Հայաստանի կանայք - Femmes d'Arménie : Naїra Zohrabyan, briseuse de stéréotypes

Arménie francophone
15.01.2022

Elles sont professeur, journaliste, chercheuse, politicienne... Naïra, Ani, Constance, Thénie et les autres ont l'amour de la langue française en partage. Le Courrier d'Erevan les a rencontrées et leur a laissé la parole. Elles nous racontent leur histoire, en français dans le texte, simple et extraordinaire. Portraits de femmes, exemplaires, touchantes, dérangeantes, une autre image de l'Arménie. 

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Les rêves d’enfants deviennent parfois une réalité. C’est ce dont témoigne le parcours de Naїra Zohrabyan qui se voyait devenir comédienne ou directrice de parc zoologique. Mais loin de s'arrêter là, les chemins de sa destinée passaient aussi par le journalisme, la politique … et la mode.

Par Lusine Abgaryan

 

Des études de théâtre au journalisme

Après avoir terminé l’école avec mention d’excellence et alors que ses parents la destinent à des études littéraires, Naїra, en cachette de ses parents, opte pour la faculté des études théâtrales qui vient d’être créée : « Mes parents, "conservateurs", ne voulaient pas me voir devenir comédienne », confesse-t-elle. Persévérante et certaine d’avoir bien choisi le métier qui lui tient à cœur, elle trouve le moyen de préparer les examens d’entrée en échappant à l’œil vigilant de ses parents : « je passais mes journées à la bibliothèque publique d'Erevan du matin au soir. Je m’étais renseignée sur le questionnaire de l’examen d’entrée à l’Institut de théâtre et j’"engloutissais" les livres les uns après les autres ». Ses efforts lui permettent d’entrer dans cet institut alors placé sous le tutorat des meilleurs spécialistes de l’époque dans ce domaine. Son cursus lui permet d'effectuer des stages professionnels dans les théâtres les plus réputés de Moscou, dont celui du Lenkom, son préféré, dirigé par Mark Zakharov.

Après avoir passé quelque temps dans les vertiges de la création théâtrale moscovite, Naїra rentre en Arménie. Ce sont les années "sombres et froides" et l’état des théâtres arméniens ne lui permet pas de pratiquer son métier. C'est en publiant des critiques théâtrales dans un journal d’art qu'elle entame une douce transition vers le domaine du journalisme. Son expérience du théâtre lui sert toutefois de tremplin : « J’ai regardé 67 fois la représentation "Oublier Herostratus ! " ("Забыть Герострата" de son titre original) de Grigori Gorin. Plus tard, dans mon activité de journaliste j’ai eu recours à plusieurs tirades de son scénario, dont par exemple : « l'impudence humaine est plus puissante que les dieux ».

Sa carrière de journaliste débute avec deux entretiens qu’elle effectue pour le journal "Ar". Le rédacteur en chef de cet hebdomadaire lui propose de s’entretenir avec une diseuse de bonne aventure et un médecin légiste« Je suis allée dans la salle de dissection. Il faisait son travail et moi, je voulais vivre ses émotions et sentir cette odeur ». À leur parution, ses deux entretiens font sensation : « De nombreux éditeurs célèbres se sont intéressés à mon style qui avait brisé les tabous stéréotypés du journalisme arménien. J'y avais inséré l'argot d'Erevan, et cassé le langage lexical strict », se souvient-elle.

 

Du journalisme à la scène politique

Naїra publie dans plusieurs journaux locaux, mais c'est avec la revue "Haykakan zhamanak " ("Հայկական ժամանակ" - "Le Temps" en arménien) à laquelle elle collabore durant neuf ans qu'elle découvre ses penchants pour le journalisme politique : « j'ai réalisé que je pouvais même générer des processus politiques avec mes articles. Grâce à ce journal, nous avons contribué à fonder une société civile en Arménie », dit Naїra, « c’est pour cette raison que j’ai décidé de rejoindre le parti "Arménie Prospère" qui venait d'être créé ». À l’époque, au parlement, les journalistes occupent le haut de la salle, les députés sont en bas. « Ce qui a changé pour moi, ce fut le fait de descendre », - ironise Naїra. 

Lors de son mandat de députée à l’Assemblée nationale de la République d'Arménie, de 2007 à 2021, Naїra préside la commission permanente de l'"intégration européenne", de 2017 à 2019, puis celle des "Droits de l’homme et des affaires publiques"  jusqu'en 2020. Durant plus d’une décennie de présence sur la scène politique arménienne, Naїra, membre de la délégation arménienne auprès de L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), consacre aussi son mandat à d’autres questions dont celle des personnes déplacées, des réfugiées ainsi que des médias : « ces 15 années au Conseil de l’Europe furent ma plus grande expérience », confie Naїra. « Aujourd’hui, en tant que présidente de l’ONG "Démocratie et sécurité", mes liens européens et mon expérience m’aident énormément. Je garde un contact étroit avec mes anciens collègues européens. La culture politique européenne est aussi indispensable à l’Arménie que l’air ou l’eau ».

Si l'un des axes de son action humanitaire concerne la lutte contre les violences domestiques, Naïra tente également, à travers son ONG, de contribuer au retour en Arménie des prisonniers de guerre. Elle s’occupe aussi  des personnes déplacées d’Artsakh et des blessés de guerre, notamment pour leur fournir des prothèses oculaires, et  milite pour la reconnaissance du patrimoine arménien du Haut-Karabakh : « j'essaie, avec mes collègues parlementaires européens et français, de contrer le détournement culturel au Karabakh car si nous ne faisons rien, nos voisins supprimeront toute trace de notre présence, et dans quelques années, nous ne disposerons plus d'aucune preuve de l'authenticité ni de l'origine arménienne de ce patrimoine. Nous devons également mettre à profit tout le potentiel de la diaspora en vue de cet objectif », avertit Naїra.

Depuis qu'elle a quitté le parti politique auquel elle adhérait, Naїra pense à fonder et prendre la tête d'un nouveau mouvement politique, « pas un parti ». En attendant, elle s'attèle à la rédaction d’une thèse scientifique au sujet de la haine et de l’intolérance dans différentes classes sociales : « J’essaie de comprendre, du point de vue de la victime, quel genre de stéréotypes anime les personnes qui écrivent des injures sur les réseaux sociaux, et comment elles sont arrivées à une telle liberté incontrôlable. Je voudrais comprendre comment les gens arrivent à s’insulter sans se connaître. Cela provient sans doute d’un grand complexe, celui d’une société malheureuse sans doute », observe-t-elle.

 

La grande protectrice des animaux

L’amour pour les animaux a amené Naїra à élaborer, il y a deux ans, une loi sur la pénalisation de la violence contre les animaux. Le parlement a bien adopté cette loi, mais Naїra ne s’est pas contenté de ce succès et a fondé une autre ONG, "Friends of Lucky", qui soigne les petits chiens. Avec le soutien de partenaires chinois, elle a pu trouver un endroit pour les abriter, mais les besoins restent encore nombreux : elle souhaite notamment constituer un réseau de vétérinaires et de soignants pour ces petits animaux.

 

Sans oublier la mode !

Cette femme enthousiaste et aux profils multiples, n'en oublie pas pour autant de vivre une féminité à sa manière qu'elle exprime dans le domaine de la mode : « Au cours de ces dernières années, j'ai souhaité m'impliquer dans l'industrie de la mode. Guévorg Shadoyan m'a plusieurs fois proposé d'organiser des défilés et j'étais la première exposante de sa collection "De la Renaissance à l'indépendance", des vêtements aux ornements typiquement arméniens ». Avec un agenda plus que fourni, elle prépare actuellement une autre exposition, de bijoux cette fois, à Paris, capitale internationale de la mode.