La Géorgie dépose officiellement sa candidature à l'adhésion à l'UE

Région
04.03.2022

Tbilissi prévoyait de poser sa candidature à l'adhésion à l'Union européenne en 2024, après la mise en place de nouvelles réformes en ce sens. Mais la pression politique intérieure et les signaux apparemment positifs de Bruxelles ont accéléré le processus.

 

Après l'Ukraine, la Géorgie va présenter une demande d'adhésion à l'Union européenne, a annoncé le parti au pouvoir dans le pays. Le Premier ministre Irakli Garibashvili en a signé la demande officielle le 3 mars. « Nous demandons aux organes de l'Union européenne d'examiner d'urgence notre demande et de prendre la décision d'accorder à la Géorgie le statut de candidat à son adhésion », a déclaré Irakli Kobakhdize, président du parti au pouvoir, "le Rêve géorgien".

Cette décision intervient dans un contexte de controverse croissante concernant la réponse passive du gouvernement géorgien à l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Des dizaines de milliers de Géorgiens se sont rassemblés chaque nuit depuis une semaine à Tbilissi pour exprimer leur solidarité avec l'Ukraine et exiger une réponse plus ferme de leur gouvernement qui a déclaré qu'il ne se joindrait pas aux sanctions internationales contre la Russie.

« C'est le peuple qui a enhardi le gouvernement », a déclaré Kornely Kakachia, directeur du groupe de réflexion de l'Institut géorgien de politique de Tbilissi. Les tentatives du gouvernement de prendre ses distances avec l'Ukraine « ont affaibli sa position, tant au niveau international qu'en Géorgie », a-t-il déclaré à Eurasianet. « Il devait le faire ».

L'annonce de la Géorgie fait suite à une démarche similaire de l'Ukraine, qui se trouve à peu près au même stade d'intégration à l'UE que la Géorgie. Le président Volodomir Zelenskiy a signé une demande officielle le 28 février et, le lendemain, il s'est adressé au Parlement européen par vidéoconférence depuis Kiev. « Nous nous battons pour être membre de pleine droit de l'Europe », a déclaré M. Zelenskiy. « Prouvez que vous êtes avec nous ».

Jusqu'à très récemment, les responsables géorgiens ont rejeté les appels à précipiter le processus de candidature à l'UE. Ils avaient précédemment promis de l'annoncer en 2024, après avoir mis en œuvre de nouvelles réformes. En début de semaine encore, ils s'en tenaient à ce calendrier. « Une initiative précipitée pourrait être contre-productive, car nous devons satisfaire à certaines conditions au cours des deux prochaines années », déclarait M. Kobakhidze le 1er mars.

Le président de la commission des affaires étrangères du parlement géorgien, Nikoloz Samkharadze, tenait des propos similaires le même jour, mais changeait de ton dès le lendemain, affirmant que certains « signaux » avaient été reçus de la part de l'Europe.

« Personne ne se fera l'illusion qu'aujourd'hui de croire que l'Ukraine, la Géorgie ou la Moldavie remplissent toutes les conditions nécessaires pour adhérer. Bien sûr que non », a déclaré M. Samkharadze aux journalistes le 2 mars. « C'est juste que nous recevons certains signaux de l'Europe dans le contexte de cette situation compliquée en Ukraine et de l'agression russe, qui peuvent être mis à profit pour accélérer l'adoption de ce statut ».

On ne sait pas exactement quels signaux ont pu être envoyés, mais la présidente Salomé Zourabichvili s'est récemment rendue à Paris et à Bruxelles, où elle a rencontré la présidente du Conseil européen, Ursula Von Der Leyen, ainsi que d'autres responsables.

Le gouvernement a changé d'avis sur la candidature à l'UE « compte tenu du contexte politique général et de la nouvelle réalité, sur la base de consultations avec les membres du conseil politique du parti et, en premier lieu, avec le Premier ministre », a déclaré M. Kobakhidze le 2 mars.

« Il y a deux jours [le 1er mars], ils étaient sur la défensive, disant qu'ils feraient la demande plus tard », a déclaré Kakachia. « Mais hier, ils ont changé de ton. S'ils n'avaient pas d'informations positives, ils n'oseraient pas faire ça. »

Ce qui se passe désormais n'est pas clair.

« J'espère que le Conseil européen approuvera enfin la perspective européenne de l'Ukraine, de la Géorgie et de la Moldavie, qu'il bloque depuis trop longtemps », a déclaré Sonja Schiffers, directrice du bureau du Sud-Caucase du think tank allemand "Heinrich Boell Stiftung".

Mme Schiffers prévient toutefois que la perspective d'une adhésion de la Géorgie à l'UE reste lointaine. « La procédure d'adhésion est un processus politique, juridique et technique complexe, il n'est donc pas réaliste d'espérer une adhésion complète dans un avenir proche », a-t-elle déclaré à Eurasianet.

La Géorgie a signé un accord d'association avec l'UE en 2014, et les deux parties travaillent depuis lors à la mise en œuvre des réformes que Tbilissi a promis de promulguer dans le cadre de cet accord. Le dernier rapport d'étape de l'UE a déclaré que la Géorgie « a poursuivi de manière constante sa trajectoire européenne », mais que « des défis importants subsistent », notamment sur les promesses de réforme judiciaire qui sont restées en suspens.

« D'une manière générale, le ton de l'UE a toujours été le suivant : veuillez d'abord mettre en œuvre l'accord d'association de manière exhaustive, nous verrons ensuite ce que nous pouvons vous offrir », a déclaré Mme Schiffers, tout en précisant que le lancement du processus d'adhésion pourrait encourager ces réformes.

« Tant que le gouvernement géorgien ne prend pas de mesures crédibles en faveur de la démocratisation, voire fait des pas en arrière, il sera difficile de dépasser le symbolisme, d'obtenir et d'avancer véritablement sur la voie de l'adhésion », a-t-elle déclaré. « L'ouverture de la procédure d'adhésion donnerait à l'Union européenne plus de poids pour faire pression en faveur des réformes en Géorgie, ce qui serait bénéfique pour les deux parties. »

Lorsque Maka Bochorishvili, le président de la commission de l'intégration européenne du parlement géorgien, a publié sur Facebook l'intention du gouvernement de poser officiellement sa candidature, un membre allemand du Parlement européen a émis un commentaire cinglant : « Ok, alors comportez-vous aussi de manière européenne pour mener à bien l'élaboration des politiques - et ce message s'adresse à toutes les parties prenantes concernées », a écrit le député européen, Michael Galler.

Source  Eurasianet.org - Joshua Kucera