François-Xavier Bellamy : de l'Europe à Goris, des paroles aux sanctions

Région
13.02.2023

Le jeune député européen François-Xavier Bellamy, ex-professeur de philosophie et numéro deux du parti français des Républicains, était en visite express en Arménie le week-end dernier. C'était le 2eme voyage de ce fervent partisan de la cause arménienne depuis la guerre des 44 jours. Depuis la frontière du Syunik, aux portes du corridor de Latchine, il a adressé un double message, d'espoir et de confiance aux habitants du Karabagh, d'appel aux actes aux instances et gouvernements de l'Europe.

Texte et photos par Olivier Merlet

 

François-Xavier Bellamy, FX pour ses proches, compte parmi l'un de ces grands promoteurs politiques de la cause arménienne en France, des hommes souvent d'une droite bien marquée. Sa tribune à lui, c'est celle du parlement européen et c'est d'ailleurs pour y porter son témoignage et juste raconter ce qu'ont vu ses propres yeux, seulement cela, qu'il a effectué le déplacement jusqu'ici aux confins de l'Arménie.

Son avion en provenance de Bruxelles, via Vienne, s'est posé à Zvarnots samedi à 4h30 du matin. 6 heures de voyage. Pas de délégation, pas de comité d'accueil, sans même le temps de prendre un café il embarque à bord d'une voiture direction Goris, chef-lieu du Syunik, juste lui, son attaché parlementaire et un journaliste de Radio France Internationale. Quatre heures de trajet encore, juste pour aller voir et repartir raconter au Parlement européen, il sera à Strasbourg lundi matin.

Robert Ghukasyan, le gouverneur de Syunik les attend dans sa ville de Goris. Cet ami personnel de Nikol Pashinyan est né à Sumgaït. Il avait huit ans lors des évènements, ceux du pogrom anti-arménien de 1988. Sa famille et lui sont ensuite partis vivre au Karabagh, la guerre des 44 jours les en a chassés. Il est entré en fonction à la tête de province il y aura tout juste un an au mois de mars.


François-Xavier Bellamy et Robert Ghukasyan, le gouverneur du Syunik

Accueil à l'arménienne dans un hôtel qui domine la ville sur les hauteurs de Goris, table pleine - fromages, crudités et herbes fraiches, viande grillée et champignons farcis. François-Xavier Bellamy remercie son hôte et lui explique de vive-voix les raisons impérieuses qui l'ont poussé à effectuer ce déplacement express au cœur du Sud-Caucase. L'Europe a les yeux rivés sur l'Ukraine et les Azerbaïdjanais, très sensibles à la façon dont ils sont perçus, jouent encore de la situation. « La propagande azérie nous pose un gros problème et sème le doute sur la catastrophe qui se joue ici. Il fallait venir vérifier sur place pour repartir parler d'une voix forte devant le Parlement européen».

Le gouverneur de Syunik réagit :  « ce n'est pas possible de douter de la situation lorsque 120 000 personnes ne peuvent sortir du Karabagh et que nous avons ici, coincées à Goris, 400 autres qui ne peuvent rejoindre leurs familles. Le gouvernement a déjà consacré plus d'un million de dollars pour l'accueil de ces gens dans les hôtels de Goris ».

Pour l'heure, c'est vers la frontière que nous nous dirigeons. Karashen, Tegh, en quelques kilomètres seulement, nous croisons deux convois de quatre puis sept camions militaires pavoisés du fanion blanc bleu rouge de la fédération de Russie. Deux camions arméniens se sont intégrés au deuxième convoi des soldats de la paix du Kremlin. En surplomb du col que nous atteignons, un poste d'observation arménien surveille les derniers espaces du territoire encore libre, puis la route redescend sagement en un ample et dernier lacet pour arriver jusqu'au poste frontière.


Queue de convoi des forces russes de maintien de la paix 

Personne ne passe. 300 mètres plus loin, c'est le premier poste russe. Il y en a 10 comme cela jusqu'à Stepanakert. Inutile d'aller plus loin, si les garde-frontières arméniens lèvent parfois la barrière, une fois rendu là-bas, les forces de la paix de Moscou vous renvoient d'où vous venez.  Seuls sont autorisés à continuer les habitants des quatre villages qui précédent l'embranchement de Shushi sur le corridor de Latchine, là où les "écologistes" azerbaïdjanais, les soldats verts éco-activistes de Bakou ont monté leur barrage.

Malgré le magnifique ciel bleu sur les champs de neige du haut plateau, le soleil froid de février n'y suffit pas, il fait -12° au poste frontière arménien qui garde l'entrée du corridor de Latchine.

Un gros van se présente à la frontière, il arrive de Goris avec à son bord une quinzaine de personnes, des habitants de ces quatre villages à en croire les officiels qui nous accompagnent. Ce sont quelques femmes, des hommes surtout, d'âge mûr, voire avancé, sauf deux d'entre eux d'une vingtaine d'années. On les remarque vite car ceux du même âge que l'on croise dans la région portent tous l'uniforme en général. À l'arrière du minibus enfin, des cartons empilés, plein de vivres nous dit-on. On ajoute également qu'une fois ces voyageurs rentrés au village, et tous n'en seraient pas d'ailleurs, certains prennent le chemin des montagnes, dans la neige, pour rejoindre Stepanakert et les villages sous blocus. Des soldats russes les accompagneraient parfois, leur service n'est jamais gratuit.

Les camions militaires russes accepteraient aussi de faire transiter des marchandises, mais là encore, il faut payer. Très cher parait-il. Sous l' abri bus recouvert d'un filet de camouflage qui jouxte le poste de contrôle, quatre gros cartons dont deux de fruits semble-t-il, ont été laissé là sans surveillance, personne ne semble y prêter attention.

Les véhicules de la Croix-Rouge internationale du bureau de Stepanakert prennent aussi les colis, à l'aller comme au retour, mais des paquets de petite taille seulement, des lettres ou des enveloppes, rien de plus. L'un de leur convoi arrive d'ailleurs. Son responsable se dirige passeports à la main vers le préfabriqué où seront contrôlés papiers, chargements et éventuels passagers. « Ils nous connaissent mais c'est à chaque fois la même procédure : les Arméniens préviennent les Russes qui transmettent le message aux Azerbaïdjanais. Généralement, on nous laisse passer sans problème mais l'autorisation prend parfois du temps ».


Le CICR attend l'autorisation de s'engager sur le corridor

Interrogé par le député sur l'état de la situation à l'autre bout de la route, le Suisse lui répond d'un air entendu que sans électricité ni gaz, sans chauffage et peu de vivres, de moins en moins, avec ces températures de plein hiver, comment peut-on s'imaginer que ça aille ? « Les gens tiennent bon malgré tout, relativement » ajoute-t-il avant de prendre congé. « Il faut que je me dépêche maintenant parce que si l'on ne passe pas avant la nuit, ce sera très compliqué  » lâche-t-il avant de continuer vers le petit bâtiment. Il n'est pourtant pas encore 15 heures et seulement 80 kilomètres le sépare de la capitale du Karabagh. La réflexion pose question…

Avec l'aide de son interprète, Francois-Xavier Bellamy échange quelques mots avec les soldats arméniens du poste. Le député européen avance encore sur la route, à pied, puis s'arrête et fixe silencieux les montagnes un peu lointaines d'Artsakh. Le journaliste de RFI qui l'accompagne lui pose une question. Se retournant vers la barrière abaissée, le député européen lui répond et précise qu'il souhaite ajouter quelques mots.

« Je suis venu ici pour dire aussi à tous ces habitants du Haut-Karabagh qui sont à quelques kilomètres de nous, derrière moi, que nous ne pouvons pas les voir, nous ne pouvons aller jusqu'à eux mais j'espère que bientôt, une action européenne enfin claire nous permettra de les rejoindre. Ils ne peuvent pas nous voir mais j'espère qu'ils nous entendront : vous n'êtes pas seuls, nous sommes avec vous aujourd'hui, vous faites notre estime et notre admiration. […] Je suis aussi venu ici pour dire que l'Europe doit enfin agir parce que le projet de Monsieur Aliyev que nous voyons très bien ici est de répondre à ce qu'il appelle "la question du Karabagh", non par une réponse territoriale, mais par une solution ethnique, une épuration ethnique. Ce terrorisme d'État n'a qu'un seul but, celui de condamner les habitants de l'Artsakh au désespoir pour les contraindre à partir quand monsieur Aliyev l'aura voulu. L'Europe ne peut pas laisser faire. Il est temps de passer des mots aux actes, de passer des condamnations aux sanctions,  de sanctionner ceux qui se rendent coupables de ces actes graves qui enfreignent le droit international et les principes humanitaires les plus élémentaires.

Vous avez le droit de vivre sur votre terre car c'est bien de votre terre qu'il s'agit, vous ne voulez rien d'autre que la paix et vous avez le droit à la paix, vous voulez la justice et vous aurez la justice ».


Deux mois qu'ils n'ont pu rentrer chez eux, ils sont hébergés dans un mini-hôtel de Goris