Ararat Mirzoyan : "Si l'Azerbaïdjan fait preuve d'une approche constructive, nous pourrons avancer."

Actualité
01.06.2022

Au cours d'une interview accordée à la chaîne d'information indienne WION, Ararat Mirzoyan, ministre des Affaires étrangères, s'est bien sûr exprimé sur les liens étroits notamment commerciaux mais aussi militaires qui unissent les deux pays. Il est aussi revenu sur les processus en cours dans la région, la tentative d'amorce des pourparlers de paix avec l'Azerbaïdjan et la normalisation des relations entre l'Arménie et la Turquie.

WION : Comment voyez-vous les liens entre l'Inde et l'Arménie ?

Ararat Mirzoyan : Cette année marque le 30e anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques entre l'Arménie et l'Inde. Bien que nos relations d'État à État n'aient que 30 ans, il est bien connu que les peuples arménien et indien ont une riche histoire séculaire d'interaction étroite qui s'est développée en une sympathie mutuelle et des relations amicales.

Les Arméniens ont une forte présence à Agra, Surat, Chennai, Kolkata et d'autres centres commerciaux depuis le 16ème siècle. Ils ont prospéré ici à l'ère initiale de la globalisation et aujourd'hui notre héritage en Inde provenant de cette époque est préservé avec soin, ce que nous apprécions hautement.

Il faut également mentionner que nous avons une forte communauté d'étudiants et d'hommes d'affaires indiens qui étudient et travaillent en Arménie. L'ambassade de l'Inde et le centre culturel indien en Arménie font un excellent travail pour rapprocher nos pays, nos peuples et nos entreprises afin que nos citoyens puissent bénéficier pleinement du développement de nos liens.

Nos pays ont un énorme potentiel pour promouvoir la coopération dans des domaines d'intérêt mutuel, en particulier dans les secteurs de la haute technologie, des transports, de la production alimentaire, des soins de santé, de l'industrie pharmaceutique, du tourisme, de la culture et de la défense.

Enfin, et surtout, nos pays ont des intérêts très proches en ce qui concerne les questions régionales et internationales. Nous évaluons fortement le soutien continu de l'Inde en faveur du règlement pacifique du conflit du Haut-Karabagh dans le cadre de la coprésidence du groupe de Minsk de l'OSCE.

De manière générale, l'Arménie apprécie la position équilibrée et stabilisatrice de l'Inde en ces temps d'agitation mondiale. L'Inde est un pilier important de la stabilité mondiale et régionale et une grande puissance qui aspire justement à jouer un rôle plus important dans les affaires internationales et qui est perçue par beaucoup comme une force du bien.

Ayant tous ces facteurs à l'esprit, le gouvernement arménien considère le renforcement de la coopération avec l'Inde, la plus grande démocratie du monde, comme l'une de ses priorités stratégiques.

 

À la fin du mois d'avril, vous vous êtes rendu en Inde. Quel était l'objectif principal de votre visite ? L'année dernière, le ministre des Affaires étrangères Jaishankar a visité votre pays.

Notre rencontre avec le ministre Subrahmanyam Jaishankar à Douchanbé l'année dernière a donné un nouvel élan à nos relations bilatérales. Suite à cela, le ministre Jaishankar a effectué une visite historique en Arménie l'automne dernier, et une feuille de route pour un engagement plus large à partir du dialogue politique jusqu'à une solide collaboration multidimensionnelle a été élaborée au cours de cette visite. Depuis lors, des mesures concrètes ont été prises en vue de la mise en œuvre de cette feuille de route.

L'acceptation de l'invitation à participer au forum du "Dialogue de Raisina", qui a d'ailleurs fait l'objet d'une attention particulière au niveau mondial cette année, a été une bonne opportunité de poursuivre notre dialogue et, avec le ministre Jaishankar, d'évaluer le travail déjà accompli et de définir de nouvelles étapes ambitieuses.

En outre, au cours de cette visite, nous avons accordé une attention particulière à la promotion de la coopération économique entre nos pays, étant donné que notre délégation était accompagnée de représentants de grandes entreprises arméniennes. Nous avons participé aux forums d'affaires arméno-indiens à New Delhi et à Mumbai. De tels événements et des contacts B2B continus rapprocheront nos cercles d'affaires les uns des autres.

La prochaine étape sera la session de la Commission intergouvernementale arméno-indienne que nous allons accueillir en Arménie cet été. Comme on peut le constater, il s'agit d'une dynamique assez impressionnante.

 

Que pouvons-nous attendre en matière de liens de défense ? C'est un sujet qui a été abordé lors des consultations du ministère des Affaires étrangères également.

Nos ministères de la défense ont établi de bons contacts et une coopération militaro-technique s'est développée progressivement entre eux. L'Arménie a participé à plusieurs expositions de défense en Inde. Il ne fait aucun doute que ces dernières années, l'Inde a fait des progrès rapides dans les technologies et l'industrie de la défense, ce qui est bien sûr très intéressant pour le secteur arménien de la défense. Je pense que nos spécialistes devraient explorer les possibilités de coopération future.

 

Sur le front de la connectivité, comment voyez-vous des projets tels que le corridor international de transport Nord-Sud et allez-vous vous joindre au projet de port de Chabahar ?

Nous discutons activement d'un certain nombre de projets de connectivité. À cet égard, nous souhaitons faire progresser notre dialogue et notre coopération dans le cadre du projet INSTC, du port de Chabahar, ainsi que du corridor de transport international Golfe Persique - Mer Noire, et nous communiquons avec d'autres partenaires sur cette question également. L'Arménie considère que le potentiel et le rôle potentiel de l'Inde dans ce corridor sont très importants. En ce sens, nous invitons également les entreprises indiennes à s'engager activement dans des projets d'infrastructure en Arménie.

 

Quelle est la situation dans la région du Caucase du Sud ? Comment se déroule actuellement le processus de paix avec l'Azerbaïdjan ? Voyez-vous un espoir de règlement du conflit du Haut-Karabagh dans un avenir proche ?

La situation dans notre région reste instable et tendue.  Les répliques de la guerre déclenchée par l'Azerbaïdjan contre le Haut-Karabagh en 2020 affectent toujours l'Arménie et toute la région. Bien que les hostilités à grande échelle aient été stoppées après le cessez-le-feu négocié par la Russie dans la déclaration trilatérale des dirigeants de l'Arménie, de la Russie et de l'Azerbaïdjan du 9 novembre 2020, de nombreuses questions ne sont toujours pas résolues.

En violation flagrante de la déclaration trilatérale et du droit humanitaire international, et malgré les appels clairs de la communauté internationale, l'Azerbaïdjan refuse de libérer les prisonniers de guerre et autres détenus arméniens. Un autre problème est le danger très réel de destruction, de profanation et de dénaturation du patrimoine culturel et religieux arménien dans les territoires tombés sous le contrôle de l'Azerbaïdjan après la guerre. L'Azerbaïdjan fait obstacle à l'envoi de la mission d'évaluation de l'UNESCO dans les zones touchées par le conflit, qui aurait contribué à protéger le patrimoine arménien d'une destruction totale.

La rhétorique xénophobe contre les Arméniens est toujours présente dans le Bakou officiel. Les Arméniens du Haut-Karabakh sont toujours soumis à une terreur psychologique, comme la diffusion par haut-parleurs d'appels à quitter leur maison en les menaçant de les y obliger, ou la interruption de l'approvisionnement en gaz lors de conditions météorologiques difficiles. Des violations du cessez-le-feu ont toujours lieu autour du Haut-Karabagh. Le dernier exemple en date est l'incursion des forces armées azerbaïdjanaises dans le village de Parukh, dans le Haut-Karabakh, le 24 mars.

Néanmoins, nous pensons que la paix, et non la guerre, est la solution, et l'Arménie poursuit ses efforts visant à établir la paix et la stabilité dans la région. Nous avons déclaré à plusieurs reprises que nous sommes prêts à entamer des négociations sur une paix globale avec l'Azerbaïdjan, qui comprendront également le règlement durable du conflit du Haut-Karabakh, y compris la protection de tous les droits du peuple du Haut-Karabagh et son statut définitif.

Lors de la réunion des dirigeants à Bruxelles le 22 mai, les parties ont convenu de commencer à travailler à la délimitation et à la sécurisation de la frontière entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, de finaliser les discussions sur l'ouverture des infrastructures de transport dans la région et de travailler à la préparation de pourparlers de paix globaux. Si l'Azerbaïdjan fait preuve d'une approche constructive et s'abstient de créer des obstacles en cours de route comme il l'a fait à maintes reprises auparavant, je pense que nous pourrons avancer.

 

Au sujet de la guerre de 2020, des rapports ont fait état de mercenaires pakistanais soutenant l'Azerbaïdjan. Qu'en est-il ?

Oui, nous sommes au courant de ces rapports. La plupart des mercenaires ont été transportés depuis le Moyen-Orient, ce qui a également été confirmé par les services de renseignement des pays coprésidents du Groupe de Minsk de l'OSCE. Toute implication de forces mercenaires aggrave la situation, car elle apporte un aspect régional plus large à un conflit local et est de nature aventureuse et illégale. De telles actions laissent toujours un impact négatif et durable sur la situation régionale, même après sa stabilisation.

 

Le Pakistan a soutenu le terrorisme transfrontalier dans le territoire indien de l'Union du Jammu-et-Cachemire et continue d'occuper une certaine partie du Cachemire occupé par le Pakistan. Comment voyez-vous le rôle d'Islamabad dans la région ?

Le terrorisme n'a pas sa place dans le monde moderne et est condamnable sous toutes ses formes. Nous avons soutenu l'Inde au sujet du Jammu-et-Cachemire et nous continuerons à le faire.

 

Comment voyez-vous les liens avec la Turquie ? Que pouvez-vous nous dire sur le processus de normalisation entre l'Arménie et la Turquie ?

La frontière entre l'Arménie et la Turquie a été fermée unilatéralement par la Turquie au début des années 1990 et les deux pays n'ont pas de relations diplomatiques. Comme vous le savez probablement, des envoyés spéciaux ont été nommés pour le processus de normalisation et trois réunions ont déjà eu lieu au cours desquelles les parties ont décidé de continuer à avancer sans conditions préalables dans le but d'ouvrir les frontières. Pour donner une dynamique positive à ce processus, j'ai récemment accepté l'invitation du ministre turc des affaires étrangères et je me suis rendu en Turquie pour participer au Forum diplomatique d'Antalya, où j'ai rencontré mon homologue en marge du Forum.

Nous pensons que pour parvenir à la normalisation, il est nécessaire d'avoir une volonté politique et d'être prêt à prendre des mesures concrètes. La partie arménienne a démontré ces deux éléments à plusieurs reprises et nous attendons la même chose de la partie turque.

Malgré tous les risques et la fragilité, il existe une chance d'ouvrir une ère de développement pacifique dans notre région, et l'Arménie poursuivra ses efforts pour contribuer à la réalisation de cette chance.