« Minorités d’Orient » enfin traduit en arménien !

Région
28.07.2021

Vendredi 23 juillet, le journaliste Tigran Yégavian présentait son livre Minorités d’Orient (publié en 2019) traduit en arménien par Grigor Djanikian à la bibliothèque Isahakian.

Dans ce livre, l’auteur aborde le thème des minorités d’Orient au-delà des couvertures médiatiques victimaires. Il dresse un examen critique sur la responsabilité morale accablante des puissances occidentales et souligne la responsabilité, malgré elles, des élites chrétiennes d’Orient dans leur propre malheur. Ce livre est aussi un appel aux élites arméniennes pour prendre conscience de leur responsabilité par rapport à la question des chrétiens orientaux. Afin de séculariser un sujet qui n’est pas l’apanage des seuls ecclésiastes.

Le traducteur Krikor Djanikian s’exprimait à ce propos :  L’ Orient est le berceau du christianisme mais maintenant l’Orient devient un berceau de l’islam où nombre de chrétiens d’Orient sont chassés. Bien sûr, nous avons tous le souvenir de 1915 et il est intéressant de voir, parmi la nouvelle génération d’Arméniens, Tigran Yégavian, qui lutte pour l’Arménie en France et en Arménie pour la France. J’ai beaucoup souffert pour traduire ce livre, mais il fallait que je le fasse au regard de la valeur qu’il représente.

 

D’où est venue l’envie d’écrire ce livre ?

Après 15 ans d’expérience dans la région, cela me tenait à cœur d’aborder le thème des chrétiens orientaux depuis une perspective géopolitique. Lorsqu’on parle des chrétiens d’Orient dans les médias, c’est toujours sous le même angle: l’angle victimaire, des attentats, du sang, de l’extinction. Je tenais  à la fois donner un message positif et réaliste.

Positif pour dire qu’il y a un avenir possible qui passe notamment par la diaspora et la prise de conscience d’une nouvelle élite transnationale chrétienne-orientale (arménienne, syriaque, chaldéenne etc.).

Et réaliste quant au travail de déconstruction face aux idées reçues sur ce thème. Ainsi, bien qu’on aime dire que la France est la puissance protectrice des chrétiens orientaux, c’est inexact. Même si le Liban est une création franco-maronite, les français ont fait aussi des erreurs monumentales en Cilicie, à Alexandrette, en livrant le sandjak où se trouve Antioche - la ville où est née le mot chrétien - à la Turquie. L’approche critique se fait ainsi envers les occidentaux mais aussi les chrétiens eux-mêmes.

 

Quant est-il de la participation de ces minorités d’Orient à leur propre malheur ?

Les élites chrétiennes orientales, que ce soit à l’époque de l’Empire Ottoman ou au XXe siècle, ont toujours fait preuve d’une certaine naïveté vis à vis des occidentaux et d’absence de sens politique puisqu’ils n’ont jamais été un État. Il y a donc une responsabilité dans cette naïveté monumentale à opter pour des choix dénués de toute stratégie. C’est le cas des Arméniens de l’Empire ottoman qui ont cru que les occidentaux allaient les sauver ou qui ont cru à l’alliance avec la Russie qui possède sa propre logique impérialiste. Or les minorités d’Orient ne sont que des variables d’ajustement et des instruments dans le calcul politique des grandes puissances.

Pour ce qui est de l’histoire récente, je pense à l’Irak et surtout au Liban où les chrétiens du Liban (1975- 1990) ont été considérablement affaiblis car la guerre du Liban a aussi montré que c’était une guerre entre chrétiens. Une guerre où le clan chrétien, en s’entre-déchirant a considérablement affaibli son poids politique et la présence chrétienne dans ce pays.

Plus récemment, regardez ce qui se passe en Arménie. Le risque reste que les Arméniens perdent leur État. Ils ont donc besoin d’être pragmatiques pour survivre dans un environnement hostile. L’Arménie est le seul État constitué par des chrétientés orientales (à l’exception de la Géorgie). L’idée c’est de donner un message non pas confessionnel, mais d’aborder ces questions sous le prisme des droits de l’Homme et de la diversité car cette minorité menacée est essentielle à la stabilité de l’Orient.

 

Ces minorités peuvent-elles avoir un rôle de médiateur entre Orient et Occident ?

Au XIXe siècle, il y a eu une renaissance de la langue et de la littérature arabes grâce aux élites chrétiennes libanaises et syriennes qui avaient aussi une connaissance de la culture occidentale. Grâce à leur bagage, ils ont apporté la modernité dans leur propre culture. Je reste assez dubitatif sur le rôle de médiateur des chrétiens d’Orient, car les enjeux aujourd’hui tournent autour des pétro-monarchies du Golfe et de l’Occident. Le Moyen-Orient a perdu de son importance stratégique.

Mais il est important de souligner le rôle de ces minorités d’Orient dans la stabilité de la région. Car un Moyen-Orient sans chrétiens, c’est l’Afghanistan. Leur présence en tant que témoins et porteurs d’une civilisation antéislamique participe à une volonté de démocratiser la société. Les chrétiens représentent un bon baromètre démocratique en Orient. Leur sécurité entraînera systématiquement la stabilité de celle de tout le bassin méditerranéen. Et les minorités, sur n’importe quel territoire contribuent à ce rôle de passeurs de culture. Il y a aussi le rôle de la diaspora. Qu’est-ce que peut faire la diaspora pour qu’une présence se maintienne et que les mentalités changent ?

Par ailleurs il y a des initiatives comme l’association l’Œuvre d’Orient qui adopte une approche pragmatique qui investit dans les écoles détenues par des congrégations. Ces écoles apprennent le français et les valeurs de la Francophonie (le vivre ensemble et la laïcité) dans des écoles où 90% des élèves sont musulmans. Il y a donc des élites musulmanes qui passent par ces écoles et le renforcement de ce réseau d’écoles est primordiale à la stabilité de la région.

 

Quid de l’impact de la traduction arménienne de Minorités d’Orient ?

L’État arménien doit prendre conscience de sa responsabilité historique dans le traitement du dossier des chrétiens d’Orient auprès  des forums multinationaux (l‘ONU, la Francophonie) afin de défendre les minorités menacées et ce, en sa qualité  d’État rescapé d’un génocide. De la même façon, les minorités d’Irak ou de Syrie doivent regarder l’Arménie non pas comme un pays protecteur, mais un pays qui défend leur droit à l’existence. Il est donc primordial de développer les connaissances sur ce sujet pour former une nouvelle élite en Arménie de diplomates, de journalistes et de chercheurs qui soient familier de cette problématique.

L ’Arménie est aussi une terre qui abrite divers minorités (Grecs, Juifs, Kurdes, Yézidis, Assyriens etc.) et dont la protection figure dans la constitution. Malgré cela, je regrette que l’État Arménien n’ait pas assez défendu les Yézidis, pourtant fréquemment cité comme un exemple d’intégration.

Au niveau de la diaspora arménienne, il faut parler de l’action du catholicos de Cilicie Antélias, au Liban qui est particulièrement investi  dans le dialogue inter-religieux et islamo – chrétien  ). L’Arménie avec le Saint siège d'Etchmiadzin doit s’inspirer aussi de ce qui est fait par Antélias pour défendre le dialogue interreligieux et islamo chrétien . Ainsi ce livre est aussi un appel pour développer la recherche sur la question des minorités d’Orient en Arménie.

Nous ne sommes plus à l’époque où les chrétiens sont instrumentalisés par les puissances comme jadis. Il est désormais question de s’affranchir du statut de minorité protégée pour jouir d’une citoyenneté pleine et entière.

Propos recueillis par Aurélia Bessède et Lussiné Abgarian