Aux grands hommes, la patrie reconnaissante...

Actualité
19.06.2023

Hier, le jour du 83ème anniversaire de l'appel à la résistance française contre l'occupant allemand le 18 juin 1940, le Palais de l'Élysée a officiellement confirmé la décision du président français Emmanuel Macron de transférer au Panthéon la dépouille de Missak Manushyan, héros arménien de la libération.

Par Olivier Merlet

 

« Sa bravoure singulière, son élan patriote dépassant toutes les assignations, son héroïsme tranquille [...] constituent une source d’inspiration particulière pour notre République. Il incarne les valeurs universelles en ayant défendu une République où l’adhésion aux principes de liberté, d’égalité, de fraternité, permet tous les exploits, autorise tous les sacrifices, réunit et transcende tous les destins », salue le communiqué de la présidence de la République française rendant ainsi hommage au chef de l'Affiche rouge et ses 23 combattants, tous communistes et résidants étrangers en France. «Le sang versé pour la France a la même couleur pour tous», note encore le message.

Missak Manushyan fera donc son entrée au Panthéon le 21 février 2024, soit tout juste 80 ans après sa mort. Son épouse Mélinée, d’origine arménienne elle aussi et comme lui résistante, lui survécut 45 ans et repose à ses côtés au cimetière d’Ivry-sur-Seine dans le Val-de-Marne. Le couple restera ainsi uni dans la mort bien Mélinée ne soit pas elle-même panthéonisée. Rescapé du génocide, apatride, réfugié en France en 1925,  Missak Manushyan devient le premier résistant étranger et communiste à entrer dans le temple des grandes figures de la République française, au côté de Voltaire, Victor Hugo ou Marie Curie.

 

Ouvrier tourneur des usines Citroën, Manushyan s’était rapidement engagé dans la lutte syndicale. Il adhère au parti communiste en 1934, cadre de l’Internationale et directeur du journal Zangu hebdomadaire antifasciste, anti-fédéral, anti-impérialiste et favorable aux idées soviétiques publié par la section française du Comité de Secours pour l’Arménie. Également directeur de l’Union populaire franco arménienne, relais de l’organisation Main-d’œuvre immigrée (MOI) de la CGTU auprès de la communauté des ouvriers arméniens. Missak entre dans la résistance en 1941. À partir de 1943, il conduit la lutte armée dans la capitale française, en tant que membre puis commissaire militaire des "Francs-tireurs et Partisans - Main-d’œuvre d’ouvriers immigrés" (FTP-MOI), unité très active de la Résistance communiste fondée en avril 1942, la fameuse Affiche Rouge de la propagande allemande, immortalisée au cinéma en 1976. Arrêtés le 16 novembre 1943 par des policiers français, Missak Manushyan et son groupe seront torturés et fusillé trois mois plus tard par les Allemands au Mont-Valèrien, le 21 février 1944.

« Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement », écrivit Missak à Mélinée, la nuit précédant son exécution, ajoutant aussi n’avoir « aucune haine contre le peuple allemand ». La panthéonisation de Missak Manushyan était ardemment souhaitée par la gauche française et notamment le parti communiste. Parallèlement, 91 résistants et otages étrangers fusillés comme lui au Mont Valérien sont aussi reconnus "morts pour la France".

 

Invité à une matinale de la radio publique française ce dimanche 18 juin,  le réalisateur Robert Guédiguian qui a lui aussi retracé le parcours du résistant arménien de France dans son film "L'armée du crime" en 2009, relevait que « faire entrer aujourd'hui un étranger au Panthéon est d'une importance capitale ». On a le sentiment parfois qu'on ne parle que d'immigration, on en parle mal et ça fait un moment que ça dure», a-t-il également regretté, soulignant que l'action des étrangers dans la résistance « est un vaccin d'antiracisme».

Le cinéaste espère par ailleurs que cette panthéonisation réveillera les consciences sur « l'agression » de l'Azerbaïdjan et la remise en question des frontières de l'Arménie. « J'ai l'impression que Missak au Panthéon va nous aider aussi dans ce combat-là » a-t-il souhaité.