Un observatoire français de la contrefaçon en Arménie

Société
04.04.2022

« L'Arménie, l’un des premiers marchés de la contrefaçon de produits français dans l'Union économique eurasiatique ». Tigran Arakelian, président de la Chambre de commerce et d'industrie France-Arménie, ne mâche pas ses mots. Afin de restaurer l'image de l'économie arménienne à l'international et la confiance des investisseurs étrangers, il lancera au mois d'avril, avec le soutien des autorités françaises, le premier Observatoire français de la contrefaçon en Arménie.

Par Olivier Merlet

Les shampooings l'Oréal, le cognac Hennessy, les produits phares commercialisés par Pernod Ricard (Ricard, Absolut, Chivas), articles de parfumerie, cosmétiques, hygiènes … La liste est longue et l'affaire n'est pas si nouvelle. « Cela fait au moins 20 ans que le problème est connu en Arménie, il n'y a eu aucune volonté des décideurs politiques jusqu'à présent d'arrêter ce phénomène. C'est aujourd'hui devenu un véritable fléau, pratiquement tout est contrefait, que ce soient les cosmétiques, les médicaments, les rasoirs et le beurre, même ! Le gouvernement avait tendance à fermer les yeux en prétextant que ce genre de fabrication favorisait l'emploi local. »

Dès sa prise de fonction à l'automne 2020, Tigran Arakelian le président de la chambre de commerce et d'industrie France Arménie, basé à Yerevan, est alerté par « des industriels français [qui] s'inquiétaient de la chute importante de leur vente dans la zone, auprès des distributeurs, alors même que l'on trouvait toujours leurs produits sur les étals ». L'Oréal, notamment, soupçonne en Arménie une vente massive de contrefaçons de ses shampooings. Notre président ne tergiverse pas et mène ses propres investigations. Il se procure quelques références achetées auprès d'un établissement de la première chaîne de supermarchés à Erevan qu'il fait envoyer pour analyse à deux laboratoires français. « Les résultats sont indiscutables et montrent des traces de produits classés hautement cancérigènes , notamment des sulfates SLS-ALS, par l'Organisation mondiale de la santé ou susceptibles de provoquer la chute des cheveux. » Ces analyses sont renouvelées 6 mois plus tard, même résultats. « Les arméniens doivent arrêter d'acheter ces produits-là. »

Concernant Pernod Ricard, par ailleurs propriétaire de la célèbre marque de Brandy arménien Ararat, ou LVMH, Louis Vuitton Moët-Hennessy, l'affaire est un peu différente. « Le cognac Hennessy et d'autres alcools sont embouteillés massivement et de manière frauduleuse en Arménie. Nous connaissons les emplacements et les quantités. Des hommes d’affaires arméniens dont le propriétaire de cette même chaine de supermarché arménien que je citais précédemment ont mis en place au Kurdistan irakien dans des usines ou sont fabriqués des médicaments et des alcools français contrefaits qui sont importés en Arménie et réexportés vers les pays de l’ex-URSS. Les ventes de ces produits et globalement celles de plusieurs groupes français sur ce marché progresse très lentement à cause de ce phénomène. » L'Arménie ne représente qu'une petite partie du chiffre d'affaires des sociétés françaises à l'exportation. La Russie en revanche, avec ses 150 millions de consommateurs, représentait, jusqu’à très récemment, un client de poids dans la balance commerciale française, des parts de marché que ses exportateurs ne pouvaient compromettre.

Suite aux découvertes de la CCI France Arménie, les entreprises françaises concernés en référent directement aux autorités françaises qui les assurent de leur soutien. L'État français se dit fermement décidé à prendre toutes les mesures nécessaires au plus haut niveau pour faire cesser ces agissements et protéger les intérêts de ses entreprises. Tigran Arakelian en informe le gouvernement arménien.

Tigran Arakelian explique : « En termes de quantités et de montants, l'Arménie est le premier fabricant de produits contrefaits français sur la zone de l'Union douanière eurasiatique. Les chiffres précis ne peuvent pas encore être communiqués mais on parle au bas mot, production, vente, importation et réexportation, de 3 milliards d'euros environ. Je rappelle que le PIB moyen arménien en termes de parité de pouvoir d'achat* est de 35-40 milliards d'euros (15 milliards en valeur nominal). On estime que sur le marché arménien, il y aurait entre 25 et 30 % de produits contrefaits. Car il faut voir que les marges sont énormes, les produits de marque fabriqués pour une somme dérisoire se vendent sur le marché 10 à 15 fois leur prix de revient. Nous avons deux problèmes : le premier concerne la violation des brevets et de la propriété intellectuelle ce qui impacts les parts de marché des marques françaises; problème économique, deuxièmement, lorsque les produits sont dangereux, voire cancérigènes, il s'agit là d'un grave problème de santé publique. »

Le président de la Chambre de commerce et d'Industrie France-Arménie, aux racines arméniennes, ne cache pas un certain dégoût. Animé de la volonté sincère d'aider sa deuxième patrie de cœur et doué d'un éternel dynamisme, Tigran Arakelian réfléchit aux solutions qu'il pourrait apporter et conçoit l'idée d'un Observatoire français de la contrefaçon. Cet organisme aura pour vocation de contrôler, de surveiller et de sanctionner les actes illégaux commis par ce biais. Dans la pratique, il s'agira de procéder au contrôle régulier de tous les points de vente et des produits sur lesquels des doutes ou des plaintes sont enregistrés de la part des fabricants. Ils seront envoyés en France à fins d'analyse à des laboratoires spécialisés qui fourniront un rapport complet mentionnant toutes les substances analysées des éventuels produits contrefaits découverts. Un rapport public mentionnant les produits incriminés, le cas échéant, et les points de vente qui les distribuent sera remis tous les mois aux autorités arméniennes afin qu'elles puissent lancer une procédure judiciaire ou de fermeture administrative. Il concernera également les lieux et adresses des ateliers ou usines de production. « Nous voulons que l'outil législatif arménien soit élargi, qu'il criminalise la production et surtout la commercialisation des produits de contrefaçon qui aujourd'hui est seulement considérée comme délictuelle. Nous voulons que ses auteurs soient sanctionnés de peines lourdes, voire de prison. S'il n'y a pas commercialisation, il n'y aura plus de production. De notre côté, si un distributeur commercialisant des produits contrefaits est identifié, nous demanderons à toutes les entreprises françaises de cesser toute forme de collaboration avec celui-ci et aux autorités françaises compétentes, la suspension de visa ou interdiction de territoire pour la France et l'espace Schengen ainsi que le gel à titre conservatoire de tous leurs avoirs en France ».

L’observatoire débutera son action en Arménie d’ici cet été et sera amené à étendre ses activités à tous les pays de la zone économique douanière eurasiatique. « L'observatoire sera constitué d'une équipe employant une douzaine de personnes, chacune spécialisée dans son secteur. Celui des médicaments, celui des alcools, celui des cosmétiques, etc. Ils seront en charge de suivre les dossiers, parfois de rencontrer les entreprises mises en cause pour tenter d'engager avec elle une démarche de conciliation, un arrangement à l'amiable. En cas d'échec, nous aurons recours aux mesures contraignantes dont je parlais précédemment. » Tigran Arakelian reconnait qu' « il y aura certainement une perte économique pour de nombreux petits distributeurs qui n'auront pas les moyens d'acheter des produits officiels des marques » mais il souligne et fait bien remarquer qu' « au regard des problèmes de santé publique qui coûtent énormément d'argent à l'État arménien et aux contribuables l’opération est très vite rentabilisé ».

 

* Sous sa forme initiale, le produit intérieur brut (PIB) permet d'évaluer la production de biens et services d'un pays pendant une année. Il illustre l'importance de l'activité économique d'un pays. Quand on tente des comparaisons internationales, cet indicateur est d'autant plus approprié qu'il introduit la correction dite de la PPA (parité pouvoir d'achat). On tient alors compte des différences de pouvoir d'achat.