De l'art de la guerre, du sacrifice et du dialogue

Région
24.02.2023

Lors de la réunion gouvernementale du 23 février, le président de la République d'Artsakh, Arayik Harutyunyan, a rendu public un décret sur la destitution de Ruben Vardanyan de ses fonctions de ministre d'État du Haut-Karabakh.

Par Olivier Merlet

 

Après avoir témoigné de sa reconnaissance à celui à qui il n'aura confié que 112 jours les commandes du gouvernement, Arayik Harutyunyan a indiqué la nomination en remplacement à ce poste de Gurgen Nersisyan, procureur général du Haut-Karabagh.

« Je suis reconnaissant à M. Vardanyan d'avoir toujours essayé autant que possible de partager avec moi les responsabilités, tant dans les relations amicales que collégiales, et de ne pas avoir essayé de les reporter sur moi en se référant aux normes constitutionnelles. Mais d'un autre côté, il était conscient et comprenait l'ampleur et le degré de ma responsabilité personnelle dans la situation en Artsakh et les problèmes à venir », a ainsi déclaré Arayik Harutyunyan.

 « Je sais qu'il y a beaucoup de pression liée à mon séjour en Artsakh, mais je dois mentionner que non seulement je ne m'en irai pas, mais je ne peux pas m'imaginer sans Artsakh. L'Artsakh, le Nagorno-Karabakh est ma maison », a répondu plus tard l'ex-ministre d'État, sans oublier de remercier ses équipes et le président Harutunyan « pour le temps que nous avons passé à servir ensemble. Bien que nous ayons des points de vue différents sur les questions, nous avons des lignes rouges communes, que personne ne peut franchir - des lignes rouges importantes pour préserver notre dignité et faire en sorte que l'Artsakh soit libre et Arménien ».

Le limogeage en bonne et due forme de l'ancien homme d'affaires arméno-moscovite, qualité, justement, que lui reproche le président azerbaïdjanais qui l'accuse d'être l'envoyé du Kremlin au Karabagh, n'a pas totalement surpris.

Le 18 février à Munich, alors qu'il participait avec les Premiers ministres arménien et géorgien à une table ronde sur les questions de sécurité dans le Sud-Caucase, Ilham Aliyev avait posé comme préalable à un éventuel dialogue avec les représentants du Haut-Karabagh, le départ inconditionnel de Ruben Vardanyan. Cinq jours plus tard, l'ordre intimé par Bakou a été exécuté, et si Ruben Vardanyan n'a pas quitté la république arménienne autoproclamée -et assiégée- il n'y mène plus d'autre activité officielle que celle pour l'agence de développement d'Artsakh qu'il a fondé à l'automne dernier : "Nous sommes nos montagnes".

Beaucoup s'accordent à dire cependant que les exigences de Bakou ne sont pas seules en cause dans le lâchage de Ruben Vardanyan. Sa personnalité même dérangeait, tant à Stepanakert qu'à Erevan, faisant de l'ombre à certains et gênant les stratégies des autres, des stratégies parfois majeures issues des plus hautes sphères. Toutefois, peu importent en fait le personnage et la consistance de son travail effectué pendant 112 jours en tant que ministre d'État, la valeur politique de cette destitution, au moment où elle intervient, est hautement et tristement symbolique.

Au lendemain de l'ordonnance prise par la Cour de justice des Nations Unies exigeant de l'Azerbaïdjan l'ouverture du corridor de Latchine et la levée du blocus du Haut-Karabagh, ce départ pourrait peut-être -au moins l'espère-t-on- en annoncer l'exécution. Certes. Mais comme l'évoquait lui-même l'intéressé dans son dernier discours devant les membres du gouvernement d'Artsakh, cette stratégie dite "du salami" employée par Bakou pourrait finir par avoir raison de la résilience de Stepanakert et de tous les Kharabatsis.

Un politologue arménien, Arat Poghosyan estimait dans les colonnes du journal Aravot qu'avec la révocation de Vardanyan, « l'Azerbaïdjan pourrait rapidement annoncer le début du programme de réintégration du Karabakh […]. Après avoir accepté la démission de Ruben Vardanyan, vous serez d'accord sur tout. Pourquoi? Parce qu'aujourd'hui, par sa démission, la route peut être ouverte, demain elle sera de nouveau fermée avec une nouvelle demande, et encore, encore et encore ». Le politologue de faire même référence à l'Art de la Guerre de Sun Tzu : « lorsqu'il assiège une forteresse, un général clairvoyant laisse toujours une voie, celle de l'évacuation. Cette route causera la division dans l'armée ennemie, et certains s'enfuiront par-là, quittant la défense du château, et certains, étant laissés seuls, devront mourir. Et les faibles d'esprit ouvriront les portes du château aux ennemis ».