Aïshat Baymuradova, jeune femme tchétchène ayant fui en Arménie retrouvée assassinée à Erevan

Société
27.10.2025

Le corps d’Aishat Baymuradova a été retrouvé le 19 octobre, rue Demirchyan à Erevan. Les affiches de sa disparition étaient encore visibles dans les rues de la ville, elle avait été portée disparue quelques jours plus tôt, le 15 octobre, quittant sa colocation pour aller rejoindre une amie récemment rencontrée sur les réseaux sociaux. 

 

Par Camille Ramecourt 

Aishat Baymuradova était une jeune femme tchétchène de 23 ans, ayant fui la Russie pour se réfugier en Arménie, apparament à la suite de violences domestiques et désaccords avec sa famille. Elle avait quitté son pays avec l’aide d’une association humanitaire aidant les femmes du Caucase à partir de leur pays lorsqu’elles sont en danger. Elle vivait avec des amis à Erevan depuis. Ceux-ci ont signalé sa disparition et ont contacté associations et activistes lorsqu’Aïshat a cessé de répondre à leurs appels, et qu’ils n’ont vu personne au lieu de rendez-vous prévu qu’elle leur avait indiqué.

L’activiste Daniil Chebykin a d’abord considéré qu’elle aurait pu être ramenée de force auprès de sa famille. Il a également indiqué que la femme avec qui elle avait rendez-vous le soir de sa disparition avait des abonnés liés à Ramzan Kadyrov, président tchétchène. L’association NC SOS (North Causasus), qui aide les femmes et les populations LGBT de la région, a écrit que la femme rencontrée sur Instagram s’appellait Karina Iminova. L’un de ses abonnés serait l’ancien premier ministre Rubati Mitsaeva, ayant rejoint le camp de Kadyrov en 2021. 

Lidia Mikhalchenko, fondatrice du projet humanitaire “Caucase sans mère”, était en contact avec Aïshat avant son décès. Elle a déclaré que deux personnes attendaient Aïsha au lieu du rendez-vous, et que la femme rencontrée sur les réseaux sociaux lui avait tendu un piège, avant de supprimer son compte Whatsapp. Elle ajoute la possibilité que les deux suspects soient repartis en Russie. 

 

Les circonstances de la mort d’Aïshat ne sont pas encore clairement établies. Lidia Mikhalchenko a mentionné la possibilité qu’Aïshat eut été étranglée, mais le média local Shamshyan indique que son corps aurait été retrouvé noirci. Une enquête pour meurtre a été ouverte, et une expertise médico-légale est lancée pour définir officiellement ce qu’il s’est passé.

 

La famille d’Aïshat, contactée par le média russe IA Regnum, indique n’avoir rien à voir avec sa mort. Son oncle ajoute n’avoir appris sa disparition que le 20 octobre. Cependant Lidia Mikhalchenko est convaincue qu’Aïshat a été victime d’un crime dit d’honneur, pour avoir fui son pays, et mené une existence considérée indécente, ayant déshonoré sa famille. Sous Kadyrov, l’idée que la vie des femmes doit être sous contrôle de leurs parents masculins a été largement promue, et la violence domestique institutionnalisée. Il est également possible qu’Aïshat ait été la cible du régime tchétchène lui-même, Novaya Gazeta Europa rapportant qu’elle le dénonçait activement sur les réseaux sociaux. 

D’après le journal, Aïshat aurait subi des mauvais traitements de la part de son père, puis aurait été mariée très jeune à un mari violent, et eu un enfant qu’elle lui aurait laissé, ce qui aurait pu “satisfaire” sa famille.

 

La jeune femme n’a pas souhaité se cacher une fois en exil. Elle critiquait la persécution des activistes en Tchétchénie, et débattait régulièrement avec quiconque défendait les forces étatiques en ligne. Elle faisait cela publiquement, avec sa propre photo et sans faire mystère du fait qu’elle résidait alors en Arménie. 

 

Si le meurtre d’Aïshat serait la première triste occurence d’un crime dit d’honneur en Arménie, ce n’est pas la première fois que le pays sert de refuge aux citoyens du Caucase persécutés en raison de leur orientation sexuelle, ou de leurs vues politiques. En 2020, l’association NC SOS a aidé Salman Mukaev à quitter la Tchétchénie après des suspicions d’homosexualité, et tortures du régime. Il s’est rendu en Arménie, d’où la Russie a demandé son extradition, refusée par un tribunal d’Erevan, qui lui a accordé asile et le statut de réfugié l’année dernière.

À ce jour, dix ONG arméniennes se sont constituées partie civile pour exiger une enquête indépendante et approfondie sur le meurtre d'Aïshat. Le corps de la jeune femme n'ayant toujours pas été réclamé par sa famille pour les funérailles, celles-ci devraient avoir lieu prochainement en Arménie, avec l'aide de volontaires et des ONG du pays.