Lavrov et le Groupe de Minsk - L'autre front

Actualité
12.04.2022

Suite à la récente déclaration du ministre des Affaires étrangères russe, Sergeï Lavrov, quant au devenir du Groupe de Minsk, les co-présidents français et américains dépêchent leur représentant auprès des capitales caucasiennes.

Par Olivier Merlet

Nous l'annoncions dans nos précédentes éditions: répondant aux questions des journalistes à l'issue de la rencontre avec son homologue arménien Ararat Mirzoyan le 8 avril dernier, Sergeï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, affirmait que la France et les Etats-Unis « pris d'une frénésie russophobe » avaient exclu la Russie de la coprésidence du Groupe de Minsk. « Nos "partenaires" français et américains au sein de ce groupe […] ont annulé la troïka des coprésidents du Groupe de Minsk de l'OSCE, refusant de travailler avec nous dans ce format. C'est leur droit. S'ils sont prêts à sacrifier le règlement du Haut-Karabakh et le Caucase du Sud en général, ce qui signifie dans ce cas sacrifier les intérêts de l'Arménie, c'est leur choix. »

Alors que depuis les premières évocations d'un possible accord de paix entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, Erevan n'a de cesse de réclamer la supervision et la médiation du Groupe de Minsk dans les pourparlers à venir, la déclaration de Lavrov semble vouloir mettre les points sur les "i" : les négociations seront effectivement tripartites, mais dans le cadre de « tous les accords trilatéraux conclus par les dirigeants de la Russie, de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan ». « Si les États-Unis et la France ont décidé d'agir autrement, que Dieu leur soit juge ».

Sergeï Lavrov conclut sur ces mots « M. Mirzoyan a cité une déclaration de l'Azerbaïdjan selon laquelle la troïka des coprésidents a cessé d'exister. Je n'ai pas entendu cette déclaration de l'Azerbaïdjan, mais je la considère comme un fait car les représentants français et américains l'ont dit dans le cadre de la troïka. »

Ni le groupe de Minsk, ni la France ou les États-Unis n'ont démenti les propos du ministre russe des Affaires étrangères, impossible toutefois de retrouver une quelconque déclaration de leur part qui aurait pu susciter de telles accusations. Toujours est-il que dès dimanche, Brice Roquefeuil, co-président français de la troïka s'envolait pour Erevan, point de départ d'une tournée de 3 jours des capitales caucasiennes selon des sources diplomatiques, tandis que celle à venir de son équivalent américain, Andrew Schofer, était annoncée par voie de presse.

Brice Roquefeuil s'est entretenu hier lundi 10 avril avec Ararat Mirzoyan. Le Quai d'Orsay français commentait la visite du co-président français en répondant à la même question que celle posée à Sergeï Lavrov quelques jours plus tôt à Moscou. Quant à l'avenir possible du Groupe de Minsk, le ministère français des Affaires étrangères rappelait le « plein engagement [de la France], tant à titre bilatéral qu'en sa qualité de présidente du conseil de l'Union européenne et de sa coprésidence du Groupe de Minsk, à promouvoir la paix et la stabilité dans la région du Sud-Caucase. En ses différentes capacités, elle continue à travailler avec l'Arménie et l'Azerbaïdjan à des progrès sur les questions humanitaires, à soutenir les travaux sur la délimitation de la frontière, au désenclavement de la région, à la sauvegarde du patrimoine, à l'obtention d'un traité de paix entre les deux pays et au règlement de la question du Haut-Karabagh. » En termes à peine plus succincts, on croyait relire la déclaration du chef de la diplomatie russe.

Si les États-Unis semblent attendre le déplacement dans la région de leur propre co-président pour faire valoir leur point de vue, James Warlick, l'ancien co-président américain du groupe de Minsk de l'OSCE, a confié le sien dans une interview à nos confrères d'Armenews : « Je pense que le groupe de Minsk a encore un rôle à jouer […] et que les parties en conflit ont besoin du soutien de la communauté internationale pour travailler sur les problèmes existants. S'il y a un désir de créer un nouvel équipage, je le comprends très bien, mais s'il est créé, ce devrait être comme le groupe Minsk. Compte tenu des tensions entre la Russie, les États-Unis et la France, il n'est pas surprenant que [celui-ci] ne soit pas en mesure de travailler en partenariat et en coopération maintenant. […] Je pense que le Conseil européen ou une autre structure peut maintenant jouer un rôle. S'il veut prendre l'initiative, il peut également fonctionner tout aussi efficacement.

Et l'Arménie dans tout cela ? Et le Karabakh ? Ararat Mirzoyan déclare continuer à penser que les « signaux [qu'il reçoit] des coprésidents du groupe de Minsk de l'OSCE et des dirigeants de nombreux autres pays sont très encourageants. La communauté internationale continue de voir le règlement du conflit du Haut-Karabakh dans le cadre de la coprésidence du Groupe de Minsk de l'OSCE ».  Ce groupe de Minsk, créé pendant le premier conflit du Karabakh en 1992 par la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) dans le but d'encourager la recherche d'une résolution pacifique et négocié entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, a largement démontré son inefficacité et son impuissance à régler quoi que ce soit : ni l'insécurité ni les échauffourées chroniques sur la zone de contact depuis 30 ans, ni à empêcher les guerres de 2016 et de 2020... Et depuis les accords du 9 novembre 2020, sous l'égide de la Russie suite à son intervention militaire unilatérale, l'Europe et les Etats-Unis, craignant de se voir pour longtemps écartés des enjeux et intérêts régionaux tentent de ranimer le moribond.

Pour la Russie, la plateforme régionale consultative 3+3 telle qu'évoquée à l'automne dernier avec la participation des pays du Caucase du Sud, la Russie, l'Iran et la Turquie « offre davantage de possibilités d'établir un dialogue et de développer une coopération multidimensionnelle entre tous les pays du Caucase du Sud et leurs voisins ».

La Géorgie avait une première fois rejeté cette option. Lavrov lui a renouvelé son invitation lors de sa rencontre avec son homologue arménien. Il est permis de noter, dans le contexte ukrainien, que Tbilissi manifeste ces derniers jours de bien meilleurs égards vis-à-vis de Moscou en refusant de se joindre aux sanctions internationales, écartant catégoriquement l'hypothèse de l'ouverture d'un second front.

On se demande si ce n'est pas de cela dont il s'agit d'ailleurs pour l'Europe et les Etats-Unis, dans la guerre totale qui les oppose à la Russie, au déni des prétendues considérations humanitaires, du règlement urgent des préoccupations vitales arméniennes et de la paix dans le Caucase.