Une nouvelle page dans l’histoire de la forteresse d’Erébouni

Arts et culture
17.09.2019

Ordinairement silencieuse, la forteresse d’Erébouni émet cette fois-ci un léger vrombissement qui fait lever la tête à plus d’un visiteur : afin d’en inspecter chaque recoin, un petit appareil survole le site sous le regard attentif de ses propriétaires. Il s’agit d’un drone venu tout droit de France le 10 septembre dernier, dans le cadre d’une collaboration franco-arménienne d’archéologues.

Par Tatève THOMAS

Soutenu par le ministère des affaires étrangères français, la mairie d’Erevan, l’Académie des sciences d’Arménie et l’Ambassade de France en Arménie, un projet, visant à améliorer la recherche et la valorisation du site, rassemble une équipe d’experts et de spécialistes. D’une part, Isabelle Heitz, biologue et géophysicienne de formation, ainsi que son collègue Hervé Gallepy, travaillant sur la communication par l’image, se chargent de modéliser la topographie du lieu en créant une maquette 3D. De l’autre, les co-responsables Stéphane Deschamps et Michael Badalyan dirigent le corps d’expédition, chargé de mettre à jour de nouveaux vestiges. Ensemble, ils partagent avec Le Courrier d'Erevan leurs impressions, objectifs et projets concernant la forteresse d’Erébouni. 

 

Hervé Gallepy, vous êtes venu pour la première fois en Arménie pour une durée de deux jours. Quelles sont vos premières impressions de la forteresse d’Erébouni ?

C’est un patrimoine historique extraordinaire. On ne peut pas s’empêcher de penser à ce qui a pu se passer, comment ils s‘habillaient et pratiquait leurs activités. Aussi, j’ai beaucoup voyagé et le paysage est très atypique, il ne ressemble à rien d’autre de ce que j’ai connu jusqu’alors.

Isabelle Heitz, vous êtes la fondatrice de la société de cartographie par drone « Air d’éco ». Comment et dans quel but l’avez-vous fondé ?

C’était un hasard. Je me suis intéressée aux drones car je me suis dit que ce serait sympathique d’avoir une nouvelle activité qui prendrai en compte mes deux professions : la géophysique et le pilotage de planeurs. C’est d’ailleurs ainsi que j’ai fondé la société : « Air d’éco ».

Pourquoi avoir choisi de travailler avec des archéologues ?

J’aime être active et prospecter, cartographier, être sur le terrain. J’aime également le rapport avec les gens. J’ai remarqué lors des travaux que les archéologues ont cette capacité à nous projeter dans des univers qui me passionnent.

Comment est-ce-que fonctionne votre drone ?

Le principe est simple : un capteur LIDAR sur le drone va envoyer une onde lumineuse invisible qui va se refléter sur différents éléments comme les arbres, les bâtiments. Puis, il va aller au sol, remonter au capteur et enregistrer. Cela nous permettra par la suite de modéliser un bâtiment ou une topographie.

Qu’avez-vous ressenti lorsque vous avez vu votre drone survoler le site pour la première fois ?

J’étais vraiment émue de le voir voler en dehors de la France : C’est la première fois qu’on le voit aussi loin ! Je pensais que cela allait être magique de voir la forteresse apparaître sur l’écran.

Pourriez-vous décrire cette expérience en trois mots ?

Un peu de fierté, beaucoup de curiosité et d’espoir.

Apprenti chercheur, guide au musée, gérant de la filiale « colline rouge », directeur du musée d’Erébouni...  Michael Badalyan, vous avez eu un parcours professionnel particulièrement lié à la forteresse d’Erébouni. Sur le plan personnel, que représente le site pour vous ?

Le connaissant depuis mes années universitaires, j’ai toujours su y trouver un calme, une harmonie intérieure. La forteresse d’Erébouni est plus que ma maison.

Que pensez-vous de l’état actuel de la forteresse ?

L’aspect de la forteresse s’améliore depuis ces derniers mois. En effet, on a toujours été confronté à de sérieux problèmes : depuis que l’URSS s’est effondrée, elle a été fortement négligée. Par exemple, on voit aujourd’hui des tags et des écrits sur les murs et d’autres traces de vandalisme. Si vous étiez venus quelques jours plus tôt, vous auriez remarqué que certains endroits du site étaient remplis de terre.

Quels sont les projets que vous entamez pour restaurer le site ?

Ce dont on rêve, c’est de rendre à la forteresse son aspect historique et culturel et pourquoi pas, en faire un centre de loisirs éducatif, car voir des pierres jonchés au sol, ici par-là, voilà ce qu’ont tendance à percevoir les visiteurs actuellement. Même si l’on est conscient du fait que leurs réalisations pourraient prendre plusieurs années, on met en place bon nombre de projets visant non seulement à rénover le site, mais aussi à le rendre plus attractif. Désormais, vous pourrez remarquer à l’entrée de la forteresse un groupe de femmes habillées en costumes traditionnels arméniens et interprétant des chants religieux et médiévaux arméniens. Notre premier objectif est d’entreprendre l’amélioration de l’état de la forteresse : placer des panneaux d’exposition attrayants en plusieurs langues, avec des représentations en 3D de la forteresse ainsi que l’histoire des lieux. On projette également de les munir de QR codes, ce qui permettra au visiteur d’accéder à un contenu plus détaillé.

Stéphane Deschamps, vous êtes conservateur général du patrimoine ayant assuré maintes fonctions dans le domaine de l’archéologie urbaine. Comment avez-vous connu la forteresse d’Erébouni ?

La première fois que je suis venu en Arménie c’était en 1993. J’ai tout d’abord fouillé en Arménie, dans la région de Chirac. C’est alors que j’ai fait connaissance avec le professeur universitaire, Felix Martirosof, avec lequel je débutai une collaboration. Un jour, il me suggéra de travailler dans un site intéressant, fouillé dans les années 50 par Constantin Hovhanissian. Ce dernier, l’ayant plutôt perçu à la manière d’un architecte que d’un archéologue, avait laissé derrière lui un site aux maints problèmes et incohérences chronologiques. Sans le savoir, Martirosof m’avait présenté un site qui marquera mon avenir professionnel : la forteresse d’Erébouni.

En quoi est-ce-que le drone va-t-il contribuer aux travaux que vous faites sur le site ?

L’idée est de profiter de cette nouvelle technologie au service du patrimoine et de la recherche : cet outil s’avère très utile pour créer une topographie très précise au centimètre près et pour repérer de nouveaux éléments mais aussi des anomalies. Ainsi, je considère qu’il faut utiliser l’image 3D pour montrer la forteresse telle qu’elle était au VIII siècle avant J.-C. Et puis, si l’on se trompe sur une image, on recommencer. En revanche, si l’on se trompe sur les restaurations, ça serait très difficile de les modifier.

Comment imaginez-vous la forteresse d’Erébouni dans 50 ans ?

Un jour, il y a un touriste lituanien qui m’a posé une question : « Je ne vois que du béton. Qu’est-ce-qui est authentique ici » ? Pourtant, dans la période soviétique, c’est ce qu’on aurait voulu voir : une forteresse entièrement reconstruite. Néanmoins, les temps ont changé et les mentalités aussi. Ce dont on rêve aujourd’hui, c’est de voir des vestiges entretenus et non pas reconstruits. Le fait que l’on continue aujourd’hui sur la recherche, et que l’on réfléchit parallèlement, avec mon collègue Michael Badalyan, à la possibilité d’utiliser la recherche pour présenter le site au public différemment est important pour nous. Ce site mérite non pas qu’on le restaure, mais qu’on donne au public le moyen de mieux le comprendre. C’est pourquoi j’imagine un avenir prochain où les nouvelles technologies d’image pourront transmettre différemment l’information au public tout en conservant l’authentique. C’est en cela que l’image 3D est extraordinaire.

Qu’est-ce-que vous appréciez le plus dans votre profession ?

Il faut rester curieux tout le temps, et chaque saison de fouilles rapporte de nouveaux questionnements. Ce qui est intéressant dans l’archéologie, c’est qu’on n’est jamais complètement sûr de rien : chaque fois que l’on pose une hypothèse, il arrive que les recherches la contredisent.  Un autre aspect de mon métier que j’apprécie également est la coopération : mettre en place une collaboration entre les chercheurs arméniens et français comme c’est le cas aujourd’hui.

Selon vous, quel rôle va jouer votre équipe de chercheurs et le travail que vous avez programmé ?

Je pense modestement que ce qu’on fait ici va contribuer à écrire une page à l’histoire de l’Arménie.