La Maison des étudiants arméniens à la Cité universitaire: un foyer interculturel au cœur de Paris

Arménie francophone
18.05.2022

Au sortir de la Première Guerre mondiale, un lieu cosmopolite et profondément philanthrope s’élaborait dans un coin du 14e arrondissement de Paris. À partir de 1925, grâce aux donations des mécènes, les maisons de la Cité internationale universitaire, un lieu presque utopique, se dressaient l’une après l’autre.

Par Lusine Abgarian

L’une des premières, la Maison des étudiants arméniens fondée en 1930, s’élance fièrement avec son architecture "religieuse" originale, rappelant presque une église. À l’intérieur pourtant, plus de soixante-dix chambres accueillent les étudiants arméniens de tous les coins du monde et pas seulement…

Alors qu’Alexandre Tamanyan se lançait dans la construction de la capitale arménienne, Boghos Noubar en 1927, un diplomate arménien soucieux de la renaissance arménienne et de la formation des nouvelles élites, demandait à l’architecte Léon Nafilyan, de construire un bout d’Arménie dans ce coin serein de Paris. Depuis des décennies, ce lieu demeure le foyer des étudiants arméniens qui se lancent dans l’aventure des études à Paris.

Actuellement dirigée par Anna Léyloyan, historienne d’art et maître de conférences à l’INALCO (l'Institut national des langues et cultures orientales), les étudiants de la Maison, bien protégés, ne restent pas en dehors des réalités arméniennes ou françaises. Après avoir traversé une période aussi difficile qu’angoissante, la directrice se dit envieuse des années qui ont précédé sa direction et qui étaient relativement quiètes, insouciantes et joyeuses : « C’est avec une certaine nostalgie que je me rappelle des années où tout était plus calme. D’abord, ce sont les actes terroristes qui ont angoissé nos étudiants, puis la guerre d’avril de 2016, ensuite la Révolution, la pandémie, et de nouveau la guerre, en 2020 ».

Traverser la guerre et ses conséquences… de loin

Cette guerre, selon les propos de Mme Leyloyan, a réveillé « l’angoisse arménienne » parmi les jeunes de la Maison. Chacun a sa propre histoire avec la guerre, ce qui leur était commun, c’était le silence poignant qui régnait à la Maison à cette période : « Ils ne s’exprimaient pas. Ils ne communiquaient pas entre eux. Chacun était plongé dans son chagrin personnel, dans sa propre douleur. Il y avait une scission dans la société, des gens politiquement différents soutenaient des forces différentes. Parce que chaque étudiant a son histoire familiale, il a son propre point de vue ».

Cette scission s’est encore approfondie après la guerre, mais bien que soutenant des positions politiques différentes, ils ont su les modérer pour ne pas créer des tensions supplémentaires. La directrice confirme qu’ils évitent à ce jour de discuter de certains sujets.

Si la situation et l’atmosphère générale du foyer semble se normaliser petit-à petit depuis le choc de la guerre, les jeunes habitants restent néanmoins désorientés. Les affects de la guerre influenceront d’une manière ou d’une autre leur prise de position par rapport à un avenir lié ou projeté en Arménie : « Ils redoutent un peu l’avenir. Ils ne savent pas encore comment réaliser des projets par rapport à l’Arménie », dit la directrice. Certains étudiants se sont pourtant relevés plus résolus au sortir de cette guerre. Ainsi, l’un d'entre eux, ingénieur de formation, a pris la décision de se spécialiser dans l’ingénierie des prothèses chirurgicales, une décision résultant des conséquences du drame.

La plupart des étudiants, selon les propos de Madame Leyloyan, se préparent à investir leurs connaissances et leurs expériences acquises durant les années d’études à Paris pour former leurs compatriotes en Arménie. D’autres étudiants, ne se montrent pas si déterminés : « Qu’est-ce que je peux faire en Arménie ? », se demandent-ils, pensant qu’il est tout aussi utile de s’investir à distance dans le développement du pays. « En ce moment, je pense que nous pourrons plus facilement aider l’Arménie de loin. Quand on est dans le pays, nos idées sont négligées, mais si l'on propose quelque chose depuis l’extérieur, même la moitié de ce qu’on pourrait faire sur place, c’est tout de suite mieux valorisé », estime Arminé Yeganian, étudiante en littérature comparée.

Sargis Vardanian, lui, poursuivant ses études en finances et marketing en France depuis 2017 pense aussi qu’il vaut mieux attendre encore avant de se réinstaller définitivement en Arménie : « Jusqu’en 2020, j’étais plus déterminé et je voulais partir travailler en Arménie après mes études. Maintenant, je préfère acquérir ici une véritable expérience afin de pouvoir plus facilement m’établir en Arménie dans le futur ».

Les jeunes de Beyrouth

Les jeunes de Beyrouth ne sont pas davantage dans un état favorable. La chaîne de problèmes que traverse actuellement ce pays ne permet pas à ses jeunes de se positionner définitivement par rapport à leur avenir. « Bien qu’ils soient très liés à leur pays natal, ils ont plutôt tendance à essayer de reconstruire une nouvelle vie, ici, en France, parce que la situation est déplorable à Beyrouth. J’essaie de donner une attention particulière aux dossiers des jeunes venant de là-bas », dit la directrice. Il s’avère qu'ils éprouvent même certaines difficultés pour rentrer dans leur pays pendant les vacances. « En quelques mois seulement, la situation a basculé, et certains, parmi nos étudiants de là-bas, travaillent pour essayer d’aider leurs familles qui sont restées au pays», ajoute-t-elle.

Une jeune linguiste libanaise d’origine arménienne, Christelle Berberian, nous a livré pour sa part, son vécu après être retournée au Liban l’été dernier : « Je suis arrivée avant la crise, en 2019. Tout le monde me dit que je suis venue au bon moment, car depuis 2020, tout le monde essaie de fuir le Liban. Je n’étais pas là-bas, malheureusement parce qu’à chaque fois que je voyais des appels à l’aide, je ne pouvais rien faire et me sentais complètement impuissante. J’ai ressenti la même chose pendant la guerre d’Artsakh. Je n’ai jamais vu le Liban dans un état pareil. Je me dis que si j’étais là-bas et si voyais les visages de mes parents tous les jours, je ne pourrais pas vivre. Les gens essaient d’être les mêmes, mais ni le pays ni les gens ne sont plus les mêmes ».

Vu la situation, la Fondation Marie Noubar a augmenté ses subventions pour les étudiants afin de leur permettre de se consacrer pleinement à leurs études. Madame Leyloyan souhaiterait pourtant, mobiliser la présence et la sensibilisation de la communauté arménienne à travers d’autres fondations…

Les projets au sein de la Maison

« La Maison ne doit pas être un dortoir, mais un foyer ». Forte de cette intention, la directrice a proposé de créer une véritable vie culturelle et scientifique au sein de la Maison. Avec les étudiants, elle a élaboré plusieurs formats d’événements qui permettent d'animer une vie sociale, de les rapprocher entre eux, de les faire sortir aussi de l’esprit communautariste qui perdure malgré l’environnement interculturel.

Le projet de séminaires est l’un des projets phares de la Maison. Durant toute l’année, tous les étudiants sont invités à présenter leurs travaux de recherche à un public constitué d’autres jeunes qu’ils côtoient. Ces séminaires de "mini-soutenances" de mémoires et de thèses favorisent la circulation des idées et les échanges entre les différentes disciplines auxquelles se forment les jeunes.

Un autre projet important, celui des concerts des jeunes musiciens de la Maison et de ses alumnis est au cœur de la programmation de l’année. Grace à une salle de musique aménagée et un piano "Pleyel" de 1914, les jeunes musiciens ne manquent rien pour s’entraîner et créer… Un concert est programmé pour le 28 mai.

Le projet de rénovation

La Maison a été rénovée plusieurs fois depuis sa création, mais faute de ressources budgétaires, jamais dans son intégralité. Aujourd’hui, c’est un ambitieux projet de rénovation qui attend la Maison, avec un plan d'optimisation énergétique incluant la révision du système d’isolation par doublage des murs. La Maison a bénéficié d’un soutien de l'État à hauteur de quatre millions d’euros pour améliorer la qualité de vie de ses résidents. L’ameublement des chambres sera également renouvelé et un ascenseur sera installé, dans le respect de l’architecture de ce bâtiment historique.