était alors le seul élève de la classe dont la famille n'était pas francophone. Il avait cependant décidé qu'il enseignerait le français plus tard. Et bien, il a tenu son pari, et il a même fait beaucoup plus.

C'est cette même force de détermination qui a sauvé Martin Pachayan, dont la vie avait perdu son sens au lendemain du tremblement de terre. Quarante jours après la catastrophe, l'homme retrouve par un miracle inattendu la volonté de vivre. Non seulement de vivre, mais de redonner la vie et de contribuer à la renaissance de sa ville. Lui qui avait perdu sa famille et son école décide de tout recommencer : il se remarie et reconstruit l'école n°10.

Pascal Maguesyan et Martin Pachayan se rencontrent au début des travaux de réédification de l'école, en 1994. Vingt ans plus tard, le journaliste se lance dans la rédaction d'un ouvrage sur son ami, et s'installe durant quatre mois à Gumri auprès de lui. Ce temps de cohabitation lui permet de connaître en profondeur un homme qu'il connaissait déjà bien. L'ouvrage composé par Pascal Maguesyan a l'issue de ce temps de vie commune est autant un hommage à ce grand homme que le récit du « pays minuscule qui dissimule une histoire monumentale ».

L'auteur a su composer avec finesse le conte d'une histoire à la fois intime et collective. Le ton n'est pas aux larmes ni aux éclats de rire, il est un peu de tout cela. « Le séisme a sans doute pulvérisé Gumri et frappé ses enfants, mais il n'a pas aboli la joie », écrit-il. La forme originale du récit, mêlant morceaux d'entretiens et pauses historiques, offre au lecteur une belle opportunité de découvrir le destin d'un homme et de son pays.