« Danser » le savoir : La Compagnie Hallet Eghayan

Arts et culture
27.07.2021

La Compagnie Hallet Eghayan était récemment en tournée en Arménie avec un spectacle intitulé « Un rameau sortira », l’une des nombreuses œuvres chorégraphiques de son répertoire. Michel Hallet Eghayan, son fondateur basé à Lyon, chorégraphe et directeur artistique est un ancien élève de Merce Cunningham de New York et cofondateur de la Maison de la Danse à Lyon. Il se focalise aujourd’hui sur trois vecteurs fondamentaux : la création, la formation et l'éducation artistique.

Bruno Miachon, directeur général de la Compagnie et ancien danseur, revient sur cette aventure et nous parle de ses projets reliant arts et sciences, ainsi que de ses axes de collaboration avec l’Arménie.

 

Pourriez-vous nous retracer l’historique de la Compagnie ? Quel est l'apport des origines du fondateur dans sa philosophie ?

La Compagnie a été créée en 1977 par Michel Hallet Eghayan. Il a fait ses études de danse aux Etats-Unis et est ensuite revenu en France où il a créé sa Compagnie. Il a très vite réalisé que pour avoir des danseurs, il fallait les former. Avec 4 autres chorégraphes, il fonde donc sa propre école, la Maison de la Danse, l’une des plus grandes maisons de programmation de la danse aujourd’hui en France et en Europe. Il a développé son travail autour de trois axes majeurs : la création, plus d'une centaine depuis 40 ans, la formation professionnelle et l’éducation artistique.

Michel Eghayan s’est par ailleurs rapidement rendu compte de sa dualité, qu’il avait deux « corps », deux origines… Sa culture arménienne occupait une place de plus en plus prépondérante dans son travail artistique et notamment dans son écriture, des liens très forts le ramenaient petit à petit à ses racines. Dès la fin des années 80, il a souhaité développer des relations concrètes avec l’Arménie afin d'en redécouvrir toutes les richesses. 

 

Quels sont les projets d’éducation et de formation que la Compagnie met en place ?

La Compagnie compte deux écoles de théâtre amateur à Lyon et un centre de formation professionnelle. Tous les acteurs de la Compagnie en sont issus, à quelques exceptions près. Une fois formés, les danseurs eux-mêmes prennent la relève et assurent les cours. La formation du public fait également partie du projet artistique. On le forme en le faisant danser ! Dans le cadre de nos projets de collaboration culturels et artistiques avec l’Arménie, nous avons mis l’accent sur ce travail. C’est une tradition inscrite dans les fondements de la Compagnie.

 

Plusieurs de vos œuvres chorégraphiques semblent  vouloir relier les arts et les sciences. Pourriez-vous nous en dire davantage sur ce croisement pour le moins original ? Quels sont notamment les savoirs repris par l’art ?

À la fin des années 80, Michel rencontre un certain nombre de personnes issues du milieu universitaire. Il comprend qu'offrir aux danseurs une formation universitaire en parallèle leur évite de s’enfermer dans leur monde et leur permet au contraire de s’ouvrir aux connaissances universelles. Si l’art ne se lie pas au savoir de ce monde - scientifique, philosophique, intellectuel- il n’a pas sa place. L’art s’est construit pour révéler des connaissance. Les étudiants effectuent donc leur cursus en danse en même temps que des études universitaires.

Nous avons aussi voulu faire participer des personnalités scientifiques, des chercheurs et des philosophes au sein même de nos créations. On a appelé ce type de projet des « Conférences dansées ». Cet éclairage réciproque du discours poétique de l’art, de la danse par celui des intellectuels ou des scientifiques, plus explicite et plus rigoureux, est vraiment intéressant et fait naitre un autre regard.

L'un de ces projets a donné naissance à un spectacle intitulé « Danser avec évolution », avec la présence sur scène au milieu des danseurs de Pascal Picq, paléoanthropologue et professeur au Collège de France. Ce spectacle qui porte sur les origines de l’homme a été donné sur 150 représentations. Nous l'avons fait suivre d'un deuxième sur le thème de l’origine de l’univers avec l’astrophysicien Roland Bacon.

Le spectacle avec lequel nous avons tourné en Arménie, « Un rameau sortira », s’appuie sur les connaissances mises à notre disposition par le musée de Saint-Antoine-l’Abbaye en Isère, lieu du départ de l’ordre des Antonins, frères hospitaliers. Nous nous en sommes largement inspirés pour la création de ce spectacle ainsi que de celles que nous avons découvertes au Maténadaran, l'Institut Mashtots de recherches sur les manuscrits anciens d'Erevan. 

 

L’accès à la culture et la lutte contre l’exclusion sont des problèmes contre lesquels la Compagnie réagit activement. Comment luttez-vous contre la marginalisation des sociétés à travers l’art ?

Le rôle de l’art a toujours été de donner du sens et de créer de la cohésion sociale. Le système mis en place en France depuis une cinquantaine d'années a engendré un fonctionnement à plusieurs vitesses. Des populations défavorisées ont été concentrées dans  certains quartiers qui sont peu à peu devenus de véritables ghettos. À tel point que dans les années 80, on a dû créer un Ministère de la politique de la ville afin de rééquilibrer et rénover ces quartiers qui étaient dans un état lamentable. D'importants moyens sont consacrés à la rénovation. Nous, nous travaillons sur la formation des enseignants pour les accompagner à l’école avec l’apprenti de la danse. La pratique de la danse apporte à une classe une dynamique que les enseignements fondamentaux ne fournissent pas forcément : la vie du groupe, le regard critique et le soutien aux autres.  

Avec nos partenaires de la ville de Lyon, nous avons donc pensé à développer cette pratique de la danse dans un quartier en grande difficulté sociale. En travaillant avec des enfants dépourvus de cadres sociaux aisés, nous nous sommes rendus compte de l’impact que la pratique de la danse pouvait avoir auprès d'eux.

 

Et le projet de collaboration avec Arménie ?

Ce projet s’inscrit dans le cadre de jumelage des villes françaises et arméniennes. La coopération ne peut pas être unilatérale, il faut investir des deux côtés pour que les choses puissent se faire dans la culture.

Cette fois-ci, nous sommes venus en Arménie pour présenter le spectacle et animer des ateliers de formation qui permettent aux enseignants d’aborder des thématiques différemment que dans leurs cours de français. C’est exactement ce type de master class que nous avons pu organiser avec les jeunes de Gavar, grâce à notre partenaire, France Formation sans oublier l’UFAR, au Conservatoire Komitas d’Etat d’Erevan et au Choreography Development Foundation. Nos partenaires du Département de l’Isère, des villes de Grenoble et de Lyon, Lyon Métropole et l’Ambassade de France sont à l'origine de cette collaboration de même que nos partenaires locaux en Arménie, dont les théâtres notamment.

Propos recueillis par Lusiné Abgarian