Les leçons du Karabakh pour la Russie

Région
31.12.2020

Le député russe, président de l'institut de la CEI et du club Lazarevski (club d'intellectuels russo-arménien), soutien de longue date de l'Arménie, Konstantin Zatouline, a signé, le 21 décembre dernier, un article dans le journal russe "Komsomolskaya Pravda" sur les conséquences de la guerre du Karabakh pour la Russie.

Défile des vainqueurs et tragédie nationale 

Il y a une semaine, un défilé et une fête des gagnants ont eu lieu à Bakou. Les discours des présidents Aliev et Erdogan n'ont laissé aucun doute sur leur communauté de vision et la participation de leurs pays à la récente guerre du haut-Karabakh. Il y avait un débordement de serments de fidélité, de chants louangeurs de la fraternité, d'humiliation des vaincus : "l'Arménie s'est rendue, a levé le drapeau blanc, s'est mise à genoux... nous avons détruit l'Arménie sur le champ de bataille... l'Arménie a été contrainte de signer un acte de capitulation... aujourd'hui est un jour de victoire et de fierté pour nous tous, pour tout le monde turc".

Sans se limiter à aujourd'hui, les triomphateurs ont décidé de régler leurs comptes avec le passé. "Deux pays, un seul peuple": la Turquie, qui ne reconnaît pas le génocide arménien sur son territoire au XXe siècle, a appelé par la bouche de son président à l'âme d'Enver Pacha, le principal organisateur de cette extermination. Et l'Azerbaïdjan, qui partage avec la Turquie la non-reconnaissance du génocide, a fait allusion à des revendications sur Erevan, Sevan et d'autres "terres historiques", laissant, comme dans 1918, marcher sur le quai de Bakou des militaires sous le même uniforme que les interventionnistes de Nouri Pacha, frère d'Enver. Faut-il s'étonner que, quelques jours plus tard, la mission de maintien de la paix de la Russie au Karabakh ait été mise à l'épreuve, pour la première fois, à cause de la tentative des vainqueurs de s'emparer de deux autres villages arméniens dans le district d'Hadrout?

Le deuxième acte de la tragédie : trahi par ses élites au pouvoir sur le champ de bataille et dans la confrontation diplomatique, le peuple arménien s'est réveillé d'un terrible cauchemard et exige la démission des auteurs de l'échec. Ceux-ci se reposent sur la Russie, en oubliant les discours d'hier inspirés par Soros, l'attrapent par la main dans une tentative désespérée d'empêcher l'inévitable.
 

"Contre-offensive"

Je ne sais pas combien de temps ça va durer. Je suis sûr seulement que sans le départ de Nikol Pachinyan, aucune renaissance de l'esprit et de la foi du peuple arménien dans ses propres forces est impossible. Et c'est une affaire purement interne et souveraine de l'Arménie et de ses citoyens. Notre travail consiste à déterminer si la Fédération de Russie, successeur de l'Union soviétique et de l'Empire russe, a gagné ou perdu du terrain à la suite d'une nouvelle guerre dans le Caucase. Quelles sont les leçons du Karabakh pour la Russie?

L'Azerbaïdjan, allié à la Turquie, a attaqué la République non reconnue d'Artsakh, mais en fait elle a attaqué les arméniens et l'Arménie, en violant l'accord de cessez-le-feu conclu avec notre aide et à sa demande en 1994. Les propagandistes et les lobbyistes azerbaïdjanais continuent de qualifier cette attaque de "contre-attaque".

"C'est une insulte à mon esprit", a déclaré dans un cas similaire Al Pacino dans le Parrain : il n'y a pas de contre-attaque, même sur tout un front, en l'absence de tout signe d'attaque.

En conséquence, l'Azerbaïdjan a tiré tout le bénéfice de la violation du statu quo, qui a persisté pendant plus de 20 ans : "Beaucoup, en particulier les médiateurs impliqués dans cette question, ont dit à plusieurs reprises que le conflit n'a pas de solution militaire. Mais nous avons prouvé qu'il y a une solution militaire au conflit" (extrait du discours du président Aliyev lors du défilé à Bakou).

Les médiateurs c'est nous, la Russie. Pour justifier la guerre, Aliev et Erdogan parlent beaucoup de l'absence, au fil des ans, de progrès dans le règlement pacifique. En oubliant de reconnaître que l'Azerbaïdjan porte beaucoup plus de responsabilité de la non-négociation que les "médiateurs" : l'histoire de l'échec de l'accord à Kazan en 2011, alors qu'il était déjà couché sur le papier, le confirme de façon éclatante. Et il est très douteux d'entendre les reproches du président de la Turquie qui, depuis 1974, paralyse toute négociation visant à déterminer le sort de Chypre-Nord occupée par elle.

Ce n'est pas encore "l'adieu des Slaves"

L'importance de l'expérience azerbaïdjano-turque sur le règlement des différends gelés de nombreuses années par la Russie, va avoir des implications dans l'histoire du Donbass, de la Transnistrie, de l'Abkhazie et de l'Ossétie, qui vont bien au-delà de la région du Caucase. Tous les fans de drones turcs de l'autre côté des confrontations en sont venus à avoir une excitation joyeuse. L'Azerbaïdjan a semé les dents du dragon. Qui récoltera les pousses?

C'est la première des leçons du Karabakh pour la Russie. La deuxième leçon évidente est que l'Azerbaïdjan est devenu à long terme un copagnon de route et un agent d'influence de la Turquie dans le Caucase, qui continuant sa percée jusqu'à la région de la Volga, au Kazakhstan et en Asie Centrale. Cela, cependant, était prévisible bien avant. Maintenant, l'Union de "deux pays, un peuple" est scellée par le sang et l'action commune. Si, après 13 guerres avec l'ancienne Turquie, qui ne reconnaît pas aujourd'hui la Crimée comme russe, la Syrie comme syrienne et Sainte Sophie comme chrétienne, nous voyons un problème dans la croissance des appétits de ce pays, nous devons étendre cette préoccupation à l'Azerbaïdjan, allié de la Turquie.

Et le troisième. Si votre allié militaire officiel subit une défaite, a perdu sa capacité à agir et est plongé dans le chaos - ne demandez pas pour qui sonne le glas. Pendant les 44 jours de la guerre, 5 000 de nos soldats et officiers à la base de Gyumri ont été assiégés en même temps que toute l'Arménie. Je me souviens qu'il y a quelques années, Vladimir Poutine, alors qu'il se trouvait à Gyumri, où l'auteur de "l'adieu aux slaves" servait autrefois, a déclaré: "cette marche a été écrite par Agapkine à une autre occasion. Nous ne nous quitterons jamais le Caucase!"

Il n'y a donc pas d'alternative au soutien, à un moment difficile, de notre allié historique - l'Arménie et le peuple arménien. Les pachinyans vont et viennent, mais le peuple arménien demeure. Nos relations sont également liées par le sang : bien avant sa participation à la grande guerre patriotique.
 

Les reconvertis en marche

L'opération de maintien de la paix au Karabakh est la chose principale que la Russie peut mettre à son mérite à la suite de ce qui s'est passé. C'est notre honneur. Quand moi et d'autres pendant les jours de guerre avons insisté sur sa nécessité, n'avons-nous pas été entendus en Russie par les amis de l'Azerbaïdjan en guerre, qui, sur tous les fronts développaient la thèse du "ce n'est pas notre affaire", "nous ne laisserons pas verser le sang du soldat russe pour les intérêts des autres", etc.

Et donc une autre Conclusion pour l'avenir. Je ne plaisante pas, je suis plus sérieux que jamais en demandant de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour préserver tous les exemples d'œuvres de propagande des complices volontaires ou involontaires de ce crime, qui a été, sans aucun doute, la guerre du Karabakh. Les lobbyistes de cette guerre ne doivent pas partir dans l'ombre. Ils doivent être tout le temps à nos côtés , comme Tiny Duffy devant le gouverneur Willie Stark du roman Les fous du Roi. Afin de nous souvenir quels bons conseils et de quels faiseurs d'opinions de la Russie doit-on éviter.

Seul le mensonge peut nous conduire à notre perte.

Source : https://www.kp.kg

Traduction: Le monde russe