Kasa – L'éducation au service d'une Arménie plus forte

Arménie francophone
05.05.2022

Privilégier une société de citoyens ouverts, autonomes, acteurs d’un changement signifiant dans un monde en rapide mutation. C'est cette vision de la société arménienne que défend Kasa, une fondation suisse engagée depuis vingt-cinq ans à soutenir les Arméniens qui s'impliquent démocratiquement dans la vie économique, sociale et culturelle de leur pays pour contribuer à son développement durable. Encourager la formation et l'éducation de sa jeunesse est au cœur de son sujet.

Par Olivier Merlet

Ce dernier vendredi d'avril, le centre Kasa de Gyumri fêtait la Journée de la Francophonie. La promotion de sa langue, de sa culture et de ses valeurs est un autre des objectifs que poursuit l'association. Ateliers ludiques, musicaux, culinaires, visite guidée en français de la ville étaient au programme de cette journée, une découverte pour plus d'une centaine d'élèves de onze écoles de la région. L'université Française en Arménie, l'UFAR, avait fait le déplacement pour présenter aux possibles étudiants de demain ses formations spécialisantes et peut-être, faire germer en eux des idées de métier ou d'orientations futures.

Aux côtés des membres du conseil d'administration de la fondation Kasa et de sa directrice, Tatevik Baghdasaryan, Monique et Dario Bondolfi, ses deux fondateurs, présidaient la cérémonie d'ouverture.

« Vers quelle école aller pour faire des élèves des adultes adaptés à leur monde, autonomes, ouverts, créatifs et performants ? » En prélude à une série d'évènements qui marqueront tout au long de ces prochains mois le vingt-cinquième anniversaire de la fondation suisse Kasa en Arménie, Monique Bondolfi, sa présidente, animait une rencontre-débat autour d'un thème qui lui est cher : l'éducation. L'ancienne professeur de français agrégée de philosophie, arménienne par ses grands-parents, y a consacré sa vie professionnelle, en Suisse. Depuis sa retraite en 2000 et la fondation de Kasa trois ans auparavant, c'est à l'Arménie qu'elle dédie son expérience, son temps et ses moyens, pour offrir à sa jeunesse de nouvelles possibilités de formation et des outils de développement. « Leur apprendre à pêcher plutôt que d’offrir un poisson. »

La table ronde, modérée par le Courrier d'Erevan, partenaire de l'évènement, réunissait une trentaine d'enseignants de Gyumri et de la région de Shirak, tous francophones accomplis. Elle faisait suite à la mise en place depuis quelques mois d'un programme intitulé "Imastuni" – "ce qui fait sens". Cette plateforme évolutive et expérimentale de réflexion pédagogique présente d'ores et déjà quinze lectures-vidéos en français et surtout en arménien traitant de thèmes, disciplines ou valeurs que le champ scolaire traditionnel n'intègre pas forcément comme priorités. L'éducation et l'art, la nature, l'identité, personnelle et celle d'autrui, l'importance du jeu dans l'éducation, apprendre à apprendre, la collaboration et la solidarité dans l'apprentissage… Autant de sujets et de méthodologies encore souvent absents des programmes mais que les spécialistes tiennent aujourd'hui comme tout à fait constitutifs et essentiels au développement de l'enfant, clefs de leur réussite à venir. Ils appellent cela le "développement holistique", du grec ancien "holos", signifiant "entier"…

L'expression est peu fréquente mais son concept est simple : il s'agit en fait de prendre en compte l’enfant dans sa globalité et son environnement : à l'école, chez lui, et dans la société. Ne plus le considérer comme un simple sujet apprenant mais prendre en compte sa personne physique, affective et relationnelle aussi bien qu'intellectuelle… Autant dire qu'en Arménie où malgré les réformes en cours, le système éducatif a encore beaucoup de mal en la matière à se défaire des préceptes hérités de l'Union soviétique - du par cœur et encore du par cœur, accumuler les connaissances sans autre finalité que de répéter le discours du professeur - cette nouvelle méthodologie est tout à fait novatrice pour ne pas dire expérimentale. La plupart des enseignants arméniens, eux-mêmes formés à cette vieille école, restent dépourvus des outils adaptés à la mise en place de cette vision pédagogique et aux évolutions de la société de demain. Le programme Imastuni développé par Kasa s'inscrit en ce sens comme un espace de réflexion et de formation professionnelle, complément possible aux actions en cours au niveau institutionnel.

« L'éducation n'est pas une ingestion de savoirs mais plutôt leur digestion : savoir–être, réfléchir, analyser, discerner... Et savoir-faire : développer ses aptitudes, agir, et agir à plusieurs », soutient Monique Bondolfi.

Elle poursuit : « jusqu'en 1988, le modèle collectif qui prévalait en Arménie prônait la fraternité et le sens d'autrui. Il a été remplacé depuis l'indépendance par le modèle néo-libéral, privilégiant le développement personnel, l'autonomie mais aussi l'individualisme, au déni des anciennes valeurs. Comment rendre l'Arménie plus forte dans ce monde qui change ? Viser un autre type de société, une économie sociale et solidaire réalisant l'alliance de toutes ces valeurs dans la préservation de son identité. »

Le changement est en marche mais il prendra du temps. Celui d'une génération, celui de former les plus jeunes, mais avant tout, celui de former ceux à qui en revient la charge. Sous l'impulsion de Kasa, un nouveau processus se met en place, pérenne, la transmission des nouveaux acquis, logique et naturelle, en est la garantie, les retours exprimés lors de cette table ronde, unanimement positifs, en sont la preuve. « Nous avons changé et les élèves nous ont changé », conclut une institutrice de Gyumri.