Հայաստանի կանայք - Femmes d'Arménie : Ani Djanikian, le français de père en fille

Arménie francophone
11.01.2022

Elles sont professeur, journaliste, chercheuse, politicienne... Naïra, Ani, Constance, Thénie et les autres ont l'amour de la langue française en partage. Le Courrier d'Erevan les a rencontrées et leur a laissé la parole. Elles nous racontent leur histoire, en français dans le texte, simple et extraordinaire. Portraits de femmes, exemplaires, touchantes, dérangeantes, une autre image de l'Arménie. 

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Ani Djanikian a grandi dans une famille francophile d'Arménie. Elle est aujourd'hui professeure de littérature française à la chaire de littérature et culture mondiale à l’université d’État Valery Brusov. Elle est aussi metteur en scène et particulièrement active dans le milieu artistique francophone.

Par Aurélia Bessède

 

« Je vivais à travers les journaux français »

« Mon amour pour la France est héréditaire. Mon père est traducteur littéraire et j’ai suivi avec ma sœur une instruction à l'école française "119", rebaptisée aujourd'hui "Benjamin Jamkotchian". On continue d'ailleurs à l'appeler "l'école 119", je crois. Elle se trouvait loin de chez nous, près de la gare David de Sassoun.

Malgré les conditions difficiles de la guerre, nous accueillions régulièrement des invités français. Je me rappelle ainsi qu’une grande psychanalyste française d’origine arménienne, Hélène Piralian, est venue nous rendre visite, mon père avait traduit l'un de ses livres sur la transmission du génocide. C’était pour nous quelque chose d'incroyable que d’avoir une invitée de Paris à la maison. Je nageais littéralement dans la culture et la civilisation française, et même lorsque nous n’avions rien, Hélène Piralian ou d'autres amis de mon père nous envoyaient tout le temps des journaux français. Je découvrais des stars que je ne connaissais pas, et avec mon groupe universitaire, nous vivions à travers les images de mode et de la vie en France. Je vivais à travers les journaux français. Le monde francophone m'apparaissait comme une bulle où l'on pouvait se réfugier.

Par la suite, j'ai souhaité entrer à l’université des beaux-arts et devenir actrice, mais mes parents n’étaient pas d’accord. J’ai donc choisi d’étudier le français à l’université Brussov, et après cinq ans, je suis devenue chercheuse. J’ai alors commencé à rédiger ma thèse sur les traditions de classicisme dans le drame romantique français et suis devenue professeure de littérature et de théâtre français.

En 2011 j’ai décidé de mettre en scène de "La voix humaine" de Jean Cocteau avec trois de mes étudiantes. J'avais également un rôle dans la pièce. J’aime beaucoup l’émotion qui se dégage du dialogue silencieux de cette femme, seule, au téléphone. Je voulais créer un personnage pour chacune des différentes émotions qui traversent l’œuvre. Notre troupe de théâtre porte le nom de cette pièce. Chaque année nous nous produisons en français : "Les bonnes", de Jean Jeunet, "Les mouches" de Jean-Paul Sartre, "Lettres à l’humanité" de José Pliya ou encore "Tuer le moustique", de Martin Bellemare, que nous avons présenté au festival des ReuTeuLeu, à Lyon, en 2019.

 

"Madame K" et la révolution de velours

"Madame K" est une comédie dont l'action se déroule en 2018 et dans laquelle quatre femmes arméniennes francophones, une professeure et ses trois élèves, arrivent en France pour jouer une pièce de théâtre. La révolution de velours éclate en Arménie et malgré les bouleversements politiques, la professeure continue son voyage. Mais le pays tant vanté qu'elle promettait à ses élèves ne s’avère pas aussi merveilleux que « dans les vieux livres de Madame K ».

L’histoire de cette pièce est née en 2018 de la rencontre avec Emanuelle Dellle Piane, lors de notre représentation de "Lettres à l’Humanité" au festival de Poznan. Nous avons passé trois jours chez elle avant de partir en Avignon et l’avons invité en Arménie par le biais de notre association "Avant-scène". Emmanuelle est arrivée lors des prémices de la révolution de velours, la situation l’a inspirée et elle a écrit "Madame K et la Révolution de velours".

 

Des projets futurs

Pendant la période de pandémie et d’isolement, nous nous sommes nourries de ces mois de voyages et de représentations. Le monde artistique a été particulièrement frappé. Nous commençons tout doucement à nous projeter de nouveau. Nous prévoyons pour l'automne une performance de théâtre chanté sur des chansons de Charles Aznavour des années 50 à la fondation éponyme. Après l’enfermement de la pandémie et de la guerre, je cherche également une inspiration de mise en scène comique et gaie. J’en ai fondamentalement besoin, j’ai besoin de partager de l’optimisme et de l’espoir. Une idée me trotte dans la tête depuis quelques temps, nous en discutons avec Naïra Manoukian. J’aimerais adapter la pièce de Jean Giraudoux : "La guerre de Troie n’aura pas lieu". Je veux signaler une fois de plus à quel point l’humanité se trouve dans un cercle vicieux. Nous nous retrouvons toujours dans un éternel retour. Le titre est paradoxal car le public sait que la guerre de Troie a eu lieu. Je veux faire la transversion de la pièce avec les élèves afin de penser et réfléchir ensemble à la paix, malgré les conditions dans lesquelles nous nous trouvons. L’optimisme et la recherche de la paix sont viscérales. À la fin de la pièce, le rideau tombe sur l'annonce que la guerre de Troie n’aura pas lieu, mais finalement se relève sur la trahison d'Ulysse par Demokos, à l’origine de l’hymne de la guerre. Ce que j’aimerais, c’est que le rideau ne se relève plus jamais pour annoncer l’éclatement de la guerre, mais seulement pour annoncer le début de la magie du spectacle ».