La nomination de son nouveau recteur il y a un peu plus d'un an, a permis à l'Université française en Arménie (UFAR) d'affirmer et de renforcer sa position d'établissement d'enseignement supérieur d'élite en Arménie.
Nous avons rencontré Bertrand Venard, Recteur de l’UFAR depuis un an, pour dresser avec lui le bilan de cette première année d'exercice aux commandes de l'une des trois universités leaders du pays.
Le moins que l'on puisse dire est que la prise de fonction de Bertrand Venard à la tête de l'UFAR en septembre 2020 ne se déroule pas dans des conditions tout à fait habituelles. Alors que la Covid sévit en Arménie depuis plusieurs mois, une guerre éclate avec l'Azerbaïdjan le 27 septembre 2020, mobilisant parmi tous les soldats quelques dizaines d'étudiants de son université dont onze sont tués au combat. L'accablement, le contexte social, politique et économique très difficile, un tremblement de terre de surcroit… Il y a de quoi décourager les plus audacieux.
Une stratégie
Bertrand Venard ne baisse pas les bras, ce n'est pas son genre : « La crise de la guerre me conférait des responsabilités encore plus importantes et nécessaires. Je n'étais pas venu pour des raisons financières, je n'étais pas là en recherche de prestige académique ou par intérêt scientifique, ma mission était et reste éthique. Je suis là pour aider l'Arménie et la jeunesse arménienne. Il fallait relancer les énergies au plus vite et redynamiser les individus en les associant à une nouvelle ambition et aux nouveaux projets. Mon passé très entrepreneurial, mais aussi de chercheur, avec une vraie vision internationale, m’a permis, avec les équipes, de vite identifier les opportunités et d’évaluer les menaces, étapes nécessaires pour établir un nouveau plan stratégique. »
Première phase : analyser l'existant et recueillir les points de vue de toutes les parties prenantes. « Nous avons associé une vaste communauté : les enseignants et les chercheurs, les étudiants, le personnel, les entreprises partenaires, le gouvernement, l'ambassade de France, le ministère de l'enseignement supérieur, des médias, toutes les personnes susceptibles de nous aider dans le développement de l'université. »
En à peine deux mois et demi, de septembre à mi-décembre 2020, Bertrand Venard enchaîne 45 entretiens et 55 réunions, « de plus de 3 heures d'affilée parfois ! » Grâce à une équipe très aguerrie et très impliquée « dont le Recteur est le porte-parole mais sans laquelle il n'existe pas » et sur la base des informations collectées, il élabore un plan et des orientations stratégiques, claires, simples à interpréter et donc à mettre en œuvre. La proposition est soumise au Conseil d'administration qui la valide dans la foulée dès mi-décembre 2020, seulement 2 mois et demi après l’arrivée du nouveau recteur.
L'idée est celle d'une stratégie incrémentale, progressive et adaptable à toute situation, sans jamais déroger de la ligne de base : faire de l'UFAR une université leader dans le Caucase et une université française de référence dans le monde. Il s'agit d'évaluer l'université à l'aune de celles qui exercent dans ce domaine d'activité et par voie de comparaison permanente, en déduire des innovations, des nouveaux programmes et d'autres manières de faire, tout en conservant ce côté laboratoire d'idées, ambitieux et dynamique, continuer d'être un modèle apprenant au fait des meilleures pratiques dans l'enseignement supérieur international.
Mais ce plan stratégique est aussi une vision : celle à 10 ans d'un Caucase élargi, en interaction avec ses voisins immédiats, au sein duquel l'UFAR se positionne parmi les universités leaders vers lesquelles convergent les étudiants d'une vaste zone incluant même la Russie et l'Iran. L’UFAR est porteuse d'une mission : transformer des jeunes en dirigeants intègres, responsables et ouverts sur le monde qui sauront se prendre en charge, peut être devenir des leaders d'opinion, de hauts-fonctionnaires, des hommes et des femmes qui vont mener des projets et constituer les chevilles ouvrières des changements à venir. L'élément incarné d'une université qui marque sa différenciation.
Écouter, analyser, concevoir
À partir du janvier 2021, le conflit s'étant calmé, la deuxième phase peut démarrer, celle de la mise en œuvre de la stratégie définie tout en continuant d'assurer les opérations courantes de l'université. « Déployer une stratégie n'est pas simplement un art de décision, c'est un art d'exécution. On passe alors sur un processus de "revue stratégique" : tous les 6 mois, on prend la peine d'observer la situation, de se poser des questions et travailler par rapport à nos indicateurs de performance, aux actions que nous avons menées et comment les faire évoluer. Il faut faire un effort de mise en résonnance, de lien profond entre la stratégie générale et le travail individuel des chefs de service et de départements dans leurs responsabilités. »
Le système est cohérent : une montée en gamme basée sur l'analyse des besoins, aussi bien en interne qu'auprès des entreprises, dans un esprit de coopération internationale, permet de mettre en place le plus rapidement possible des formations du plus haut niveau possible générant à terme plus de valeur ajoutée pour l'Arménie et la jeunesse arménienne. À ce titre, l'élaboration en un temps record d'un véritable cursus complet de la filière informatique est emblématique de cette méthode. « Quand j'arrive à l'UFAR, on a une licence en informatique, 4 ans d'études. À travers mes contacts et mes enquêtes, je me rends très vite compte de l'importance du secteur et de l'industrie des hautes technologies en Arménie, avec un vrai réseau d'entreprises tout à fait innovantes. La conception pédagogique d'un master en intelligence artificielle s'est naturellement imposée, elle est d'ores et déjà finalisée, la formation démarrera effectivement en septembre prochain, et aujourd'hui, un an à peine après mon arrivée, nous sommes déjà à travailler sur le doctorat en informatique de l’UFAR avec de nombreux projets de thèse financés. Nous devrions l'annoncer officiellement dans les semaines qui viennent. » Cerise sur le gâteau : ce master en intelligence artificielle sera accessible en cours du soir et permettra donc à des professionnels du secteur de travailler dans la journée, d'étudier le soir et de pouvoir mettre en application pratique, dès le lendemain, l'enseignement reçu la veille. « Le temps de diffusion de la connaissance sera quasi immédiat. »
La dynamique qu'insuffle le Recteur à son université est permanente : c'est la clef du succès de cette montée en gamme, « toute une série d'actions pour faire en sorte que nos étudiants soient encore plus capables de s'insérer et réussir dans la vie professionnelle. » Un plan de réintégration spécialement adapté aux ex-militaires est ainsi mis en place au printemps 2021, une remise à niveau "préprofessionnelle" de leurs connaissances après deux longues années de service.
Mais il faut aussi savoir créer des opportunités, l'Arménie n'en offre encore que peu et de nombreux jeunes, surtout les mieux formés, envisagent sous de meilleurs auspices une carrière à l'étranger. "L'Accélérateur 28" (en référence à la première constitution de l'Arménie le 28 mai 1918) est un incubateur d'entreprises, une structure d'appui à la création d'entreprises pour inciter les jeunes à rester et monter leur entreprise en Arménie, et sans doute à terme, y créer de nouveaux emplois. L’idée de cet accélérateur lui est venue suite à un échange avec une ancienne de l’UFAR en pleine guerre de 2020, celle-ci lui déclarant : « je ne sais pas si l’Arménie a un futur, je ne sais pas si je dois rester en Arménie ». Préoccupé le Recteur déclare : « j’y ai pensé toute la nuit. Cela me faisait de la peine pour l’Arménie. Comment faire en sorte que les jeunes restent au pays ? Évidemment, en les incitant à créer une entreprise ». Dès le lendemain, le 10 novembre 2020, le Recteur lançait l’idée d’un centre dédié à développer l’entrepreneuriat des ufariens. "L’Accélérateur 28" était né.
« Nous avons déjà eu deux promotions avec plus de cinquante participants. On ne parle pas de centaines de projets mais l'idée est de créer une, deux ou trois entreprises par an, ce qui est déjà énorme. »
Garantir la logistique
Les grandes idées, les projets phares, le Recteur n'en manque pas. Encore faut-il les concrétiser, prouver leur efficacité et assurer les conditions de leur succès. C'est un travail au quotidien qui nécessite des prises de décisions, d'absorber les perturbations, celle de la pandémie par exemple, mener des réunions et formaliser un certain nombre de choses.
La logistique tout d'abord : rénover les locaux, les salles de cours, créer un amphithéâtre, installer des climatiseurs, repeindre, etc. La pédagogie ensuite : la formation du corps professoral, l'amélioration de ses performances, l'acquisition d'outils pour faire des sessions de cours plus interactives. C'est également la recherche, en se concentrant sur les domaines de la transition digitale, le recrutement d'un responsable recherche et un budget dédié en forte augmentation, les activités culturelles, composante essentielle d'une université d'excellence comme l'UFAR, la communication enfin, dynamique et sophistiquée à finaliser par une refonte de l'identité visuelle de l'UFAR.
De tels investissements nécessitent bien évidemment de trouver les fonds pour y parvenir. « Les fonds publics français sont en baisse, dans tous les domaines, et bien que nous soyons une université de droit arménien, nous sommes malgré tout indirectement touchés. Nous nous devons d'être de plus en plus autonomes. Une grosse part du travail de recteur consiste à trouver des partenaires et les persuader de nous aider. Mais nous avons une particularité : quand on nous donne un euro, on investit un euro, on ne prend rien. Du coup, nos partenaires comprennent tout de suite où va leur argent et ne se posent aucune question quant à sa finalité. Ils savent qu'il sera totalement employé à la cause qu'ils soutiennent. »
Bertrand Venard troque alors le costume d'enseignant pour celui d'entrepreneur commercial. Il en a l'expérience, il sait convaincre : c'est un chef d'entreprise qui s'adresse à ses pairs. Sollicités, les partenaires traditionnels de l'UFAR répondent tous présents : l'Ambassade de France, le gouvernement arménien, l'UGAB, qui aide régulièrement les étudiants à faire un stage à l’étranger, et Raymond Yezeguelian, le mécène historique, prennent à leur charge une partie des travaux de rénovation. Amundi ACBA et l’UGAB, financent le nouvel amphithéâtre. Mais de nouvelles et nombreuses conventions de partenariat sont signées, tant avec des entreprises privées telles que la société SoftConstruct pour la dotation de bourses aux étudiants et d'une thèse de doctorat, qu'avec des institutionnels français, la région Île-de-France et la Région Auvergne-Rhône-Alpes co-financeur du prochain campus de l'UFAR. « Ce projet a constitué un élément de grande mobilisation au cours de mon année à l'UFAR. Nos projections montraient qu'à l'horizon 2024- 2025 nous devions accueillir 2500 étudiants à plein temps. Nous avons déjà deux campus, le nôtre en propre, ici, et une antenne à l'Institut d'informatique et des problèmes d’automatisation qui dépend de l'Académie Nationale des Sciences de la RA. Mais il était évident qu'il fallait passer à la vitesse supérieure et trouver de nouveaux locaux. Nous avons fini par identifier un bâtiment existant dont les rénovations sont en cours de chiffrage. Le dossier devrait être monté pour décembre afin d'être présenté au conseil d'administration dans la foulée. Nous pourrions signer en février et idéalement, lancer un appel d'offres dès le mois de mars pour commencer les travaux en juin 2022 et être prêts pour la rentrée de septembre 2023. » Pour le Recteur, un enjeu en lien avec le projet de ce nouveau campus est l’obtention de l’aide financière auprès de la diaspora arménienne pour permettre la réalisation d’une université française de prestige.
Pour l'Arménie
Ce futur campus d'une urgente nécessité est le dernier défi en date que doit relever Bertrand Venard et certainement pas le plus simple. Un an après sa prise de poste de Recteur de l'Université française en Arménie, et le succès démontré de ses premières réalisations, sa conviction demeure cependant inchangée : « L'Arménie est un pays un peu brut qui demande un engagement total dans ces situations si extrêmes de multiples crises notamment militaires. Je ne regrette pas d'être venu en Arménie : c'est un pays très attachant, qui me marquera et dont je me suis encore plus rapproché à la proximité des Arméniens. En travaillant avec eux, en découvrant leurs qualités, leurs défauts aussi, mais surtout en vivant avec eux leurs souffrances. Il faut savoir garder le cap, son dynamisme, parfois c'est extrêmement dur et préoccupant et confère encore plus de responsabilités à mener à bien nos entreprises. Je pense que j'ai encore des choses à apporter à ce pays et avec des équipes et des parties prenantes de cette qualité, nous allons pouvoir mener notre projet stratégique vers le succès, pour l'Arménie et pour les jeunes Arméniens. »
