« Madame K et la Révolution de Velours »

Arts et culture
06.02.2019

La révolution de velours survenue en Arménie est devenue l'origine d’une comédie internationale et francophone. Les associations théâtrales « Avant-Scène » et « La Chaise et le grain de sable » se sont réunies pour créer le spectacle « Madame K et la Révolution de Velours », sur le texte inédit de l’auteure suisse Emanuelle Delle Piane. La première représentation est prévue au printemps 2019 au Théâtre Goy, à Erevan. Pour en savoir plus, Le Courrier d’Erevan a rencontré le metteur en scène français du spectacle, le fondateur de la compagnie théâtrale « La Chaise et le grain de sable » Serco Aghian.

Par Anna Baghdassarian

De l'histoire « personnelle » à l’histoire du pays

Inspirées de la révolution de velours en Arménie, les associations théâtrales arménienne et française « Avant-Scène » et « La Chaise et le grain de sable » décident de s’associer pour créer le spectacle: « Madame K et la Révolution de Velours » sur le texte inédit d’Emanuelle Delle Piane, auteure suisse qui les a fait se rencontrer et qui a écrit cette pièce spécialement pour les comédiennes arméniennes.  Ainsi se tisse une relation singulière entre ces trois parties et les trois pays dont les associations sont originaires.

« Madame K et la Révolution de Velours » raconte l'histoire « personnelle » de quatre femmes arméniennes qui viennent présenter un spectacle en France, pleines de leurs illusions et des clichés sur le pays d'accueil. Cette histoire personnelle rejoint la « grande » histoire, celle de leur pays, l'histoire d'une révolution douce et urgente. « L’auteure de la pièce Emanuelle Delle Piane a voulu intégrer l’actualité récente de l’Arménie qui est un fait historique majeur dans l’histoire du pays et même du monde, parce quune révolution qui aboutit sans victimes est assez remarquable et quasiment unique, - nous raconte Serco Aghian, -  Dans la pièce, la révolution arrive par petites touches. Ça commence par des manifestations, puis, au fil de la pièce, des points particuliers de l’histoire de cette révolution arrivent soit par des vidéos, soit par des sons où l’on entend des discours ou des voix des manifestants. Et à la fin de la pièce, quand les personnages qui sont en France veulent revenir en Arménie, ils se trouvent bloqués à l’aéroport Charles de Gaulle. Il n’y a plus d’avion vers l’Arménie. Mais, heureusement, tout se finit bien.

Une écriture directe et précise

L’écriture de la pièce est très vive, rapide est précise.  Ce sont les personnages qui dictent le style du langage. Sans renoncer à l’utilisation de la langue française dans sa belle manière, l’auteure invite également à partager certaines expressions en arménien afin de souligner l’importance, d’une part, de la langue maternelle des protagonistes qui revient naturellement, et d’autre part, la volonté et l’amour de parler un français correct vus par ces personnages arméniens. « L’écriture de la pièce est très précise. C’est un mélange assez compliqué entre la langue française qui est bien exprimée et des tournures en arménien. Madame K enseigne la langue et la littérature françaises, et elle insiste régulièrement pour que ses élèves parlent français », - souligne le metteur en scène.  Il y a tout de même un léger relâchement de language lorsque ces femmes entendent les propos de passagers dans des transports en France. Dans ce texte, il y a un regard précis sur les différents niveaux de langage, qui rendent la pièce très réaliste sur ce point.

La diversité culturelle

L’Arménie, la France et la Suisse. Le challenge de ce projet est de croiser les langues, les coutumes, les manières de travailler sur scène. La diversité culturelle est donc la richesse du projet. Mais qu’est-ce qui est caché derrière cette richesse ? Pas mal de difficultés, auxquelles la troupe se trouve confrontée tous les jours. « La difficulté principale, c’est l’approche culturelle. On a des différences de vues sur la manière de jouer le théâtre. Cependant, les comédiens acceptent l’enjeu que je leur ai un peu impulsé․ En même temps, je laisse aussi courir un certain nombre de choses qui sont de leur manière d’être et de leur culture. J’essaye d’amalgamer un peu les choses parce qu’il faut laisser vivre la pièce. Comme ce sont des comédiens non professionnels (mais qui ont un très bon niveau et qui sont très bien au plateau), la difficulté c’est de les faire se détacher de leur personne pour accéder le personnage qu’ils doivent incarner. La frontière entre le personnage et la personne est parfois difficile à rompre. Le comédien ne joue pas soi- même, il joue un personnage », -assure Serco Aghian.

L'art suprême du mensonge

Serco Aghian trouve qu’il faut avoir un certain courage à affronter un monde qui est en train de faire une scission très brutale dans les populations. De plus en plus souvent, les discours sont centrés sur les religions ou l'argent... Et le théâtre dans tout cela ? Alors, il vient pour dire qu’il y a un peu de poésie dans le monde. « La poésie, au sens très large, est une forme essentielle pour la survie dans une société qui a perdu le sens de l'altérité. C'est-à-dire une société qui a oublié d'être, et d'être sérieuse dans la gaité. Et aussi une société qui base son existence sur le mensonge, qu'elle se fait souvent à elle-même.  Ainsi l'art suprême du mensonge qu'est le théâtre est-il celui qui montre pourtant la meilleure vérité du monde: celle de la condition des humains », - dit le metteur en scène.

La première série de représentations est prévue à Erevan, à partir de 8 Mai 2019, au Théâtre Goy. L’équipe souhaite engager ensuite une tournée dans d’autres villes et villages d’Arménie (Gyumri, Goris, Gavar etc.). Pour la saison suivante (2019-2020), l’équipe souhaite organiser une tournée en France et en Suisse, et dans le reste de l’Europe. Est à l’étude la participation au festival Off d’Avignon, en juillet 2019.