L'histoire extraordinaire de Bernard Jannin

Arménie francophone
12.12.2018

Comme cela avait été annoncé auparavant, le Courrier d'Erevan vous présente une série d'articles consacrés au trentième anniversaire du séisme du 7 décembre 1988. Aujoud'hui, c'est l'histoire extraordinaire de Bernard Jannin, ancien sapeur-pompier français, qui s'est installé en Arménie il y a trois mois avec sa famille. Il est actuellement professeur d'éducation physique à l'école française Anatole France d'Erevan. Son histoire avec l'Arménie a débuté il y a trente ans.

Par Agnès Ohanian

En 1988, Bernard Jannin est un jeune sapeur-pompier à Valence. Membre de l'association COSI (Compagnie Opérationnelle de Secours Internationaux), il reçoit un coup de téléphone un soir du début du mois de décembre qui l'informait du tremblement de terre en Arménie. L'association avait alors pu se procurer un avion avec l'aide de la communauté arménienne de Lyon, et démarchait des volontaires pour partir. Il accepte immédiatement, même si cela l'oblige à démissionner de son poste à la caserne. À cette époque, le lien de Bernard Jannin avec l'Arménie se limitait à quelques collègues et amis arméniens, il ne connaissait alors rien de l'histoire de ce peuple.

Dans l'avion, ils étaient environ 18 sauveteurs et leurs chiens, ainsi qu'une quinzaine d'Arméniens de Lyon. Arrivés à Erevan, ils ont été évacués de l'aéroport Zvartnots en bus et en camion jusqu'à Leninakan (actuelle Gumri) où ils ont basé leur poste de commandement dans la maison d'une famille locale, avec laquelle Bernard Jannin ne rompra jamais les liens - il est aujourd'hui le parrain de leur fille, et va régulièrement leur rendre visite. Au total, il restera 14 jours à Leninakan, 14 jours qui changeront le cours de sa vie.

L'équipe de secouristes dont faisait partie Bernard est arrivée à Leninakan trois jours après le séisme. L'essentiel de leur travail a été de faire des marquages avec les chiens qui repéraient les personnes coincées sous les décombres. Sur ce chantier énorme, la méthode de l'ONG française a été de faire du « porte à porte » afin d'aider un maximum de personnes. L'ancien sapeur-pompier français se souvient de la gestion difficile de l'aide humanitaire, trop importante et parfois mal ciblée. « Il y avait un élan magnifique, mais c'était presque trop », dit-il. Cependant, de l'eau, du pain et du fromage étaient distribués presque partout, et des groupes électrogènes avaient été installés. La gestion était certainement imparfaite, mais le sauveteur français garde un souvenir admiratif de la mobilisation collective, malgré la pauvreté des moyens curatifs.

Sous l'ordre de Gorbatchev, les frontières de l'URSS s'ouvrent exceptionnellement pour laisser entrer l'aide humanitaire de l'étranger. Bernard Jannin insiste sur l'ampleur de la mobilisation soviétique et étrangère, véritable élan de solidarité. À Leninakan, les citoyens étaient des acteurs à part entière de la protection civile ; tout le monde était mobilisé. Cette méthode, que Bernard Jannin qualifie de « soviétique », lui était inhabituelle. Il en a tiré des leçons et s'en est servi plus tard pour monter une association de protection civile.

De retour en France à la fin du mois de décembre 1988, la vie de Bernard Jannin avait basculé. À cette époque, les Français regardaient « Tournez manège ! » à la télévision. Le décalage entre ce monde et celui qu'il venait de quitter a poussé le sauveteur à agir. Il reprend des études en effectuant un Master de Sécurité à l'Université de Toulon, avec une spécialisation en droit humanitaire. Son mémoire d'étude porte sur son expérience arménienne. Pour l'élaboration de celui-ci, il retourne plusieurs fois en Arménie et est amené à rencontrer différents organismes et ministères, qui lui permettent de constituer un réseau important. Il crée alors une association qu'il appelle Assistance Pédagogique Internationale, qui deviendra par la suite Protection civile sans frontière, puis ASPEBE (Association pour la promotion de la sécurité des personnes, des biens et de l'environnement), active jusqu'à aujourd'hui. Cette association organise des missions de secourisme et de formation de sauveteurs à l'international. Dès 1990, des programmes de formation de sauveteurs, de moniteurs, d'instructeurs de secourisme, de maîtres-chiens, ou encore de plongeurs, ont été organisés en Arménie. Depuis 4 ans, l'association forme des équipes de pompiers volontaires ; il existe déjà quelques casernes dans la région du Tavush.

En 2018, le sapeur-pompier désormais à la retraite entreprend de s'installer en Arménie avec sa famille. Il s'y était préparé à l'avance, en obtenant la citoyenneté arménienne deux ans auparavant. En inaugurant l'été dernier le Lastiver Resort à Enokavan (Tavush), il contribue au développement touristique du pays. Ainsi, il partage son temps entre l'ASPEBE, la gestion de l'hôtel à Enokavan, et les cours de sport à l'école française Anatole France. Et le retour en France ? Il n'est pas prévu pour l'instant.

Bernard Jannin retourne régulièrement à Gumri pour rendre visite à sa famille d'accueil. Lors de son dernier séjour il y a quelques semaines, il a trouvé la ville profondément transformée... Lui qui avait découvert Leninakan détruite et en larmes il y a trente ans est heureux d'assister aujourd'hui à la renaissance de Gumri.