Éric Zemmour aux Arméniens : « La France sera à vos côtés »

Actualité
15.12.2021

Le candidat aux élections présidentielles françaises Éric Zemmour était en Arménie du 11 au 14 décembre. C’était son premier déplacement à l’étranger depuis l’annonce de sa candidature. Le candidat évoque avec Le Courrier d’Erevan un grand nombre de sujets qui lui tiennent à cœur. L’un d’entre eux est l’Arménie et l’implication de la France dans un pays auquel M. Zemmour dit son attachement : « L’Arménie est une terre sœur ».

Par Priscille Pavec ; photos Olivier Merlet

Œil pétillant, pas sautillant : Éric Zemmour, manifestement, se sent en Arménie comme chez lui. « J’ai un lien sentimental avec l’Arménie : je chante Charles Aznavour depuis mon enfance ! Et ici, les gens ne cessent de me dire que je lui ressemble ! » C’est une fierté pour le candidat qui bombe le torse et redresse une petite taille dont il sait ne pas perdre un pouce.

Sa mélomanie ne justifie toutefois pas, à elle seule, sa présence en Arménie. « L’Arménie est une terre qui a souffert dans le passé, qui a été éprouvée tout récemment et qui souffre encore. Il m’a semblé bon de venir sur place, lui exprimer ma solidarité et mon affection. Cela s’est aussi imposé à moi dans le cadre de mon analyse globale de la situation historique et géopolitique de la France et du monde. » Une analyse que le candidat partage sans se faire prier.

 

Conflit territorial et guerre de civilisation

« Le conflit qui oppose aujourd’hui l’Arménie à l’Azerbaïdjan et à la Turquie est un conflit aux motifs multiples. D’une part, c’est un vieux conflit territorial, vieux comme… tous les conflits territoriaux. On connaît ça en France, ou on a connu ça, avec l’Allemagne et la question de l’Alsace-Lorraine. Ici, je ne pense pas que les Azéris soient dans un conflit de civilisation avec l’Arménie, ils mènent une guerre de conquête territoriale. Et puis il y a, évidemment, un paquet d’intérêts économiques derrière. Mais comme disait Raymond Aron : « Les hommes font l’histoire mais ne savent pas l’histoire qu’ils font ». Or, Erdogan, lui, mène clairement une guerre de civilisation. Et il embarque tout le monde dans ce conflit. » L’intérêt du candidat Zemmour pour la thèse de Samuel Huntington* est bien connu. Mais si tout le monde est, comme il le dit, « embarqué » sur ce navire macabre mené par le capitaine turc, pourquoi l’Europe est-elle restée, sur la question de l’Arménie, si tristement silencieuse ? « L’Europe ? Mais je ne vois pas comment l’Europe qui n’est pas un pays, qui n’est pas une nation, pourrait avoir une diplomatie indépendante. L’Europe n’est rien. »

 

Voilà qui est dit. Et promet des débats houleux au cours de la campagne présidentielle qui commence. Mais là n’est pas notre sujet. Évitant le mot "Europe", que dire alors des flagorneries de pays européens serviles courbant l’échine devant l’arrogante Turquie ? Pourquoi ne parvient-on pas, ne serait-ce qu’à stopper les négociations d’entrée de la Turquie dans l’Union Européenne ? « La raison est simple et s’appelle : l’Allemagne. L’Allemagne a des millions de Turcs sur son territoire, et ils constituent une arme entre les mains d’Erdogan. Ce n’est pas quelque chose de nouveau. Les Anglais utilisaient les protestants présents sur le sol français, au grand dam de Richelieu. Aujourd’hui, l’ambassadeur d’Algérie en France a exhorté les Algériens à être les relais de la politique algérienne en France pour faire pression sur le gouvernement. Les "cinquièmes colonnes", c’est vieux comme le monde. Le gouvernement allemand tremble devant la menace de révoltes, d’attentats ou de manifestations. D’autre part, les Allemands se soumettent toujours aux Etats-Unis, qui eux-mêmes aident la Turquie car elle est en face de la Russie. »

Et la France dans tout ça ? « Emmanuel Macron a deux casquettes : celle de président de la République française et celle de militant de l’Europe fédérale. Et qu’est-ce que cette dernière lui chuchote à l’oreille ? » Ne perdons pas de temps à nous demander comment une casquette pourrait bien chuchoter quoi que ce soit : le sujet est grave. « Elle lui dit qu’il faut, en permanence, soutenir l’Allemagne. Donc, Macron finira toujours par sacrifier les intérêts de la France, et ici de l’Arménie, à l’Allemagne. Et cette dernière nous conduit à la soumission aux Etats-Unis et à la crainte de la Turquie. »

Casquette parlante ou non, l’analyse ne laisse pas d’être intéressante. Peut-être un peu injuste toutefois. Emmanuel Macron n’a-t-il pas été le seul à condamner fermement l’agression azérie contre l’Arménie ? A défendre les Grecs contre la Turquie ? « Bien sûr. Et il a eu tout à fait raison. Mais au dernier moment, Macron finira toujours par coiffer sa casquette de militant de l’Europe fédérale. Et voilà pourquoi la France est, non pas muette, mais impuissante. » 

 

Russie, mon amour…

A la casquette, Éric Zemmour préfère manifestement la chapka. Il ne fait pas mystère de son vif désir d’un rapprochement entre la France et la Russie. « Je me sens en communion avec l’âme russe, avec le peuple russe. J’aime sa culture, sa civilisation. Et puis il faudrait se mettre dans le crâne qu’il n’y a plus d’Union soviétique depuis trente ans et que la Russie n’est pas un adversaire ! En ce qui concerne l’Arménie, si j’ai bien compris, Vladimir Poutine a voulu donner une leçon au Premier ministre qui souhaitait se rapprocher des puissances occidentales. Mais il s’est repris, si j’ose dire, et c’est la Russie qui a arrêté la machine de guerre turco-azérie. » Notre interlocuteur fait un peu vite du président russe un grand seigneur. Vladimir Poutine avait promis l'intervention de la Russie en cas d’incursions azéries sur le territoire arménien. Celles du mois de mai dans la région de Gegharkunik, celles du mois de novembre dans la région de Syunik n’ont pas suscité de réactions. Et un sentiment s’impose : la Russie laisserait donc Turcs et Azéris dépecer le sud de l’Arménie pour asseoir sa protection sur le reste du pays ? Ou sa domination. « Non, on ne peut pas dire ça. » Faible protestation contre une réalité manifeste. « Mais vous savez, Vladimir Poutine n’est pas un sentimental ! Il défend avant tout les intérêts russes, pas les intérêts arméniens ! » Indubitablement. Et la solitude totale de l’Arménie dans ce conflit ne pourrait être plus clairement exprimée.

 

La France aux côtés de l’Arménie

Éric Zemmour, cependant, n’entend pas oublier l’Arménie, une fois de retour dans sa patrie. « Ce qui est sûr, c’est qu’il faut que la France s’implique. Si j’étais élu, je suivrais l’exemple de Jacques Chirac qui, en 2006, s’était engagé personnellement vis-à-vis de l’Arménie. » Soyons concrets… « Je souhaite un vrai rapprochement avec la Russie, pour que la collaboration entre nos deux nations soit aussi plus forte sur la question arménienne. Ça permettrait à la France d’être à nouveau respectée au sein du Groupe de Minsk. Aujourd’hui, ce groupe n’a plus d’utilité car la France n’y est pas respectée. Il n’est alors que le théâtre d’une lutte entre les Etats-Unis et la Turquie. » Voilà ce que chuchote sa chapka à l’oreille du candidat. Mais au-delà de ça, l’ancien polémiste n’hésite pas à associer l’Arménie au combat qu’il mène en France. « Nous avons le rôle de protecteur des chrétiens d’Orient, c’est un rôle millénaire, un devoir qui nous incombe depuis Saint Louis. Nous ne l’abandonnerons pas. » Éric Zemmour évoque, enfin, des mesures très concrètes afin de renforcer les liens entre la France et l’Arménie : « Il faut, bien sûr, apporter une aide économique à l’Arménie ! J’ai rencontré des membres de la Chambre de commerce et d’industrie et c’était passionnant. L’Arménie a manifestement les hommes, les compétence, l’intelligence et une jeunesse très férue de sciences et de technologie. J’ai appris que les scientifiques, les ingénieurs, les grands mathématiciens soviétiques étaient souvent arméniens. Nous aiderons les Arméniens, mais ce sera surtout l’intérêt des groupes français que de s’implanter en Arménie. »

 

Une main tendue aux Arméniens d’Arménie… Et de France

Le candidat est venu en Arménie, non pas au chevet des Arméniens – qui sont debout et ne courbent pas la tête, eux ! – mais à leur rencontre. Il a toutefois déjà côtoyé ces derniers sur le territoire français. Il n’hésite d’ailleurs pas à se prévaloir d’une compréhension mutuelle avec la diaspora arménienne… « Non, pas avec la diaspora. Moi je ne connais pas de diaspora arménienne. Je connais des Français, des citoyens, qui sont originaires d’Arménie. Et je m’entends fort bien eux. J’ai beaucoup de points communs avec eux, c’est une évidence. Je sais que les gens originaires d’Arménie comprennent ce que je dis. Ils ont compris le danger de l’islamisation du pays, ils ont compris les dangers d’une immigration devenue folle, ils ont compris que la France, en tant que civilisation européenne et chrétienne, était en danger. Ils savent que c’est l’enjeu majeur de la prochaine élection présidentielle. »

 

L’élection présidentielle… Il fut dit, il est dit, que le candidat n’effectue ce voyage en Arménie que pour s’attirer les voix des Arméniens vivant en France... Un procès que nous ne lui ferons pas ici : la défense de de la civilisation chrétienne est le combat de M. Zemmour depuis trop longtemps pour qu’un voyage en Arménie ne se présente pas comme une évidence. Il l’a dit : « Cela s’est imposé à moi. » Soit. Et puis, intéressé ou non, reprocher à Éric Zemmour le soutien qu’il apporte à l’Arménie n’a rien de constructif.

Il est toutefois un sujet sur lequel le Comité de coopération des organisations arméniennes de France (CCAF) ne sera pas d’accord avec l’ancien polémiste : celui des lois mémorielles. Le candidat a annoncé son intention, en cas de victoire aux élections, d’abolir ces lois. Or, obtenir que soit pénalement réprimé le négationnisme du génocide arménien est le cheval de bataille de la diaspora arménienne en France. « Mais les Arméniens ne doivent pas se tromper de combat ! Le génocide arménien est une évidence. C’est une réalité, comme le génocide des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Faire une loi pour pénaliser les négationnistes, ça donne l’impression qu’on cache quelque chose. C’est ce que disait Simone Weil au moment du vote de la loi Gayssot. En ce qui me concerne, je suis pour la liberté de recherche des historiens, mais la réalité s’imposera toujours ! Aujourd’hui, il n’y a que les Turcs qui contestent le génocide arménien, mais ce ne sont pas les Turcs qui font l’histoire et l’opinion en France. Et les lois françaises, les Turcs s’en moquent. Donc tout ça ne sert à rien. Au bout du compte, la vérité triomphe toujours. Il faut faire confiance à la vérité. » Ce ne sont pas les seuls mots qu’adresse le candidat à la diaspora : « Aidez-moi à sauver la France telle qu’elle est ! Aidez-moi à conserver la France comme terre de civilisation chrétienne. Pour que la France reste la France, comme l’Arménie restera l’Arménie. »

Oui, l’Arménie restera l’Arménie. Cette terre pluriséculaire et ce peuple fier existeront toujours. C’est aussi la conviction d’Éric Zemmour qui s’adresse ainsi aux Arméniens : « Je dis aux Arméniens d’Arménie : la France sera à vos côtés. La France qui restera la France sera à vos côtés. La France qui aura basculé en un autre peuple et dans une autre civilisation sera aux côtés de vos adversaires. »

Si le candidat aux élections présidentielles françaises ne se prive pas d’envoyer, depuis l’Arménie, des messages très politiques, il n’en demeure pas moins que son séjour ici l’aura marqué. « La messe à laquelle j’ai assisté à Khor Virap m’a bouleversé. J’ai eu l’impression de revenir aux sources de l’humanité. Oui, je dois le dire, je suis touché, ému par l’Arménie. » Cette émotion se traduira-t-elle en actions ?

 

* Samuel Phillips Huntington  est un professeur américain de sciences politiques, connu pour son livre intitulé Le Choc des civilisations paru en 1996 et objet de nombreuses controverses. D'après lui, il faut désormais penser les conflits en termes non plus idéologiques mais culturels. De nombreux commentateurs reprochent à Huntington de peindre un Occident assiégé par des civilisations hostiles alors que le monde est de plus en plus interdépendant.