Interview avec S.E.M. Christian TER-STEPANIAN, Ambassadeur, Représentant personnel du Premier ministre de la République d'Arménie auprès de l'OIF

Arménie francophone
21.06.2021

- M. l’Ambassadeur, l’Arménie assure, depuis octobre 2018, la présidence du Sommet de la Francophonie. Cette présidence, qui arrive à échéance en novembre prochain, a coïncidé avec une période extrêmement difficile et complexe, à la fois sur le plan national (la guerre en Artsakh) qu’international (pandémie du Covid-19). Quel bilan pour l’Arménie dressez-vous de cette période?

L’Arménie a, en effet, assuré sa présidence du Sommet de la Francophonie dans le contexte difficile que vous avez évoqué.

La crise sanitaire sans précédent de la pandémie de la Covid 19 nous a ainsi amenés à annuler voire reporter des initiatives que la présidence arménienne souhaitait mettre en oeuvre ; j’ai notamment à l’esprit des activités visant à la promotion du vivre ensemble, de l’égalité femme homme ainsi que le projet de Forum économique.

Cette crise n’a pas été, non plus, sans impact sur les manifestations culturelles, artistiques, éducatives francophones que l’Arménie organise, depuis maintenant une quinzaine d’année, pour célébrer la journée internationale de la Francophonie, à travers ses « Saisons annuelles de la Francophonie en Arménie. »

De fait, nous pouvons dire que c’est toute la Francophonie, son fonctionnement, ses programmes d’activités, qui a été affectée par la crise de la Covid 19.

La preuve en est même, le report d’un an du Sommet de Djerba (Tunisie), prévue en décembre 2020, qui aura lieu, en définitif, fin novembre 2021.

Cela a eu aussi pour conséquence une prolongation d’un an de la présidence de l’Arménie du Sommet de la Francophonie, avec les responsabilités qui lui incombent.

En premier lieu, de présider la Commission politique de l’Organisation internationale de la Francophonie, donc d’animer, en étroite concertation avec le Cabinet de la Secrétaire générale de la Francophonie, les débats qui touchent les grandes questions politiques se posant dans l’espace francophone. Dans ce contexte, l’Arménie a pu jouer pleinement son rôle.

J’ai été, pour ma part, sensible à la marque de confiance que m’a témoignée S.E.Mme Louise MUSHIKIWABO,  Secrétaire générale de la Francophonie en m’associant à la mission présidée par l’ancien ministre des Affaires étrangères de Mauritanie qui s’est rendue, tout récemment au Tchad, pour accompagner le processus de transition dans ce pays.

En second lieu, c’est encore dans le cadre de cette Commission politique et du Conseil permanent de la Francophonie que nous menons le suivi des engagements pris par les Etats et gouvernements membres de la Francophonie lors du Sommet d’Erevan.

C’est aussi au sein de ces instances que les délégations des Etats et gouvernements francophones ont pu être sensibilisées sur l’agression armée lancée par les forces turco-azerbaïdjanaises à l’encontre de l’Artsakh. A cet égard, nous savons grés à la Secrétaire générale de la Francophonie pour le témoignage du soutien qu’elle a apporté à l’Arménie en cette circonstance.

La participation active de l’Arménie aux instances de la Francophonie concerne évidemment les autres Commissions ainsi que le Groupe de travail présidé par la Secrétaire générale de la Francophonie en vue de moderniser les fonctionnements des instances de la Francophonie.

Je dirai également que cette présence de la Présidence arménienne du Sommet s’est également   vérifiée au sein des divers Groupes des ambassadeurs francophones, en assumant notamment la présidence de ces Groupes, que ce soit au Conseil de l’Europe, au Pays Bas ou encore à l’UNESCO.

Ainsi, au-delà des difficultés qui ont été évoquées, l’Arménie a occupé la place qui lui revenait en sa qualité de Président en exercice du Sommet de la Francophonie et demeure un membre actif de la Francophonie institutionnelle. Nous mesurons, à cet égard, tout le chemin que nous avons parcouru pour un pays qui célébrera en 2022 le 10ème anniversaire de son adhésion à la Francophonie en tant que membre de plein droit.

 

- Peut-on s’attendre à une visite de Mme la Secrétaire générale Louise MUSHIKIWABO en Arménie dans les mois qui viennent?

Nous espérons vivement que la Secrétaire générale de la Francophonie nous fera l’honneur de visiter l’Arménie avant que celle-ci ne transmette la Présidence du Sommet de la Francophonie à la Tunisie.

Chaque visite d’un(e) Secrétaire général(e) de la Francophonie dans notre pays est toujours l’occasion de l’affirmation et de l’approfondissement des liens étroits qui unissent l’Arménie et la Francophonie ; celle-ci interviendra dans le contexte de notre présidence, en gardant particulièrement à l’esprit que la Secrétaire générale fut investie de sa mission lors du Sommet d’Erevan. Ce fut là un évènement marquant de cette Conférence et l’Arménie est tout à fait consciente d’avoir été le théâtre de cette consécration.

Ce sera également un moment d’échanges sur les dossiers prioritaires de la Francophonie et j’ai la conviction que la Secrétaire générale aura à cœur d’avoir des consultations avec les autorités arméniennes à la veille du prochain Sommet.

 

- Récemment, un avis avait été émis en Arménie, établissant une distinction entre « la Francophonie d’apparat et la Francophonie de fait » et disant que : « L’Arménie ne sait pas vraiment comment s’y prendre, avec cette Francophonie dite institutionnelle. Nous avons un Ambassadeur auprès de la Francophonie. Quel est son agenda pour le développement de la Francophonie institutionnelle en Arménie, quel est son plan d’action ? » Que répondez-vous à cela?
 

S’agissant, tout d’abord, de la « Francophonie d’apparat », je dirai que la tenue de grands évènements francophones en Arménie ne saurait se limiter au seul aspect protocolaire ; que ce soit en 2011 lors qu’a été organisée à Erevan l’Assemblée générale de l’Association internationale des Maires francophones, en 2015, lors de la Conférence ministérielle de la Francophonie que nous avons tenue en Arménie, ou encore en 2018, lors du Sommet d’Erevan, l’Arménie s’est ouverte sur un monde avec lequel elle avait peu ou pas de contact.

Nombreux sont les représentants des pays africains francophones qui ont découvert notre pays, sa culture, son histoire ; des liens basés sur l’intérêt mutuel se sont noués qui ont permis le développement de coopérations dans les domaines politique, culturel et économique.

Cette présence institutionnelle de la Francophonie en Arménie que nous avons cherché à développer, a servi de levier pour l’édification de relations de coopération avec ces pays, qui, du reste, mériteraient encore à être renforcées ; celles-ci sont bien le fruit de cette ouverture que nous a apporté la Francophonie et des initiatives prises par l’Arménie pour renforcer sa visibilité au sein de la Francophonie institutionnelle.

A travers la tenue du Sommet d’Erevan, l’Arménie a naturellement aussi montré sa capacité à organiser de grands évènements internationaux réunissant plusieurs dizaines de Chefs d’Etat et de Gouvernement, ce qui lui a valu la reconnaissance de la communauté internationale.

Concernant la Francophonie institutionnelle, je crois avoir déjà répondu en détail sur la place qu’occupe l’Arménie au sein de la Francophonie institutionnelle ; en ma qualité de représentant personnel du Premier ministre auprès de l’O.I.F, la fonction principale qui m’est dévolue est bien une fonction de représentation auprès des instances de la Francophonie.

Quant au développement de la Francophonie en Arménie, je ne crois pas qu’une telle responsabilité puisse reposer sur les épaules d’une personne. De la période (2008 à 2013) où j’ai occupé le poste de Conseiller du Ministre des Affaires étrangères chargé de la Francophonie auprès de S.E.M. Edward NALBANDIAN qui a été le grand initiateur du rapprochement de l’Arménie avec la Francophonie, je garde le souvenir d’une responsabilité partagée ; outre le Ministère des Affaires étrangères qui jouait un rôle de coordinateur, un certain nombre d’acteurs institutionnels, tels que les Ministères de l’Education et de la Culture, les Universités arméniennes, les collectivités locales arméniennes, le tissu associatif francophone, étaient impliqués dans la promotion de la Francophonie et de la langue française en Arménie.

C’est, dans ce contexte, alors que l’Arménie n’était pas encore membre de plein droit de la Francophonie que nous avons signé, au Sommet de Kinshasa en 2012, un Pacte linguistique avec la Francophonie ; celui-ci visait à promouvoir un environnement francophone en Arménie et l’apprentissage de la langue française dans les écoles, les universités mais aussi pour les fonctionnaires arméniens.

Ce Pacte qui a été élaboré avec la participation de la Francophonie et de l’ensemble des acteurs institutionnels arméniens, pour une période de trois ans et reconduit jusqu’en 2018, a permis d’enregistrer de réelles avancées dans les domaines en question.

Ces Pactes qui étaient, rappelons-le, proposés par la Francophonie, et conclus avec les Etats francophones, à partir d’une démarche volontaire, n’ont aujourd’hui plus cours.

Une réflexion est actuellement en cours au sein de la Francophonie qui devrait permettre, à l’avenir, aux Etats de la Francophonie qui le souhaiteraient, de disposer de mécanisme d’accompagnement visant notamment à la promotion de la langue française.   

Il conviendra certainement de se montrer, dans le futur, attentif à une telle offre. Il serait, en effet, souhaitable que tout plan d’action dans ce domaine puisse être coordonné avec la Francophonie.

Dans l’immédiat, la Coordinatrice nationale pour la Francophonie, Madame Lusiné MOVSISYAN, continue à gérer, conjointement avec l’OIF, le programme de formation au français des fonctionnaires de l’administration arménienne, mise en œuvre par l’Alliance française d’Arménie. Le Ministère de l’Education, pour sa part, poursuit sa coopération avec le CREFECO de l’OIF pour la formation des enseignants arméniens de français.                                                        

 

- L’OIF qui est impliquée dans les processus d’observation des élections dans les pays membres de la Francophonie, observera, pour la première fois, les élections parlementaires anticipées à venir en Arménie ? Que vous inspire cette initiative ?

Force est, tout d’abord, de constater que cette initiative témoigne de l’intérêt que manifeste la Francophonie à propos des développements politiques en Arménie. Plus encore, il s’agit bien d’une marque de solidarité de la Francophonie envers l’Arménie, ainsi que de reconnaissance de la place qu’occupe notre pays au sein de la famille francophone.

Il faut y voir enfin un élargissement du champ de notre coopération dans un domaine, celui de la démocratie, où nous avons des valeurs partagées.