Lavrov - le doute savamment distillé

Actualité
19.01.2023

À l'occasion d'une conférence de presse de près de trois heures consacrée au bilan des activités de la diplomatie russe en 2022, Sergeï Lavrov a été interrogé sur les dissensions entre l'Arménie et l'OTSC, "officialisées" lors de son dernier sommet à Erevan en novembre dernier. Le ministre des Affaires étrangères de la fédération de Russie a aussi fait allusion au corridor de Latchin dont il entrevoit le déblocage, « dans un futur proche».

Par Olivier Merlet

 

Habituellement grand maître de l'ironie et des petites phrases assassines, Sergeï Lavrov a semblé hier, au contraire, préféré manier la langue bienveillante de l'apaisement et de la conciliation. Le contexte ukrainien et des relations internationales ne lui laissant sans doute par ailleurs guère d'autres choix, que de tenter de souder le bloc de ses alliés avant qu'ils ne s'en détournent définitivement.

Il ne faudrait toutefois pas s'y tromper, le ton était ferme et les recommandations sibyllines de Moscou intiment toujours la plus grande considération.

Sergeï Lavrov pas fait mystère des tensions existantes avec l'Arménie et rappelé le contentieux du sommet d'Erevan en novembre dernier. « Nous ne cacherons pas que nous avons des difficultés liées à la situation actuelle en Arménie » a reconnu le chef de la diplomatie russe. Évoquant la saisine du Conseil de Sécurité collective par l'Arménie pour l'envoi d'une mission d'observation à la frontière arméno-azerbaidjanaise, il a de nouveau rappelé l'accord trouvé sur ce point lors du sommet d'Erevan. « Mais il n'a pas été possible de l'accepter, car les collègues arméniens ont commencé à insister pour que ce document contienne une condamnation sévère de l'Azerbaïdjan. Nous avons expliqué qu'en matière de condamnation, de rhétorique ou de positionnement, chacun est libre de faire ce qu'il veut. Mais si nous voulons envoyer une mission de l'OTSC, elle ne saurait être conditionnée à des "signaux extérieurs" et à des déclarations dures ».

Situation aux frontieres : OTSC vs UE

Moscou persiste à se dire tout à fait favorable à l'envoi d'une mission à la frontière arméno-azerbaidjanaise mais déplore la "préférence" de l'Arménie pour le renouvellement de celle mandatée par l'Union européenne à l'automne dernier. Elle juge même que sa prolongation pourrait entraîner un effet inverse à celui escompté, en détériorant encore un peu plus les relations entre les deux États. « Malgré le fait que nous soyons alliés et que cette mission soit parfaitement préparée,

la partie arménienne préfère négocier avec l'Union européenne pour qu'une mission d'observateurs civils y soit stationnée sur le long terme. C'est le droit de l'Arménie.

Mais nous ne devons pas oublier que nous parlons de la frontière avec l'Azerbaïdjan. Si cette mission se déroule sans son accord, elle sera contre-productive. Au lieu de renforcer la confiance à la frontière, cela peut objectivement créer des motifs supplémentaires d'irritation.»

Quelques minutes auparavant, Sergeï Lavrov estimait que « nos partenaires de l'OTSC ont des problèmes qui surgissent dans leurs relations avec l'Occident et sous sa pression […] Je voudrais que la solidarité au sein de nos structures alliées soit à cent pour cent. »  Il a poursuivi un peu plus tard : « Chacune des régions de l'OTSC - Asie centrale et Caucase - doit être abordée de manière créative pour comprendre toute la complexité des problèmes qui se posent dans le développement de chacun de nos États. Il y a une pression sur eux. On a déjà dit combien de partenaires extérieurs souhaitent développer des relations privilégiées avec l'Asie centrale. Certains sont intéressés à inclure le secteur de la sécurité dans les plans de coopération.

Mais tous nos partenaires sont bien conscients qu'il n'y aura pas de divergences avec les obligations au sein de l'OTSC. Nos amis arméniens donnent les mêmes assurances ».

À bon entendeur…

Latchin : « beaucoup d'accusations mutuelles »

Sur le blocage du corridor de Latchin, les propos du ministre russe des Affaires étrangères semblent toutefois un peu moins clairs. S'il « pense que le problème sera résolu dans un futur proche », on s'étonne que la solution retenue n'émerge qu'au terme de plus d'un mois de blocage et surtout qu'elle ait été ignorée en deux années de présence des forces de la paix russes sur le terrain.

Au cours d'une conversation téléphonique du 17 janvier, son homologue azerbaïdjanais, Jeyhun Bayramov, lui aurait fourni des données selon lesquelles la partie arménienne aurait livré des mines au Karabagh via le couloir, « utilisées ensuite pour miner les territoires proches des positions azerbaïdjanaises, en violation des accords tripartites ».  Précisant que ces données étaient en cours de vérification par les militaires russes, Lavrov a déclaré avoir « proposé une chose simple : le contingent russe de maintien de la paix a le pouvoir, en vertu d'un accord tripartite, de contrôler ce trafic et de contrôler les véhicules, par exemple, pour l'absence de marchandises interdites, non humanitaires et non civiles. »

Rappelant aussi que « selon l'entente conclue par les dirigeants des trois pays le 9 novembre 2020, le corridor Lachin devrait être libre pour le passage des marchandises, des citoyens et des véhicules dans les deux sens », le ministre russe a confirmé la réunion des représentants de l'Azerbaïdjan et du Karabagh, avec la participation du commandant du contingent russe. Sergeï Lavrov a constaté « beaucoup d'accusations mutuelles ».

Il est encore trop tôt pour dire s'il s'agit de renvoyer dos à dos les parties en s'en lavant les mains ou si Moscou montrera enfin vis-à-vis de l'Arménie un peu plus de cette loyauté d'alliance qu'elle exige de sa part.