Les relations Suisse – Arménie vues par l’Ambassadeur Lukas Rosenkranz

Arménie francophone
01.02.2023

En 1897, dans une Suisse qui comptait seulement 3 millions de citoyens, une pétition demandait au Conseil fédéral d’intervenir pour faire cesser les premiers massacres d’Arméniens dans l’Empire ottoman. Cette initiative avait recueilli plus de 450’000 signatures, record encore inégalé. En 2023, le soutien du peuple suisse aux Arméniens est toujours aussi fidèle. Mais pas l’attitude des autorités fédérales du pays qui ont rejeté en ce début d’année l’initiative cantonale des députés genevois intitulée "Pour la survie de l’Arménie".

Par Anna Aznaour, notre correspondante en Suisse

Afin de comprendre quels sont les actuels objectifs de la Suisse en Arménie, Le Courrier d’Erevan a interviewé dans la capitale arménienne son nouvel ambassadeur, entré en fonction en juillet dernier.

Courrier d’Erevan : Arrivé en Arménie en 2022, quelle a été votre première impression de ce pays que vous ne connaissiez pas ?

Lukas Rosenkranz : Quand je suis arrivé en été 2022, ce qui m’a le plus frappé, c’est à quel point la ville de Yerevan me semblait animée et joyeuse. Aucune comparaison avec la même ville plutôt grise que j’avais brièvement visité au mois de mars de la même année. Erevan, ça change avec les saisons !

Quelles sont vos priorités de diplomate en Arménie ?

Outre les tâches habituelles d’une ambassade bilatérale (défense d’intérêts, observation d’évènements politiques nationaux et régionaux, organisation de manifestations culturelles, contact avec les entreprises etc.), nous accordons ici une grande importance à la coopération au développement. Actuellement, nous mettons en œuvre la stratégie de coopération avec les pays du Caucase du Sud 2022-2025. Cette stratégie prévoit une augmentation substantielle de nos moyens réservés pour l’Arménie.

Cela va sans dire que l’année passée, la situation sécuritaire nous a fortement occupée.

Comment voyez-vous un éventuel approfondissement des relations Suisse-Arménie et dans quels secteurs d’activités ?

Il y a différents niveaux à considérer ici. En ce qui concerne la coopération, il y a déjà eu, comme je l’ai mentionné, une intensification de nos relations, entre autres, dans les secteurs de l’environnement et de l’agriculture, également en vue de la création d’emplois. Pour vous donner un exemple concret : la Suisse a en Septembre 2022, en collaboration avec l’Autriche et l’Allemagne, lancé un projet pour aider le gouvernement arménien à réformer la formation professionnelle dans l’agriculture en Arménie. Un autre projet aidera l’Arménie à combiner, de manière innovante, la conservation de la nature et la croissance économique (promotion d’un tourisme rural durable etc.). Je voudrais également mentionner notre engagement humanitaire : Suite à l’escalade militaire de l’année passée, la Suisse a approuvé une aide d’environ un million de francs suisses pour soutenir la résilience et la reprise économique des communautés frontalières affectées en Arménie.

En ce qui concerne le commerce, il existe certainement encore un potentiel de développement , même si, selon les statistiques arméniennes, la Suisse figure déjà parmi les destinations d’exportation les plus importantes. Cependant, le transport représente un défi certain pour la circulation des marchandises. Cela vaut moins pour les services, et ici l’Arménie a beaucoup à offrir, je pense par exemple au secteur informatique. 

Là où je vois certainement des opportunités d’approfondir les relations, c’est au niveau interhumain. Les Arméniens connaissent assez peu la Suisse, ce qui s’applique bien sûr aussi dans l’autre sens, et cela malgré la présence de la diaspora arménienne très bien intégrée en Suisse. D’autre part, il y a déjà des liens forts et très utiles entre des particuliers engagés, entre autres, dans le domaine de la culture, mais aussi de la médecine. 

D’après vous, quelles sont les similitudes et les différences culturelles les plus notables entre l'Arménie et la Suisse ?

Ce n’est pas facile d’évaluer cela après seulement six mois dans le pays. Je crois qu’il y a les deux à la fois, beaucoup de similitudes et beaucoup de différences. Je perçois l’Arménie comme un amalgame fascinant entre l’Europe, l’espace post-soviétique et le Moyen-Orient. Cependant, il me semble qu’il y a une volonté prononcée, non seulement au gouvernement mais aussi dans la population, de se rapprocher des valeurs européennes. A cet égard, je ressens quand même un peu de frustration parmi les Arméniens que ce rapprochement ne soit pas plus perçu et plus apprécié en Europe même.

Il est frappant de voir à quel point la famille joue un rôle en Arménie, sans doute un rôle encore plus important qu’en Suisse. D’une part, c’est bien sûr très positif et permet une grande solidarité familiale, mais je pense que cela limite parfois un peu la liberté individuelle.   

À ce jour, la Suisse fait partie des pays qui n’ont pas reconnu le génocide arménien perpétré par l’Empire ottoman. Pourquoi et que faut-il pour que cette reconnaissance de massacre d’un million et demie d’Arméniens ait enfin lieu ?

Le Conseil fédéral (le gouvernement de la Suisse) a exprimé à plusieurs reprises ses regrets quant aux évènements tragiques de 1915 et a souligné qu’il appartenait à la recherche historique de les évaluer. C’est pourquoi, dans le cadre de ses activités de médiation pour la normalisation des relations entre l’Arménie et la Turquie, la Suisse a également plaidé pour une prise en charge commune de l’histoire. L’espoir que les deux parties développeraient un jour une compréhension commune des évènements tragiques de 1915 était un motif important de la médiation suisse, et cet espoir existe toujours.

Pour être complet, je voudrais ajouter que le Conseil national suisse, l'une des deux chambres du Parlement suisse, a adopté un postulat de reconnaissance du génocide.