Chine-Arménie, la séduction éco-stratégique

Société
15.04.2022

"Repenser le 30e anniversaire des relations diplomatiques", ou comment élaborer des propositions concrètes dans le domaine du développement des relations bilatérales sino-arméniennes. Le premier forum "Arménie-Chine" s'est tenu récemment à Erevan. Séance de charme.

Par Olivier Merlet

Le forum a été organisé par le conseil pour la Recherche politique et stratégique Chine-Eurasie d'Erevan et l'Institut mondial du socialisme de l'école d'Études internationales à l'université de Renmin de Pékin et soutenu par l'ambassade de la République populaire de Chine en Arménie

Il y a 30 ans, en 1992, l'Arménie, toute jeune république nouvellement indépendante établissait ses relations diplomatiques officielles avec le reste du monde. Dans la foison des célébrations de ces trentièmes anniversaires, celle qui s'est déroulée le 8 avril dans la salle des conférences de l'Holiday Inn à Erevan a nettement marqué sa différence. À l'image de tout ce qui a trait avec l'Empire du milieu, les organisateurs de l'évènement se sont montrés pragmatiques. Discrétion relative, peu de tapage, peu de public, mais des intervenants et des invités finement sélectionnés parmi lesquels un certain nombre de diplomates, de France, du Kazakhstan, d'Irak, de Bulgarie, de Russie et d'ailleurs, quelques analystes stratégiques pointus, quelques économistes, des éditeurs spécialisés, des universitaires sinophiles et bien évidemment, des hommes d'affaires, pour assister à près de cinq heures de présentation des relations et perspectives d'amitié au sens large entre l'Arménie et ses trois millions - peut-être - d'habitants, et le milliard quatre cent millions de citoyens chinois.

Les nouvelles routes de la soie

La première partie de l'évènement, tout à fait protocolaire et traditionnelle, était consacrée à l'échange des messages de félicitations. Mher Sahakyan, directeur du Conseil "Chine-Eurasie et hôte de l'évènement accueillait ses prestigieux invités. Son Excellence Fan Yong, ambassadeur de la République populaire de Chine en Arménie, a ouvert la cérémonie, faisant remarquer que si la coopération bilatérale entre les deux États ne datait que d'une trentaine d'années, elle était issue d'une tradition millénaire d'échanges établi depuis les temps immémoriaux de la route de la soie.

De l'histoire à l'actualité, c'est du vaste programme éponyme auquel a surtout fait référence le diplomate. Lancée par le Président Xi Jinping en 2013, "la ceinture économique des nouvelles routes de la Soie",* la "Belt and Roads initiative" comme on l'appelle plus communément, place l'Arménie, du fait de sa position stratégique, au cœur du réseau des communications eurasiatiques, comme l'un des relais privilégiés des ambitions chinoises dans la région. Rappelant à ce sujet le deuxième rang de la Chine parmi les partenaires commerciaux de l'Arménie, Fan Yong a également mis en garde contre le frein au développement que pouvait représenter l'état des infrastructures arméniennes, en évoquant toutefois les possibilités d'investissements chinoises dans ce secteur. Il a enfin souligné le soutien réciproque et indéfectible des deux pays quelle que soit la situation internationale, parlant « de confiance et de respect mutuel », gages de la pérennité de ces excellentes relations pour les trente prochaines années.

Plusieurs personnalités arméniennes et chinoises ont à leur tour pris la parole pour faire l'éloge des relations et de la coopération sino-arménienne, insistant sur le rôle clef des nouvelles générations, de leur formation et des échanges universitaires, scientifiques, et culturels. Les deux exposés qui s'en sont suivis représentaient le véritable centre d’intérêt de l'événement.

En liaison vidéo multiplexe, chercheurs, analystes et universitaires des deux pays sont intervenus pour évoquer "les relations arméno-chinoises dans un ordre mondial en mutation", et surtout "la coopération chinoise et arménienne dans le cadre de l'initiative " Ceinture et Route".

Développement gagnant-gagnant

Amitié entre les peuples, renforcement de la coopération culturelle et universitaire dans les domaines de la recherche, de la santé, évocation d'accords financiers, commerciaux, bancaires ou douaniers, investissements, soutien au développement, à l'intégrité et à la sécurité de l'Arménie… Les intervenants n'ont rien oublié, passant en revue tous les aspects des relations bilatérales et annonçant des perspectives d'évolution encore meilleures. « Un développement gagnant-gagnant » comme le notait le Dr. Sun Chao de l'institut d'Administration du Jiangsu. « Depuis le lancement des initiatives de la ceinture économique de la Route de la soie, la Chine a réalisé certaines avancées dans ses relations bilatérales avec l'Arménie. Les investissements chinois dans les infrastructures soutiennent les nations en développement dans leur quête de développement et de réduction de la pauvreté, augmentant ainsi la puissance de la nation ». La Chine avait revêtu ses plus beaux atours et exprimait ses plus nobles intentions.

La réalité des chiffres présentés questionne cependant. Ceux des échanges commerciaux tout d'abord, entre le géant et un lilliputien des marchés mondiaux : 1,24 milliard de dollars au total en 2021. L'Arménie importe cette année-là plus de 851 millions de dollars de produits manufacturés chinois (2 ans plus tôt, en 2019, seulement 538), tandis qu'elle parvient à lui vendre pour 393 millions de dollars de ses ressources minières, principalement du minerai de cuivre. Mais ne nous laissons pas impressionner : si après la Russie, la Chine est effectivement le 2e partenaire commercial de l'Arménie, cette dernière ne représente que son 85eme client (0,04% de ses exportations) et son 152eme fournisseur.

Les achats de produits chinois par l'Arménie ne cessent d'augmenter, et le développement de secteurs stratégiques comme ceux des hautes technologies et des énergies renouvelables va entrainer une demande encore accrue de composants électroniques ou de panneaux photovoltaïques par exemple, dont la Chine est l'un des premiers fabricants. De même, la modernisation de l'agriculture, la transformation agro-alimentaire et les transports attirent un intérêt certain de la part des investisseurs chinois, même si les espoirs de gain restent modestes en comparaison avec bien d'autres pays.

Prudence et réalisme de mise

Si la Chine fait les yeux si doux à l'Arménie, ce n’est pas vraiment, et surtout pas seulement, pour des raisons commerciales, ni même économiques. Son véritable intérêt est ailleurs, géostratégique avant tout. Ruben Elamiryan, président du département de politique mondiale et des relations internationales de l'Université russo-arménienne d'Erevan explique : « membre de l'Union économique eurasiatique, l'Arménie bénéficie également d'un accord de partenariat global et renforcé avec l'Union européenne et est au fait des questions stratégiques du Moyen-Orient. Son territoire est à l'épicentre du développement d'un corridor nord-sud, du Golfe Persique, de l'Iran, à la Géorgie, la mer Noire, la Russie et l'Europe. Mis en œuvre de manière efficace, il fait de l'Arménie la plaque tournante de la communication entre l'Orient et l'Occident. Enfin, l'Arménie possède un capital en ressource humaine élevé et relativement bon marché, propice à la coopération dans le domaine des technologies de l'information par exemple, voire à l'externalisation des entreprises chinoises afin de les intégrer dans les chaînes de production industrielle de la Chine ». Tout est dit.

Il semble que l'Arménie ait tout intérêt à mettre davantage l'accent sur le vecteur chinois de sa politique étrangère, notamment dans les domaines économiques et technologiques. La mariée est belle. Toutefois, il lui revient sans doute d'élaborer une stratégie raisonnable et diversifiée au risque une fois de plus, si elle n'y prend garde, de mettre en jeu son indépendance et sa souveraineté. Ruben Elamiryan, en conclusion de sa présentation recommande : « étant donné la position géographique de l'Arménie et ses connaissances stratégiques, développées au cours de milliers d'années, elle devrait éviter de faire un "choix géopolitique" et trouver des créneaux pour coopérer avec toutes les grandes puissances, et même s'efforcer de devenir un point neutre de contact, de dialogue et de coopération pour elles ». Il reconnait toutefois que « compte tenu de la concurrence croissante entre les grandes puissances dans le monde et de la montée du paradigme conflictuel, il deviendra de plus en plus complexe pour l'Arménie de poursuivre sa stratégie de politique étrangère multisectorielle. »

 

 

* La "Belt and Road Initiative" Cf BSI cf. IRIS (ci-après BRI) consiste en un projet de réseau régional d'infrastructures initié par la Chine et étendu sur la majeure partie du continent eurasiatique visant à accroitre la connectivité et la coopération de cette région, principalement, via des infrastructures et des accords commerciaux ambitieux. Annoncée comme le plus important projet d’investissements de l'histoire, la Belt and Road Initiative est souvent comparée à un Plan Marshall du XXIème siècle.