Construire l’Artsakh de demain avec le savoir-faire français

Diasporas
10.04.2019

Vaspurak Karapétyan est à la tête d’un centre de formation destiné aux métiers du bâtiment qui fait la fierté des Artsakhiotes. L’Ecole professionnelle Yeznik Mozian (EPYM) est un lieu où excellence et humanisme riment avec savoir-faire à la française. Retour sur une véritable success story de la coopération franco-artsakhiote.

Par Tigrane Yeganian 

Dix ans ont passé depuis le coup d’envoi d’une aventure pour beaucoup utopique, dont le succès fulgurant tient à la fois à une rencontre providentielle et une belle synergie entre des structures et des hommes. Né dans le village de Matuni, à quelques kilomètres de la rive sud du lac Sevan en Arménie, Vaspurak Karapétyan, ingénieur de formation, s’installe en 2009 en Artsakh à l’invitation du ministère des Travaux publics. Il en fait sa patrie d’adoption. Marié avec une ingénieure artsakhiote, ce père de deux enfants a élu domicile à Chouchi dans une ancienne école de la ville, restaurée par ses soins. “ Le destin a bien fait les choses. Moi qui aime la pédagogie, j’étais loin d’imaginer que j’allais à la fois diriger un centre de formation et vivre dans une ancienne école ! ” dit-il, le sourire aux lèvres.
 
Membre de la famille du donateur Yeznik Mozian et du Fonds Arménien de France, son légataire universel, Robert Aydabirian, a, quant à lui, mis ses réseaux professionnels et son dynamisme à toute épreuve au profit de la réussite du projet. Ensemble, les deux compères ont développé une vision commune tenant compte des spécificités locales et de l’immense potentiel que recèle la coopération franco-artsakhiote. Cinq ans auront suffi pour qu’ils parviennent à leurs fins. Initiés en 2012, les travaux de construction se sont achevés en 2015 avec l’inauguration en grande pompe d’une splendide bâtisse. Un an plus tard viendra s’ajouter le bâtiment de l’internat cofinancé par le gouvernement artsakhiote et une famille de bienfaiteurs du Liban.
 
Recettes d’un succès

Lorsque l’EPYM a ouvert ses portes, il y avait 3 spécialisations (gros œuvre, finitions et installateurs thermiques et sanitaires) pour 45 apprentis. Une extension permanente, des spécialisations métiers qui ne cessent de s’accroître, ont considérablement augmenté les capacités de l’école dont le nombre d’apprentis a fait plus que tripler. “ Aujourd’hui, nous en sommes à 8 spécialités pour 170 apprentis ” se réjouit Vaspurak, qui ajoute : “ S’il n’y avait pas eu le Fonds Arménien de France qui, en plus de son appui constant nous a mis en relation avec des CFA (centre de formation des apprentis), notre école n’aurait jamais pu voir le jour. Nous sommes également redevables au gouvernement artsakhiote qui a cru dès le début au projet et nous soutient d’une main de fer en finançant notre fonctionnement […]. J’ai encore en mémoire notre entrevue avec Robert Aydabirian et le Premier ministre Araïk Harutunyan qui nous avait promis sans hésiter de financer 50% des frais de fonctionnement et de développement. Grâce à cela, les familles des apprentis n’ont quasiment aucun frais à leur charge ”.

En première année, les apprentis ont entre 14 et 16 ans. La plupart ont accompli le cursus qui conduit à l’équivalent du brevet des collèges. Le diplôme de l’EPYM leur permet d’étudier dans n’importe quelle université d’Arménie et d’Artsakh. “ Les apprentis diplômés de l’EPYM sont nos ambassadeurs. Ils portent nos valeurs citoyennes. La plupart servent sous les drapeaux après la remise du diplôme. Ils ont appris à penser différemment, ils sont attachés à leur terre puisque l’écrasante majorité reste au pays ” rappelle Vaspurak, heureux de voir ses élèves donner l’exemple. “ En ce moment, nos apprentis restaurent un vieux bâtiment pour jeunes handicapés sur la base du volontariat ; des élèves aident d’autres élèves ”. Pour son développement, l’EPYM peut compter sur un réseau de partenaires institutionnels d’Artsakh, d’Arménie mais aussi et surtout sur l’appui du Fonds Arménien de France et de philanthropes de la Diaspora. Grâce à un nouveau programme de bourse, 10 élèves apprentis d’Arménie vont pouvoir fréquenter ce centre, innovant à tout point de vue.

Cheville ouvrière du projet, le Fonds Arménien avait lancé en 2017 l’idée de promouvoir l’usage de l’énergie solaire en Artsakh, organisant deux Phonéthons sur ce thème. Un projet intégrant de fait la participation active d’apprentis de l’EPYM qui, en travaillant sur les chantiers, complètent leur formation pratique aux métiers d’installateurs et de mainteneurs de ces nouvelles technologies.

Un symbole de la coopération franco-artsakhiote

Bien qu’il existe des centres de formation de qualité en Arménie, l’EPYM se démarque par son savoir-faire à la française. “ L’apport de la France se voit à deux niveaux. Il y a d’abord tout le matériel donné par les CFA de Brétigny, Rueil-Malmaison, Saint-Etienne – par qui tout a commencé – , le lycée La Martinière Montplaisir de Lyon, et puis, les stages annuels de formation de nos enseignants en place depuis 2009 ” note Vaspurak.

En 2017, l’EPYM a reçu un don de David Fabre, directeur des formations et de l’innovation pédagogique du BTP CFA Ile de France : 25 tonnes de machines-outils destinées aux ateliers de métallerie et menuiserie et d’équipement aux classes de dessin et d’informatique. Ayant l’intention d’appliquer en Artsakh le modèle pédagogique français, Vaspurak se veut optimiste quant à la signature de futurs mémorandums avec les différents CFA visités au cours de son séjour. “ Les formations théoriques et pratiques de nos enseignants contribuent à l’amélioration continue de leurs compétences professionnelles et avec le partage d’expériences, elles ont créé une véritable synergie entre l’Artsakh et la France. Nous avons pour but de systématiser ces échanges au niveau de nos apprentis afin d’élargir leur horizon […]. Nous mettons l’accent sur des formations continues et intensives, en s’inspirant des méthodes en cours dans des pays qui sont à la pointe dans ce domaine ”. En rupture avec les méthodes pédagogiques soviétiques, Vaspurak est convaincu par les méthodes d’innovations pédagogiques françaises.

L’autre défi auquel fait face le directeur de l’EPYM est de renforcer la parité. “ Sur 170 apprentis, il n’y a que 9 filles. La société artsakhiote voit d’un mauvais œil qu’elles puissent travailler dans le métier du bâtiment. Nous avons donc ouvert une filière cuisine pour accroître la mixité, avec l’objectif de former des chefs capables de préparer des repas sains et équilibrés mais aussi d’améliorer la qualité du service. Un ingrédient essentiel pour le développement du tourisme ”. En cela, Vaspurak se félicite de la présence à ses côtés du chef étoilé Alain Alexanian, aux stages de formation annuels. Du reste, chaque année l’EPYM accueille une dizaine d’apprentis français à Chouchi. “ La société artsakhiote a besoin de s’ouvrir au monde. Nous avons fait du français la seconde langue étrangère obligatoire de l’enseignement à la place de l’anglais ”.  

De leur côté, les responsables des CFA français, dont certains siègent au conseil d’administration de l’école, ont noué des relations sans cesse plus étroites avec l’Artsakh, se faisant ainsi les ambassadeurs de ce pays en France, à l’image de David Fabre. Et quand on interroge Vaspurak sur les valeurs de son établissement, notre ami n’y va pas par quatre chemins : “ Nous avons le souci d’associer en toute circonstance la rigueur professionnelle à l’exigence d’humanité, c’est un tout indissociable ”.

EPYM

Unique école professionnelle des métiers du bâtiment en Artsakh, le complexe ultramoderne de l’EPYM a été construit grâce au legs de Yeznig Mozian au Fonds Arménien de France, et à la participation du gouvernement de l’Artsakh. D’une superficie de 4 050 m et conçu par l’architecte Alain Daronian, le centre est conforme aux standards des CFA de France. Actuellement, les spécialités proposées sont au nombre de huit : travaux de rénovation et de finition, installation d’équipements sanitaires et thermiques, travaux de gros œuvre, métallerie, électricité d’équipements, énergies renouvelables, menuiserie et cuisine collective. D’une capacité de 450 apprentis, l’école comprend des salles de classe, des ateliers et des laboratoires, des salles de dessin et d’informatique, une cantine, un stock d’outils, un système automatique de chauffage central et de ventilation. La durée du cycle de la formation à l’EPYM est de trois ans.Plus d’infos sur : http://epym.net/fr/