Arman Tatoyan - « Si mon pays me demande de faire la différence en l'aidant, je suis prêt »

Opinions
26.01.2023

Suite de l'interview d'Arman Tatoyan. Dans cette deuxième partie, l'ex-défenseur des Droits de l'homme en Arménie répond aux questions du Courrier sur sa carrière d'homme publique et ses ambitions politiques.

Propos recueillis par Olivier Merlet

 

En quittant votre poste de défenseur des droits de l'homme l'année dernière, vous avez déclaré que vous n'aviez pas l'intention d'entrer en politique. Vous ne vous en êtes cependant jamais éloigné. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Je n'ai jamais dit cela. À ce moment-là, il y a un an, je disais : « "pour l'instant", je n'entrerai pas en politique ».

Et donc, qu'en est-il aujourd'hui ?

Tout d'abord, qu'est-ce que la politique ? Mon droit, en tant que citoyen de ce pays, en tant que dirigeant de cette fondation, j'ai le droit constitutionnel, comme tous mes concitoyens, de soulever certaines questions et d'exprimer des propositions. S'agit-il de politique ? Nous devrions tous exercer nos droits, d'autant plus dans le contexte actuel, tellement problématique et critique pour notre pays.  Lorsque je pose une question ou émet une proposition, à l'intention de la communauté internationale ou au gouvernement, Je ne me soucie pas de savoir si c'est perçu comme politique ou non. Personnellement, je ne sais pas où se trouve la frontière.

Mais s'il s'agit de politique dans le sens d'activité partisane, alors non, je ne traite avec aucun parti politique. Et je ne suis pas certain que ma participation ou la création d'un nouveau parti politique seraient aussi utiles et efficaces que les activités que je mène dans le cadre de ma Fondation. Ce cadre me permet de poser les bonnes questions et de mener des actions pertinentes pour le soutien et la sécurité de ma nation et de mon pays.

Je pense que c'est le format qui convient pour le moment et je veux continuer à développer cette fondation. Tous ceux qui y travaillent sont des professionnels, pas des politiciens.

Mais comme je l'ai également dit par le passé et continue aujourd'hui de le dire, si je considère à un moment donné et juge utile d'entrer en politique, je ferai une déclaration publique à ce sujet et je franchirai le pas.

Mais pour l'instant, encore une fois, la cadre de ma fondation est le plus efficace pour me permettre de contribuer à la sécurité de ma nation et de faire corps avec mon peuple.

Vous avez toutefois bien conscience qu'en ce "moment donné", la situation politique en Arménie est pour le moins très compliquée…

Compliquée, problématique, et elle ne sert pas l'intérêt du peuple.

… et que beaucoup de gens verraient d'un bon œil votre accession à des fonctions dirigeantes au sein du gouvernement. Vous réunissez autour de votre personne un consensus relativement large, ce qui est assez rare en Arménie pour être souligné. Comment l'analysez-vous ? Quelles sont les raisons de cette sympathie dont vous bénéficiez et en quoi vous différenciez-vous des autres personnalités de la scène publique et politique?

Puisque vous le mentionnez, j'aimerais tout d'abord remercier notre peuple et notre nation pour leur confiance. C'est très important. J'apprécie beaucoup leur élan, leur reconnaissance envers nos activités et le travail que je mène. C'est très important pour moi et je les en remercie. Nous accomplissons notre tâche et ce soutien public nous a toujours protégés de toute attaque politique ou gouvernementale.

Maintenant, en tant que personnage public, parce que je réalise que je suis également perçu en ce sens, je n'ai jamais eu d'aspiration ou d'ambition "creuse"- tout le monde devrait être très réaliste- . Oui, si je comprends qu'à un moment donné, mon pays me demande de faire la différence en l'aidant, je suis prêt.

Le système politique actuel ne contribue pas au développement du pays. Il ne sert pas les gens.

Comme je l'ai dit une fois publiquement, il y a une dictature de la majorité politique actuelle en Arménie qui fait littéralement ce qu'elle veut, et au gouvernement, et au parlement.

C'était différent dans le passé ?

C'était différent avant 2018. Maintenant qu'ils ont la majorité constitutionnelle, et la Constitution actuelle leur fournit les outils pour cela : ils ont tous les votes, peuvent nommer n'importe qui à n'importe quel poste, ils peuvent révoquer n'importe qui de n'importe quel poste et peuvent faire passer n'importe quelle loi.

Beaucoup de ceux qui vous sont hostiles vous disent proche du parti Républicain.

Non, ce n'est pas vrai. Je n'ai jamais été membre d'un parti politique, jamais, jamais. C'est pourquoi beaucoup de gens me perçoivent comme un bon candidat. Les gens pourraient même dire que j'étais encore plus proche des autorités actuelles jusqu'en 2018. Parce que j'étais déjà défenseur des droits de l'homme à l'époque, lorsqu'ils étaient encore dans l'opposition. Je les ai aidés considérablement pour la simple question que je faisais juste et justement mon travail. Je suis toujours resté professionnel et n'ai jamais eu d'affiliation politique.

Je ne suis même jamais entré dans le bâtiment du parti Républicain. Je faisais des études aux États-Unis lorsque j'ai reçu une proposition, en 2013, pour devenir vice-ministre de la Justice, ce qui n'était pas un poste politique à l'époque. Il l'est devenu après 2018.

En 2016, néanmoins, vous avez aussi été nommé Ombudsman d'Arménie sous le gouvernement de Serge Sargsyan.

L'opposition a également voté pour moi.

Vos opposants, encore eux, soutiennent que vous avez toutefois été beaucoup plus actif à ce poste après 2018 que pendant les deux premières années,

Vous devriez revérifier toutes ces déclarations car ce que vous dites n'est pas vrai. J'étais très actif avant 2018. Si vous regardez mes rapports, je les ciblais [NDLR : le gouvernement de l'époque], tellement lourdement. J'ai dit que les élections n'avaient pas eu la confiance du peuple. Pouvez-vous imaginer l'Ombudsman, le médiateur de la République d'Arménie, dire cela, si j'avais été proche de ce gouvernement ? Bien sûr que non.

J'ai toujours été indépendant. Et d'ailleurs, en raison de cette indépendance, j'ai obtenu le soutien de l'opposition de l'époque... y compris celui de l'actuel Premier ministre. Ce qui m'a par ailleurs rendu plus fort.

En outre, un groupe de représentants de l'Union européenne, au nom du Royaume-Uni a déclaré lors d'une réunion officielle, en 2018, après cette soi-disant révolution, que le défenseur des droits de l'homme d'Arménie, au cours des événements de 2018, avait accompli « un travail exemplaire pour nous tous ». Encore une chose : sur la base de l'évaluation de mes activités en 2016 et 2017, les Nations Unies m'ont accordé le plus haut niveau d'accréditation concernant l'indépendance de mon travail, le niveau "A". Pensez-vous que le bureau de l'ONU à Genève m'aurait donné un statut que même plusieurs pays européens n'ont pas ?

Les prochaines élections sont dans deux ans…

Qui peut dire ce qu'il en sera de l'avenir. Aujourd'hui, je ne sais pas. Je n'y pense pas. Le plus important pour moi est d'aider ma nation, de résoudre ces problèmes, de contribuer à la sécurité de mon peuple et de ma nation. C'est mon objectif principal. En ce moment, je ne pense à rien d'autre qu'à cela.