Migration – l'espoir du retour volontaire

Société
18.02.2022

Le 15 février dernier, l'Ambassade de France en Arménie annonçait la validation de 18 programmes de réinsertion élaborés par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (l'OFII), à destination d'anciens migrants arméniens de retour au pays. Le Courrier d'Erevan avait rencontré d'anciens bénéficiaires il y a tout juste quelques semaines, à l'occasion d'une visite terrain d'évaluation par le bureau local de l'OFII.

Par Olivier Merlet

Khachpar – Province d'Ararat

En ce petit matin d'hiver, une fine couche de neige recouvre les environs d'Erevan. Juste un tapis, l'hiver est très doux cette année. Les poteaux électriques qui longent la route de Khachpar à une dizaine de kilomètres de la capitale, sont tous surmontés d'impressionnants nids de cigogne, désertés pour la mauvaise saison.  Une petite bâtisse à l'entrée du hameau. Angela et son mari sortent de chez eux, à peine couverts, sécateur a la main pour elle, pulvérisateur sur le dos pour lui. Ils sont horticulteurs. « Pas besoin de s'habiller, la serre est bien chauffée ».

Juste derrière la maison, sous un vaste châssis de 250 m2, Angela fait pousser des roses. Des "Jumilia", blanches ou d'un très pâle rosé, et d'autres variétés encore, jaunes ou rouges. Effectivement, il ne fait pas froid. Une chaudière à gaz assure une température constante de l'installation. Tous les mois, elle parvient à récolter de quoi constituer 500 bouquets de 10 ou 20 roses que son fils ira revend aux grossistes locaux. Elle en tire environ 800 000 drams tous les mois, soit à peu près 1500 euros et un bénéfice net largement supérieur au revenu moyen arménien.

Cette serre et une partie de son équipement, c'est l'Office français de l'immigration et de l'intégration, l'OFII, qui lui en a octroyé le financement. Un an tout juste auparavant, Angela rentrait en Arménie après 18 mois passés en France. Atteinte d'une pathologie cancéreuse grave doublée de problèmes cardiaques difficilement soignables en Arménie, elle avait été admise à l'hôpital Arnaud-de-Villeneuve de Montpellier où elle avait pu bénéficier de soins adaptés après avoir déposé une demande d'asile auprès de l'état français. Angela est toujours en traitement lorsqu'elle reçoit de la préfecture de l'Hérault une notification de refus de sa demande. Son recours n'y fait rien, l'administration lui conseille néanmoins de se rapprocher de l'OFII, susceptible peut-être de lui venir en aide. Angela accomplit la démarche, le dialogue est lancé.

L'agent territorial qu'elle rencontre ne peut prédire de l'issue qui sera donnée à son dossier , en revanche, dans le cadre d'un retour volontaire, elle pourrait bénéficier d'un dispositif spécial lui permettant de rentrer en Arménie dans les meilleures conditions. Sur son accord, l'appareil administratif français se met en marche, aussi bienveillant parfois que souvent sourd et implacable. Angela atterrit à Zvartnots en janvier 2021, quelques semaines plus tard, les travaux d'aménagement de sa petite exploitation horticole démarrent.

À quelques kilomètres de Khachpar, à Parakar, Bagrat dit "Ferdinant" vérifie ses machines. Rémouleur de son état, ce sexagénaire affute les lames de ses clients industriels ou artisans menuisiers depuis plus de 40 ans. Parti en France 2017 pour raisons de santé, il rentre en Arménie en pleine guerre en octobre 2020. « La France a sauvé ma vie ». Lui aussi débouté de sa demande d'asile et candidat volontaire au retour, il a bénéficié du programme de l'OFII pour acquérir quatre machines à affuter. Elles lui rapportent aux alentours de 200 000 drams mensuels, une fois les frais payés. C'est plus ou moins l'équivalent du salaire moyen en Arménie.

Un dispositif préférentiel

Comme Angela ou Ferdinant avant qu'ils ne rentrent au pays, ils sont près de 4000 demandeurs d'asile arméniens recensés en France en 2020, soit à peu près 4% de leur nombre total. Des raisons de santé, très souvent, les ont poussé au départ. Des maladies dont la gravité impose un traitement qu'ils ne peuvent recevoir dans leur pays d'origine, faute d'équipements ou de spécialistes appropriés. Mais à terme, pour l'essentiel de ces candidats à l'immigration, la tentative se solde quasi-invariablement par un refus des autorités locales.

De par les liens historiques et l'amitié qui unissent les deux pays, les ressortissants arméniens bénéficient de la part de l'administration française d'une attention toute particulière, tant pour leurs conditions d'accueil sur le territoire métropolitain que pour les aider à rentrer et se réinstaller en Arménie dans des conditions dignes s'ils en font volontairement la demande. Un dispositif préférentiel d'accompagnement au retour leur est réservé dont le financement et le suivi sont sans doute plus intenses que pour d'autres régions du monde.

C'est pour en assurer la coordination sur le terrain que l'OFII a ouvert sa représentation Érévanaise en 2014. Les programmes d'aide au retour volontaire existaient en fait depuis 2006 mais s'envisageaient davantage dans une optique européenne, indifférenciée, chaque état membre demeurant toutefois souverain quant à l'aide effective dispensée. Aujourd'hui les opérations du bureau caucasien de l'OFII s'étendent sur deux pays, l'Arménie et la Géorgie, quatre personnes y travaillent à plein temps. Depuis son ouverture, 2158 dossiers ont déjà été traités.

Assistance personnalisée

Le secours apporté est bien sûr adapté en fonction de la nature des besoins exprimés par le demandeur. L'aide sociale de premier niveau prend en compte ceux liés au relogement et à l'équipement mobilier de première nécessité, au suivi médical et à la scolarité. Le deuxième niveau concerne l'accès à l'emploi et à la formation professionnelle de courte durée, parfois complété par l'achat d'équipement professionnel léger. Le troisième niveau enfin, vise à encourager la création d'entreprise personnelle, la plupart du temps de type micro-entreprise. L'aide est alors conditionnée à la démonstration des compétences et de l'expérience du demandeur dans le domaine visé et surtout, à sa capacité de financer sur ses propres fonds une part conséquente du budget estimé.

Toutes ces dispositions ne concernent que les retours volontaires, les démarches sont entreprises depuis la France, une fois l'arrêté d'expulsion signifié par la préfecture. Les intéressés saisissent l'OFII qui les accompagne alors dans toutes les procédures administratives, parfois même auprès du consulat arménien pour obtenir un laissez-passer consulaire lorsque leur passeport est arrivé en fin de validité. À leur arrivée en Arménie ils ont trois mois pour prendre contact avec la représentation locale de l'OFII au sein de l'ambassade.

« C'est leur libre choix. De même, nous avons toute liberté de refuser les dossiers qui ne nous semblent pas convaincants », précise Vardouhie Mikayelyan, responsable des programmes de réinsertion. « Nous en  établissons le diagnostic qui est ensuite transmis à nos opérateurs afin qu'ils puissent les étudier en profondeur et nous en formulent un retour chiffré que nous validons ou rejetons. Dans le cadre de demandes d'aides à la formation professionnelle ou à la création d'entreprise, l'éventuel bénéficiaire doit bien sûr faire preuve de sa motivation et de ses compétences, d'argumenter et de défendre son dossier. Nous n'allons pas financer des équipements à quelqu'un qui ne connaît pas le métier et qui va immédiatement chercher à les revendre. Le but que nous poursuivons est bien évidemment de fixer les gens en Arménie et qu'ils puissent rapidement réintégrer le tissu social local dans les meilleures conditions ».

Suivi et pérennisation

Si le dossier est accepté, un engagement est pris entre le bénéficiaire, l'opérateur chargé du suivi et l'OFII. Son financement est alors débloqué. Les sommes ne sont jamais attribuées directement au bénéficiaire mais toujours médiatisées via l'opérateur qui se charge de l'achat des équipements, sur les recommandations du demandeur. Des vaches pour une exploitation agricole, du four à pain s'il s'agit d'une boulangerie. Cet opérateur est ensuite mandaté pour une période de monitoring de douze mois au cours de laquelle il va suivre l'implantation et l'évolution des projets. L'OFII, de son côté, mène de fréquentes visites d'évaluation et de contrôle. « À ce jour, nous n'avons jamais eu de surprise, tous les engagements sont respectés », se félicite Hugues Gebhardt, directeur de la mission OFII pour le Caucase. « Un audit que nous avons mené récemment montre même que 95 % des projets que nous avons financé sont toujours actifs au bout de cinq ans. »

Ce succès pousse aujourd'hui l'OFII à réfléchir au développement et à l'amélioration des performances de ces micro-entreprises, au-delà de leurs douze mois de prise en charge. Il s'agirait de passer le relais aux dispositifs qui existent en Arménie, ceux de la fondation ACBA par exemple, qui leur permettraient d'avoir accès aux nouvelles techniques, agricoles notamment, et à une formation perfectionnante dans chacun de ces domaines. Une convention en ce sens est d'ailleurs en cours de discussion avec le ministère arménien du travail.

Les formations professionnelles les plus recherchées concernent les domaines de l'esthétique, la cosmétologie ou la cuisine mais aussi la linguistique, l'informatique, la comptabilité ou la gestion. Pour la création de micro-entreprise, 40 à 50 % des projets concernent l'agriculture, dans les régions d'Ararat et d'Armavir principalement, d'Aragatsotn, et dans une moindre mesure de Kotaïk ou de Shirak. Gyumri, Bdjni et bien sûr Erevan centralisent l'essentiel des autres demandes, dans l'industrie manufacturière, le commerce et les services, l'hébergement et la restauration. Les populations des régions éloignées comme celles de Syunik ou de Lori ne partent pas en Europe, elles visent plutôt des emplois saisonniers, en Russie, pour la bonne raison semble-t-il, que leurs moyens financiers ne leur laissent pas d'autre option. Encore une fois, un voyage en Europe coûte très cher.

Un dispositif gagnant-gagnant

Derrière ce mécanisme à priori très généreux, se profile la notion de promotion du retour vers le pays d'origine, l'intérêt de la France y est clair. Un projet de réinsertion viable requiert cependant une certaine cohérence. « Même en Arménie, concevoir un programme qualitatif, attractif et motivant requiert un seuil minimal en termes de financement. Il faut y mettre les moyens », explique Hugues Gebhardt. « Quel est l'intérêt pour la France de mettre 1000 ou 2000 euros dans la création d'une micro-entreprise qui va tenir six, sept ou huit mois ? La personne va se retrouver dans la même situation que celle qu'elle connaissait avant son départ. Pour quitter l'Arménie et intégrer l'espace Schengen les migrants sont bien souvent dans l'obligation de vendre tous leurs biens, maison, meubles, l'équipement de leur entreprise s'ils en avaient une, leur bétail pour les agriculteurs. Quand ils décident de rentrer en Arménie, ils n'ont plus rien. ».

« C'est une problématique éminemment sociale que nous essayons de traiter avec des outils économiques », conclut le directeur de l'OFII.