Un Karabakh convoité

Région
21.02.2023

Une société britannique veut exploiter des gisements sur un territoire disputé par l’Arménie et l’Azerbaïdjan

Par Anna Aznaour

Un enjeu minier – or, cuivre, molybdène – vaut à 120 000 Arméniens du Haut-Karabakh le siège militaire de leur région par l’Azerbaïdjan. Mais pas que. Sur ce minuscule territoire dévasté en 2020 par l’offensive de 44 jours de l’Azerbaïdjan, financée et armée par la Turquie, Israël et le Royaume-Uni, le dessous des cartes cache de multiples raisons. À commencer par la rivalité séculaire entre la Russie et la Couronne britannique qui se livrent à une guerre d’influence au Sud-Caucase éminemment stratégique, car enclavé entre la mer Noire et la mer Caspienne.

L’Arménie, sa onzième province historique du Haut-Karabakh (Artsakh) et l’Azerbaïdjan ne sont que des acteurs interposés de ce grand jeu où l’objectif des puissances en question est l’accaparement de leurs ressources naturelles. Sans oublier la mainmise sur les routes de communication essentielles qui relient l’Occident à l’Orient, surtout en cette période de crise en approvisionnement énergétique.

 

Des mines convoitées

Alors que le Royaume-Uni a été l’artisan actif de la guerre du Haut-Karabakh en 2020, les retombées financières de ses efforts ne le satisfont pas vraiment. Il faut savoir que depuis la fin des années 1990, l’Azerbaïdjan jouira de plus de 100 milliards de dollars d’investissements britanniques dans l’exploitation de ses gisements pétroliers. À cela s’ajoutera, dès la fin de la guerre du Haut-Karabakh, en 2020, l’exploitation minière dans des territoires repris aux Arméniens. Sauf que, les deux derniers gisements, du cuivre-or et du cuivre-molybdène, acquis par la compagnie britannique Anglo Asian Mining PLC le 5 juillet dernier sont actuellement hors de leur portée.

Et pour cause, les précieuses ressources se trouvent dans les régions du Haut-Karabakh restées sous contrôle arménien. Et surveillées par les soldats de la paix russes depuis le 9 novembre 2020, date à laquelle un accord de cessez-le-feu a été signé entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, sous l’égide de la Russie. Impatiente, la société britannique crie alors au scandale dans une missive écrite adressée aux autorités des Etats-Unis, de l’Union européenne et des Nations Unies le 20 décembre. «Ils (Arméniens et Russes) pillent illégalement nos ressources!» accuse Anglo Asian Mining PLC. Mais cette affaire n’est pas que commerciale. Pour Londres, il s’agit avant tout de «virer» Moscou de la région où les bottes russes sont revenues grâce à cette guerre, cautionnée par le Kremlin contre son alliée, l’Arménie. Un coup de poignard qui n’est pas le premier.

 

Contrôler l’Iran

Bien que Bakou ne cesse de répéter comme un mantra que le

«Karabakh appartient à l’Azerbaïdjan», le seul acte juridique correspondant aux normes internationales est l’accord que le gouvernement azéri a signé en juin 1920 avec ses homologues arméniens. Et sans aucune intervention des États tiers. Ratifié par les parlements des deux pays, il stipulait la reconnaissance de l’intégrité territoriale de l’Arménie dont le Haut-Karabakh (Artsakh) et le Nakhitchevan faisaient partie.

Seulement quelques jours plus tard, Moscou passé sous régime bolchevique intervient. Les deux provinces arméniennes sont illégalement accaparées par l’Azerbaïdjan, pays créé de toutes pièces par la Russie en 1918, en usurpant le nom de la province iranienne éponyme. Et ce, malgré les protestations officielles de Téhéran, inquiet des futures revendications territoriales de son nouveau voisin qui arriveront… en 2021, sous l’impulsion britannique.

Quant à l’Arménie, jusqu’en 1970, elle verra quelque 1500 kilomètres carrés de son territoire «offerts» par Moscou à l’Azerbaïdjan. Ce découpage progressif va façonner des enclaves entre les deux républiques soviétiques, qui ainsi formeront des zones de rupture géographique entre l’Arménie et le Haut-Karabakh.

En pleine perestroïka et peu avant la chute de l’URSS, la province du Haut-Karabakh réclame dès 1988 son rattachement à l’Arménie. L’Azerbaïdjan y répond par des pogroms contre les Arméniens à Bakou et à Sumgaït en 1988, qui déclencheront la première guerre du Haut-Karabakh. Ce dernier proclame son indépendance en 1991. En 1994, les combats se solderont par la victoire d’Erevan. Les Arméniens contrôlent désormais le Haut-Karabakh et ont établi une jonction territoriale avec l’Arménie.

 

Deux axes contre un peuple

Cependant, gangrenée par la corruption, cette dernière ne saura consolider son succès militaire. Une faille qu’exploiteront aussi bien la Russie que le Royaume-Uni en préparant la suite des affrontements entre les deux voisins du Sud-Caucase. Avec toujours le même objectif: maintenir, voire étendre leur influence dans la région et au-delà.

Assiégés depuis le 12 décembre 2022 par le blocus du corridor de Latchine, une lueur d’espoir avait effleuré les Arméniens à la suite des négociations des militaires russes avec l’Azerbaïdjan. Une possibilité de dénouement heureux qui se volatilisera, comme par hasard, dès l’arrivée à Erevan de Richard Moore, chef des Services secrets britanniques, reçu par le premier ministre arménien… En réalité, cette prise en otage des 120000 résidents du Haut-Karabakh est un moyen de pression de Bakou, qui veut forcer Erevan à signer un accord de paix. Ce document actera la capitulation d’Erevan, et l’obligera à céder une autre parcelle de sa terre: la province de Syunik. Également très riche en ressources naturelles, elle est surtout la seule frontière du pays avec l’Iran qui ainsi perdrait sa route commerciale privilégiée vers le marché européen, en se retrouvant à la merci de l’Azerbaïdjan et de la Turquie.

 

Cet isolement risque de sonner le glas de la souveraineté de l’Arménie

Quant à l’Arménie, cet isolement risque de sonner le glas de sa souveraineté. Un projet que Bakou caresse depuis la première guerre du Haut-Karabakh. Ainsi, en 2004 déjà, par l’intermédiaire de son porte-parole, le ministre de la Défense azerbaïdjanais déclarait à la presse: «Dans les 25 prochaines années, il n’y aura plus d’Etat arménien dans le Caucase du Sud. Ces gens n’ont pas le droit de vivre dans cette région.» D’où les avertissements répétés de Téhéran sur le respect de l’intégrité territoriale de l’Arménie, qu’il déclare être sa ligne rouge. Or, cet accaparement de Syunik ou du «couloir de Zangezur» comme l’appelle l’Azerbaïdjan, établira une frontière terrestre directe entre ce pays et la Turquie qui se préparent à une guerre contre l’Iran afin de réaliser le projet panturquiste, conçu par les… Britanniques!

Un message que les deux alliés ont donc fait passer à l’Iran en organisant, la veille de la fermeture du corridor de Latchine, des entraînements militaires conjoints à sa frontière. Ces évolutions dévoilent la tension entre les deux axes d’alliances aux intérêts divergents: Angleterre-Turquie-Israël-Azerbaïdjan contre Russie-Iran. La survie économique de tous dépendra du contrôle des routes de liaison entre l’Occident et l’Orient dont l’Arménie avec le Haut-Karabakh est le nœud incontournable. Mais aussi la toison d’or que Britanniques et Russes se disputent depuis la fin du XIXe siècle par pays interposés – Turquie et Azerbaïdjan – leurs bras armés contre un peuple autochtone plurimillénaire.