Michel Petrossian, artiste aux multiples facettes

Arts et culture
07.02.2022

Compositeur, philologue, explorateur et plus récemment écrivain, l'artiste franco-arménien Michel Petrossian associe les talents dans une quête culturelle sans limite. Le Courrier d'Erevan revient sur le parcours de cet éternel curieux actuellement de passage à Erevan pour l'enregistrement d'un concerto pour violoncelle et la présentation de son recueil, "Chant d’Artsakh".

Par Marguerite Drieux

De ses débuts dans la musique à la découverte d’une “véritable patrie musicale”

Baigné dans le monde des arts depuis son plus jeune âge avec un père se destinant à la peinture et une mère démarrant une carrière de pianiste-concertiste, Michel Petrossian s’est vite détourné des études scientifiques qu’il avait entamées pour se consacrer à sa passion, la musique. C’est lors d’un voyage à Saint-Pétersbourg qu’il découvre les Beatles et se met en tête d’écrire ses propres morceaux. Il délaisse rapidement les bancs de la fac pour gratter les cordes avec son groupe de rock, arborant la coupe longue, loin du style conventionnel auquel on le prédestinait. Audacieux et déterminé, il parvient à intégrer le Conservatoire d’Erevan, prélude à une carrière de compositeur qu’il va mener à l’étranger. Arménien de sang, c’est en France qu’il va trouver sa véritable “patrie musicale” à la suite de l’écoute du "Quatuor pour la fin du temps" d’Olivier Messiaen. Il quitte sa terre natale et entre au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris dont il sortira diplômé en 2001. Une étape qui donne le "La" de sa carrière musicale.

Co-fondateur de l’ensemble Cairn en 1997, on lui réclame des commandes, en France comme à l’étranger. Parmi tous ses concerts, on peut citer "Ciel à vif" au Théâtre du Châtelet en 2015 et "Amours sidoniennes" au Grand Théâtre de Provence en 2017, des projets de grande envergure qui vont lui offrir un rayonnement international. Michel Petrossian se lance également dans la composition de la musique de films, pour "Bravo, virtuose !" de Levon Minasian " en 2016, qu'il écrit en collaboration avec le pianiste et compositeur Tigran Hamasyan ou pour "Gloria mundi" de Robert Guédiguian en 2019. Plus récemment, il a entamé une collaboration avec le réalisateur Emmanuel Courcol pour un film où la musique joue un rôle déterminant.

Des créations singulières façonnées par les voyages et les langues

Les œuvres de Michel Petrossian sont teintées des multiples influences nées de l’étude des langues et des civilisations anciennes à la Sorbonne et de ses voyages. D’Éthiopie jusqu'en Iran, à Jérusalem, où il a étudié à l'École archéologique française pendant un an, ou encore du côté de l'Asie centrale. Riche de ces expériences, il met en résonance différentes sensibilités artistiques et culturelles, pour rendre singulières ses créations, comme son concerto pour piano et orchestre “In the wake of Ea”, récompensé par le Grand Prix au Concours musical international Reine Élisabeth de Belgique en 2012.

Il envisage aujourd'hui l'écriture complète - livret et musique - d'un opéra convoquant des styles variés, mêlant tout à la fois instruments traditionnels, contemporains et baroques, une pièce révélatrice de la singularité de cet artiste qui refuse qu’on l’enferme dans un seul genre. « Aujourd’hui, on est confronté à la tendance suicidaire de tout épurer [...] la culture doit résister à cela ».

Contre la tendance actuelle à l’uniformisation, notamment linguistique, Michel Petrossian encourage l’apprentissage des langues anciennes « pour toutes les perspectives d’univers qu’elles ouvrent ». Il en maîtrise lui-même une dizaine dont l'hébreu, le vieux-slave et le grec, qu’il souhaite voir perdurer tant elles sont porteuses d’identité et permettent, selon lui, « l’accès à une forme de pensée différente ».

Démocratiser l’art dans un contexte de fragmentation des cultures et des identités

S’il impressionne par son parcours, Michel Petrossian souhaite rendre ses œuvres accessibles au plus grand nombre, plutôt que de les réserver à une élite d’initiés. Sur sa page Facebook, des textes sur ses découvertes culturelles et des vidéos où il joue de la guitare sont régulièrement publiées, à destination de ses "followers". À l’image traditionnelle du compositeur solitaire et impénétrable, il oppose la figure de l’écrivain auquel on s’identifie. Les réactions qui ont suivi la publication en ligne de ses textes relatant les événements tragiques de 2020 en Arménie le montrent bien, elles révèlent un ressenti collectif qu’il est parvenu à exprimer à travers les mots. Ces textes ont servi de base pour son recueil "Chant d’Artsakh", œuvre littéraire publiée aux éditions de l’Aire*.

Face au constat d’une culture fragmentée où la musique contemporaine est habituellement réservée à une certaine classe, Michel Petrossian mène un véritable combat culturel en souhaitant rendre plus accessible ce patrimoine universel. « L’art est le lieu qui porte le sens. [...] Engagé au-delà du politique, l’artiste vise l’au-delà des appartenances. [...] Nous sommes de véritables mille-feuilles identitaires ».

Souhaitons longue route à cet artiste aux multiples facettes que l'on retrouvera le 27 mars prochain à Monaco à l’occasion de la création du ballet "Sept, les anges de Sinjar", basée sur la mythologie yézidie et conçue en collaboration avec le compositeur Aram Hovhanissian, dans le cadre du Festival Printemps des Arts de Monte-Carlo dirigé par Bruno Mantovani. L’œuvre est conçue pour l’Ensemble Orchestral Contemporain de Lyon et la Compagnie Hallet-Eghayan, et devrait à terme être présentée également en Arménie.

 

* "Chant d’Artsakh", Éditions de l’Aire (Vevey, Suisse)