Faire du neuf avec du vieux ?

L'édito du mois
20.05.2021

On s’en doutait, c’est arrivé… Le deuxième président arménien Robert Kotcharian vient d’annoncer la création d’une nouvelle alliance avec un nom laconique mais qui en dit long sur son ambition – Haïastan (Arménie). La nouvelle force politique regroupe les entités tout à fait hétéroclites, comme la très traditionnelle FRA Dachnaktsoutioun et le tout nouveau Parti Renaissance Arménie présidé par Vahé Hagopian, le tout avec Robert Kotcharian comme leader incontesté et candidat pour le poste du première-ministre lors des prochaines élections législatives anticipées. 

Le retour de Kotcharian en politique était annoncé et orchestré depuis longtemps déjà. Le procès avorté contre lui et ses quelques lieutenants qui a duré plusieurs mois, monté sur un coup d’inculpation farfelu (alors que les points sur lesquels l’ex-président arménien aurait pu être épinglé ne manquaient pas) lui a donné des raisons pour revenir sur l’avant-scène politique. Et la situation de chute libre dans laquelle se trouve l’Arménie aujourd’hui ne fait qu’ajouter des arguments à sa mission du « sauveteur », voire du « sauveur »... 

Arrivé au pouvoir suite à un quasi coup d’Etat de 1998 qui a vu le premier président de l’Arménie indépendante, Levon Ter-Petrossian, jeter le tablier au profit de cet ancien activiste originaire d’Artsakh qu’il avait dirigé en tant que président avant d’occuper le poste du premier-ministre en Arménie, Robert Kotcharian a vite tourné la situation à son profit. Certains se souviennent des débats sur la légitimité de son élection présidentielle, car la condition des dix ans d’ancienneté en tant que citoyen arménien pour être éligible à ce poste ne semblait pas être tout à fait remplie… Mais qui s’en étonnera, surtout aujourd’hui, quand une enquête est lancée contre l’actuel président arménien Armen Sarkissian, soupçonné d’avoir caché sa nationalité britannique…

Décidément, l’Arménie est un théâtre où la tragédie et la comédie se succèdent, et l’on serait bien content de profiter du spectacle, si seulement on arrivait à oublier que le prix des places était libellé en vies humaines et en destin de l’Etat arménien en tant que tel...

Le retour en politique de Robert Kotcharian représente une réelle menace à l’éventuelle réélection du bloc « Mon Pas » dirigé par Nikol Pachinian. Malgré la présence de nombreux partis politiques souhaitant prendre part aux prochaines élections (une vingtaine pour une population de deux millions et demie de personnes !), l’alliance dirigée par Kotcharian a des réelles chances soit de gagner, soit de passer en tant que deuxième force au parlement. Car en Arménie, ce n’est pas sur des programmes qu’on vote, mais pour ou contre une personnalité.  

En présentant sa candidature, Kotcharian joue sur le rejet de la politique défaitiste adoptée par la majorité actuelle. A la ressource administrative largement utilisée par le pouvoir en place, il va opposer l’important potentiel de vote de nombreux employés des entreprises appartenant aux membres de sa famille, ajouté au vote protestataire des « déçus de Pashinian ». Et il ne manque pas de ressources, humaines ou financières, pour y arriver…

Mais l’atout principal qui fait penser à une possible réussite de Robert Kotcharian lors des prochaines élections est le soutien infaillible dont il bénéficie de la part de la Russie. Depuis des mois, on n’hésite pas à mettre en avant les qualités de cet « ami personnel de Poutine ». Nombreux journalistes, politologues, hommes politiques russes lui apportent ouvertement leur soutien. Une armée entière des technologues politiques, principalement russes, travaille dans l’ombre pour son élection. 

Il faut bien dire que Robert Kotcharian sait mettre le doigt là où il fait mal, à savoir deux problèmes majeurs : celui d’Artsakh et de la sureté de l’Arménie elle-même. Son remède : une union avec la Russie allant jusqu’à l’intégration dont il ne précise pas le degré. Est-ce réaliste ? Oui, en connaissant la situation géopolitique régionale. Est-ce souhaitable ? Non, comme toute opération menant à la perte totale ou partielle de la souveraineté. 

Ainsi, malgré l’abondance des candidats, le duel principal semble se dessiner : les prochaines élections législatives en Arménie vont être encore une bataille entre les « anciens » et les nouveaux », les uns aussi malvenus que les autres.

A moins que ces élections n’aient pas lieu du tout...