Des courageuses jeunes femmes d’Artsakh et du mariage en pleine guerre

14.12.2020
EDITO DU MOIS
Complément spécial KASA

Le 27 septembre 2020, l’Azerbaïdjan a entrepris sa revanche contre les Arméniens d’Artsakh (nom arménien du Haut-Karabagh) ruminée pendant 30 ans et soigneusement préparée avec son “frère aîné" la Turquie. La guerre, qui a duré 44 jours, a provoqué d’immenses ravages: des milliers de morts des deux côtés, des dizaines de milliers de blessés, des centaines de prisonniers de guerre et disparus, environ 90 mille personnes spontanément déplacées d’Artsakh en Arménie (dont plus de 26 mille sont déjà retournées en Artsakh après la déclaration du cessez-le-feu du 10 novembre), sans mentionner les énormes pertes et dégâts à d’autres niveaux. Sur fonds d’une mobilisation arménienne sans précédent en Arménie et aux quatre coins du monde, la Fondation Humanitaire Suisse KASA s’est elle aussi très vite organisée pour mettre ses ressources humaines, ses compétences et son expérience dans le domaine humanitaire au service des Artsakhiotes.

Parmi d’autres initiatives, le projet “Accueillir une famille” réalisé il y a peu de temps en faveur de réfugiés arméniens de Syrie a été réactivé avec quelques ajustements nécessaires   pour s’adapter aux besoins du nouveau groupe cible. “En fait, plusieurs de nos anciens volontaires nous ont contactés durant les premiers jours [de la reprise du conflit] en demandant ce qu’ils pourraient faire pour les Artsakhiotes. Pour ces jeunes, KASA sert de plateforme dont le rôle principal est d’organiser et de coordonner les travaux des volontaires. En même temps, elle leur accorde un double soutien psychologique pour, d’une part, «aider sans nuire» et d’autre part, prévenir un possible épuisement émotionnel et mental chez les volontaires eux-mêmes, consécutif à leur contact régulier avec une réalité très difficile et fragile”, explique Mariné Tounian, coordinatrice des volontaires à KASA. “Nous avons également mis ces jeunes en contact avec d’autres jeunes, eux-mêmes d’Artsakh, désireux de se porter volontaires. Le tandem artsakhiote - local s’est avéré fort efficace, le premier disposant d’une importante “base de données” sur ses compatriotes déplacées en Arménie, le second muni(-e) des compétences et connaissances requises pour accompagner les bénéficiaires au niveau de leurs besoins essentiels: logement, nourriture, soins médicaux, produits d’hygiène, habits, éducation des mineurs, etc”, note-t-elle.

Mariam et Tamara font partie de ces courageuses jeunes femmes originaires d’Artsakh qui se sont engagées durant la guerre en tant que volontaires à KASA. Leurs récits personnels permettent, à notre sens, de mesurer le degré de complexité et de vulnérabilité du destin des Arméniens d’Artsakh, à peine audibles dans le tumulte de la conjoncture (géo)politique actuelle autour d’Artsakh et de l’Arménie.

Le mariage de Mariam Sargsyan en pleine guerre à la cathédrale de Ghazanchetsots à Chouchi (ville stratégique désormais sous le contrôle azéri) a été largement médiatisé en Arménie et à l’étranger. Symbole de la résistance de la vie face à la guerre avant la déclaration du cessez-le-feu, elle devient, d’un coup, la dernière Arménienne mariée dans cette cathédrale déjà vandalisée. Le jour de son mariage, elle aura “vécu” aussi les seules 10 minutes - le temps d’enfiler la robe de mariée pour se rendre à la cathédrale - dans l’appartement acheté avec son futur mari, littéralement 2 jours avant la guerre, grâce à des économies faites depuis des années. Originaire de la ville de Martuni en Artsakh, Mariam travaillait à Stepanakert comme porte-parole du système judiciaire et journaliste. Le 27 septembre, elle était dans sa ville natale, qu’elle a dû quitter précipitamment après les premiers bombardements et les premières victimes civiles dans son quartier même.

Arrivée à Erevan après un bref passage chez sa tante à Chouchi accompagnée de sa mère et de sa soeur avec un bébé de 4 mois, Mariam est obligée, quelques jours après, de chercher un abri pour sa petite famille féminine, les hommes étant tous sur le front. “Cela devenait de plus en plus difficile de dormir la nuit à 4-5 personnes à même le sol sous le toit de mon oncle, seul repère en Arménie de toute la grande famille arrivant d’Artsakh”, se souvient Mariam. Et c’est alors qu’une de ses amies lui parle de KASA, qui avait mis (et met encore) ses maisons d'hôtes à la disposition des Artsakhiotes.

Questionnée sur son engagement volontaire à KASA et dans d’autres structures, Mariam précise: “Je pense que c’était le devoir de tout Artsakhiote de contribuer à la mobilisation générale du peuple arménien. Lorsque tu vois une jeune fille qui, après toute une journée de travail et malgré la fatigue, est venue faire du volontariat au lieu de rentrer simplement chez elle, tu ne peux pas faire autrement”. Après avoir participé à la mise en conserve d’aliments pour les soldats au front, au remplissage de questionnaires pour recevoir de l’aide pour des Artsakhiotes, elle a rejoint le projet de soutien à des familles de KASA. À elles seules Mariam et l’autre jeune fille de son tandem sont arrivées à aider plus de 15 familles!  

Depuis le 1er décembre Mariam a repris le travail à Stepanakert. Confrontée à nouveau au problème de logement, Mariam avoue, en même temps, avoir “honte de ses sentiments et de ses rêves qui étaient liés à la maison à Chouchi", car si sa famille nouvellement formée a essuyé, selon elle, une perte financière, d’autres, tels que sa tante ou les habitants de Hadrout “ont perdu toute une vie vécue sur leurs terres, qui appartiennent désormais à l’ennemi, sans parler de ceux et celles qui ont perdu leurs proches!". “En général, il est devenu difficile de rêver lorsque presque 80% du territoire de ton pays n’existe plus”, soupire Mariam, en poursuivant: “J’espère seulement que nous trouverons en nous la force de vivre sur ce bout de patrie qui nous reste, même s’il n’est plus une terre sûre, surtout lorsque tu te rends compte que 2 des 3 routes menant vers ta ville sont désormais sous le contrôle de l’adversaire. Et c’est ce qui me préoccupe le plus: je suis sûre d’avoir raison d'être rentrée en Artsakh aujourd’hui, mais je ne sais pas si je serais aussi déterminée à y rester lorsque j’aurai un enfant”...

L’histoire de Tamara, de l’Université technologique de Chouchi, à découvrir ici: https://www.courrier.am/fr/complement-special/des-courageuses-jeunes-fem....