Anne Louyot pour le 14 juillet : « Elargir encore la francophonie en Arménie »

Arménie francophone
18.07.2022

À l’occasion de la Fête nationale française, le Courrier d'Erevan a recueilli les propos d'Anne Louyot, Ambassadrice de France en Arménie, près d'un an après sa prise de fonction. Elle est revenue sur l'intense coopération entre les deux pays, la place de francophonie en Arménie mais aussi sur les derniers développements du processus de résolution du conflit en cours autour du Haut-Karabakh. 

 

Madame l’Ambassadrice,  cette fête nationale est votre premier 14 juillet en Arménie. Tout d'abord, quel bilan tirez-vous de cette première année de mission ?

Un bilan très positif. J'ai découvert un pays passionnant, riche de sa longue histoire et très proche de la France. Un pays profondément affecté par les conséquences de la guerre des 44 jours, mais déterminé à aller de l'avant dans les réformes démocratiques, le développement économique et la normalisation des relations avec ses voisins. Il s'agit de processus complexes, qui nécessitent patience et pugnacité. Nous soutenons ces efforts dans le cadre des actions menées par l'Union européenne, ainsi que sur le plan bilatéral. Au cours de cette année, et malgré un contexte difficile, j'ai pu constater des avancées significatives, et je m'en félicite. D'autres décisions majeures seront prises dans les prochains mois, qu'il s'agisse de la réforme judiciaire ou des voies de communication. Nous accompagnerons naturellement ces évolutions.

 

Vous avez participé dernièrement aux 4èmes Assises de la Coopération décentralisée entre la France et l'Arménie qui se sont tenues à Lyon fin juin. On y a parlé tourisme, agriculture et développement rural, création de "smart cities" etc. Au-delà des tables rondes, des ateliers thématiques et des échanges d'expérience, sur quels projets et perspectives de collaboration concrètes et chiffrables vont-elles déboucher ?

La coopération décentralisée est une dimension essentielle de notre relation bilatérale. Les Assises, parfaitement organisées par la Mairie de Lyon, ont permis aux élus et administrations locales des deux pays de se retrouver après une longue interruption, pour faire le bilan des actions passées et se projeter vers l'avenir. Il leur appartient de poursuivre les échanges en vue de concrétiser les projets.  La région Ile de France est déjà très active dans les domaines de la gestion des transports urbains à Erevan et dans de l'agriculture dans le Tavush. Les régions Auvergne Rhône Alpes et PACA, qui portent également des projets importants en matière d'enseignement professionnel et de tourisme, devraient envoyer des missions à l'automne, qui permettront de préciser les nouveaux projets dans les domaines prioritaires évoqués lors des Assises. J'ai pour ma part invité les collectivités françaises à contribuer à la défense de la francophonie en Arménie (comme le fait Vienne à Goris, entre autres) et à la formation des administrations locales, par des échanges d'expérience par exemple. J'espère également la mise en place de nouvelles coopérations, notamment dans le Syunik, mais aussi entre collectivités qui n'ont pas encore de partenaire. Une plateforme internet devrait être mise en place pour faciliter les prises de contacts.

 

Question économique encore, celle de la fameuse "feuille de route" de la coopération entre l'Arménie et la France. Elle est régulièrement évoquée tant par les autorités arméniennes que françaises, mais on n'en connait pas précisément les ressorts. Pourriez-vous éclairer nos lecteurs à ce sujet et préciser les points ou projets principaux qu'elle concerne ?

La feuille de route signée par les Ministres Lemoyne et Mirzoyan en décembre 2021 établit un cadre pour le développement des relations économiques. Elle prévoit de recourir aux dispositifs d'appui du Ministère de l'Économie et des Finances et de l'Agence française de développement pour dynamiser nos relations économiques dans des domaines prioritaires comme les communications, les énergies durables, les hautes technologies, l'irrigation ou encore la santé. Nous devons maintenant mobiliser ensemble les entreprises françaises potentiellement intéressées par ces différentes priorités.

Le Forum Ambitions France Arménie, organisé en mars dernier et ouvert par le Président de la République et le Premier Ministre Pashinyan, avait précisément cet objectif. Ont été invités représentants de l'État, collectivités territoriales, entreprises et associations arméniennes de France pour fédérer les bonnes volontés autour des objectifs présentés par le gouvernement arménien. Un suivi des engagements pris lors de ce Forum sera assuré en Arménie et en France. Il est notamment essentiel que les autorités arméniennes poursuivent leurs efforts de communication sur l'attractivité du marché arménien. Des améliorations significatives ont été constatées dans le climat des affaires, il faut poursuivre dans cette voie et le faire savoir aux entreprises.

 

Autre sujet qui a trait à cette coopération, celui de la Francophonie : en tant tant que seul média francophone d’Arménie, nous sommes particulièrement sensibles aux questions relatives à sa place dans ce pays. Comment pourriez-vous définir l’état des choses ?

La France a un réseau dynamique en Arménie, qui promeut la Francophonie : l'UFAR, le lycée Anatole France, l'Alliance française, bientôt l'Institut français qui viendra compléter et renforcer ce dispositif. Et bien sûr le Courrier d'Erevan !

Par ailleurs, l'Arménie est membre à part entière de l'OIF. Elle a donc pris des engagements en matière de présence du français à tous les niveaux d'enseignement public, et de promotion des cultures francophones. Nous appuyons ces efforts, en aidant les 18 classes à français renforcé, en finançant la formation des enseignants en France, et en aidant l'Association des professeurs de français d'Arménie, qui organise chaque année un congrès pour échanger sur les méthodes et les défis.

Bien sûr, il faut aller plus loin. Le Ministère de l'Éducation, de la Science, de la Culture et du Sport, a proposé la mise en place d'un comité de la Francophonie afin de mieux coordonner les actions de tous les acteurs impliqués dans la promotion du français, qu'ils soient arméniens, français ou liés à d'autres États membres de la Francophonie et naturellement à l'OIF. Je salue cette initiative. La première réunion interviendra fin juillet, et j'espère que nous pourrons ensemble identifier des projets innovants pour élargir encore la Francophonie en Arménie, dans l'enseignement général mais aussi universitaire, et au sein des administrations arméniennes.

 

Où en est-on de la relocalisation de l’UFAR dans de plus vastes locaux adaptés à sa popularité croissante ? À quelle échéance peut-on l'espérer ? D’une manière générale, quelles sont les priorités des projets culturels et d’enseignement de la France en Arménie ?

Le gouvernement arménien s'est engagé à me présenter différentes propositions pour cette relocalisation, qui seront évoquées à la rentrée avec le Conseil d'Administration de l'UFAR. J'accorde évidemment la plus grande importance à cette question. Il s'agit d'un projet complexe, qui doit être pesé avec soin pour l'adapter aux besoins de l'UFAR et ne pas mettre en péril son équilibre financier.

Les priorités de notre action de coopération et d'action culturelle en Arménie n'ont pas changé : la promotion de la langue française et des cultures francophones; l'appui aux coopérations directes entre institutions culturelles françaises et arméniennes; le renforcement de la coopération universitaire, notamment dans le domaine des Sciences humaines et sociales; l'appui aux projets de développement, notamment dans le domaine de la santé et de l'égalité femme/homme et naturellement de la coopération décentralisée, déjà évoquée.

Ces dernières semaines, nous avons beaucoup travaillé au lancement d'un projet ambitieux, Patrimoine France Arménie, qui permettra grâce à l'implication de l'Institut national du Patrimoine, du Louvre et des institutions arméniennes concernées, notamment le Ministère en charge de la Culture, de mettre en place des formations des professionnels du patrimoine, un projet de restauration du Grand Désert de Tatev, et une nouvelle muséographie au sein du musée d'Erebuni. Nous attendons beaucoup de ce projet qui renforcera, j'en suis convaincue, nos relations bilatérales en favorisant des habitudes de travail en commun des professionnels des deux pays.

Parmi les autres projets significatifs menés cette année, nous avons appuyé la belle édition 2022 du festival Golden Apricot, la magnifique exposition "Le cri du silence" du photographe Antoine Agoudjian et le projet d'ateliers d'art dramatique organisé par Serge Avedikian. La coopération culturelle, vous le voyez, est très diversifiée ! Là encore, notre objectif est surtout de favoriser des projets susceptibles de déboucher sur des coopérations à long terme.

 

L'Ambassade de France lance le programme FSPI, marquant l’engagement de la France aux côtés de l’Arménie dans la restauration, valorisation et la préservation de son patrimoine culturel. Ce patrimoine dépasse largement les frontières de la République d'Arménie et est exposé à de graves menaces au-delà. La France peut-elle peser de son poids pour une action globale et concertée dans les différents pays concernés ?

Le programme FSPI, "Patrimoine France Arménie", que j'ai mentionné précédemment, est un projet bilatéral. Les actions dépassant le cadre de la relation franco-arménienne relèvent de la compétence de l'UNESCO, dont la France soutient les actions de préservation du patrimoine, notamment dans les zones touchées par la guerre.

 

À ce propos, et dans la cadre du règlement du conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, votre prédécesseur, le 17 septembre dernier, déclarait dans nos colonnes à son départ d'Arménie qu'à propos du Karabakh, « les présidents Macron et Poutine ont souvent des conversations téléphoniques sur plusieurs questions controversées, mais il existe un terrain d'entente sur la question du Karabakh ».La controverse est aujourd'hui encore plus grande, le Karabakh est-il encore inscrit à l'agenda de la diplomatie française ? Le groupe de Minsk existe-t-il encore et peut-il faire valoir sa voix ?

La France reste déterminée à œuvrer en faveur d'un règlement durable du conflit du Haut Karabakh, au titre de sa coprésidence du Groupe de Minsk, mais aussi à titre bilatéral et en tant qu'État membre de l'Union Européenne, sous les auspices de laquelle un dialogue se poursuit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

L'invasion non provoquée de l'Ukraine par la Russie, qui fait de très nombreuses victimes, notamment civiles, et que nous avons fermement condamnée, ne favorise pas le dialogue avec Moscou sur le sujet.  Nous restons cependant ouverts à une reprise des échanges au sein du Groupe de Minsk, contrairement à ce qui a pu être affirmé.

La résolution du conflit demeure donc bien une priorité de notre diplomatie dans la région. La venue récente à Erevan du coprésident du Groupe de Minsk, Brice Roquefeuil, en est une illustration.

 

Une dernière question : quel est votre point de vue sur la perspective d’ouverture des voies de communication : est-ce réaliste ? Dans quels délais et quelles conditions ?

Ce projet essentiel pour le désenclavement du pays est, comme vous le savez, une priorité du gouvernement arménien, soutenu par l'Union européenne et différents bailleurs européens et internationaux. Ce soutien me laisse espérer que le projet pourra aboutir dans des délais raisonnables.