Des donateurs à l'insu d'eux-mêmes

Actualité
02.02.2024

Dans ses éditions du 30 janvier, le media en ligne Infocom, réputé pour sa réactivité et la qualité de ses sources, a publié une longue et troublante enquête sur le financement de la campagne du parti au pouvoir pour les élections municipales d'Erevan à l'automne dernier

 

« Le 31 juillet 2023 », rapporte le média en ligne Infocom, un couple d'amis se présente à l'agence d'"Armeconombank", rue Aram, dans le centre d'Erevan. L'homme a demandé à son amie de lui rendre service pour une transaction qu'il ne peut effectuer sous son nom. « Peu de temps après », poursuit le média « il ressort et prie celle qui l'accompagne d'entrer, lui disant qu'un homme la rejoindrait sur place et lui dirait quoi faire ». Infocom cite alors la personne : « J'ai abordé l'homme, un employé du service après-vente, il m'a tendu un reçu et pour que je le signe. En signant, j'ai vu que je transférais 2,5 millions de drams au parti du "Contrat civil" ». Lorsqu'elle ressort de la banque, inquiète, « la femme demande à son ami resté dehors si elle risque des problèmes. Ce dernier a répondu qu'elle ne devait pas en parler et si on l'appelait, elle dirait qu'elle n'était au courant de rien ».

Le groupe de journalistes qui a mené et publié cette longue enquête parue le 30 janvier, citent dans leur article plusieurs autres cas similaires  de « financements involontaires ». Ils affirment également avoir identifié « presque toutes les personnes dont le "don" est supérieur à un million de drams ». Les versements auraient été effectuées pour la plupart peu avant le 5 aout 2023, date à laquelle Armen Pambukhchyan, responsable de campagne du "Contrat civil" et aujourd'hui premier adjoint au maire d'Erevan, annonce la collecte de plus de 506 millions de drams auprès de 987 donateurs.

Pour les journalistes, la véritable provenance de ces fonds demeure inconnue et jette une forte suspicion sur la regularité du financement de la campagne. Les noms de certaines personnalités figurent aussi sur la liste des donateurs qui toutes nient avoir donné de l'argent au parti au pouvoir.

L’enquête détermine trois constantes dans la provenance de ces dons : « les fonctionnaires, les candidats au conseil, les membres actuels et leurs affiliés sont les principaux donateurs, d'importantes sommes d'argent ont été données par des personnes liées à de grandes entreprises commerciales et les personnes qui ont donné de 1 à 2,5 millions de drams vivent à des adresses proches les unes des autres ». Ainsi, pour le seul quartier de Nor Nork, au nord de la capitale, cinq habitants, au demeurant très modestes, d'un même immeuble tout aussi modeste, se sont acquittés du montant de don le plus élevé autorisé par la loi, soit 2,5 millions de drams.

Concernant l'implication dans ces financements de grandes entreprises commerciales, l'enquête constate également de troublantes coïncidences. « Au moins 8 des 140 donateurs qui ont transféré 2,5 millions de drams travaillent dans l'une des entreprises les plus connues du secteur de la restauration en Arménie ». Les journalistes affirment « disposer d'informations selon lesquelles les dons ne proviennent pas des fonds personnels des salariés, mais l'entreprise a transféré ces sommes en leur nom ».

Interrogé par Infocom à ce sujet, l'un des dirigeants de l'entreprise incriminée rejette catégoriquement l'hypothèse. « Si la question est de savoir si l'argent a été donné par la société ou son dirigeant, alors certainement non. Est-ce que d'autres personnes, leurs amis personnels, leurs proches ou d'autres aient pu le faire pour que ces personnes fassent suivre ces dons, ce ne peut être qu'une coïncidence. Autrement dit, sur 2 500 personnes qui travaillent dans l'entreprise, 8, 10 ou 5 d'entre elles peuvent toujours s'unir autour de quelque chose et faire quelque chose sur lequel nous n'avons ni contrôle, ni désir d'entrer dans cette partie de la vie des gens »

Hier, 31 janvier, Gevorg Papoyan, président de la commission du crédit financier et des affaires budgétaires de l'Assemblée nationale et vice-président du Contrat civil a réagi dans les colonnes d'Azatutyun à l'enquête publiée par Infocom. « Si quelque chose de ce genre arrivait, vous devriez en parler aux destinataires. Peut-être que cela n'est jamais arrivé, peut-être qu'il y a eu une confusion. Je ne peux rien dire de précis car, je le répète et le dis clairement, le parti ne peut pas, ne peut pas, c'est inacceptable." Quant aux bonnes grâces que certains hommes d'affaires pourraient attendre en contrepartie de leur générosité, le député ajoute : « participer à la collecte de fonds du parti n'a jamais exempté aucun homme d'affaires et ne l'exemptera d'aucune obligation ni ne lui procurera un quelconque avantage ».

Joignant le geste à la parole et témoignant ainsi de sa bonne foi, Gevorg Papoyan faisait part simultanément sur sa page Facebook, hier toujours, du retour en toute politesse, d'une bouteille de brandy arménien à son expéditeur, soulignant bien qu'il se conformait à la loi entrée en vigueur depuis le 1er janvier, interdisant à un fonctionnaire ou à un agent public d'accepter un cadeau lié à ses fonctions officielles.

Interrogé enfin sur le fait que "Contrat civil" n'ait donné suite aux demandes de documents sur le financement de leur campagne qu'après le dépôt d'une plainte en justice, Gevorg Papoyan a affirmé que son parti ne savait pas que ces demandes avaient été rejetées. Les journalistes d'Infocom affirment cependant avoir abordé ce sujet avec l'autre vice-président du parti, Vahagn Aleksanyan.

Le député a suggéré que la justice enquête sur l'affaire révélée par les journalistes d'Infocom. Le bureau du procureur a affirmé ne pas être saisi de l'affaire.

Sources Infocom et Azatutyun