Genève met à l’honneur la musique arménienne

Arménie francophone
15.07.2022

Cinq virtuoses ont hypnotisé Genève avec un concert de musique traditionnelle arménienne au Festival des Bastions le 12 juillet.

Par Anna Aznaour, notre correspondante à Genève

« Quelle est cette musique ? », avais-je demandé, n’en croyant pas mes oreilles, dans le magasin de disques genevois Harmonia Mundi. « C’est du Komitas et je vous le recommande », m'avait répondu Michel Pavillard, son responsable. Cet après-midi pluvieux de l’été 2012, j’avais alors fait un vœu, celui qu’un jour, Genève découvre la musique arménienne en place publique. Dix ans plus tard, il devenait réalité au parc des Bastions, qui est à Genève ce que le parc de l’Opéra est à Erevan : le cœur de la ville où pulse la culture. Dans ce cadre verdoyant et sous une météo caniculaire par ces températures flambantes, un quintette d'exception a bercé la soirée des mélomanes d'une brise magique, celle née de la rencontre du duduk et du kanoun avec le violon, le violoncelle et le piano. Objectif : offrir à la population genevoises un aperçu de 1000 ans de musique arménienne.

Dans ce riche programme, les œuvres de Narekatsi, de Sayat Nova et de Komitas frequentent Makar Yekmalyan, Aram Khachaturyan, Alexandre Spandiaryan ou Arno Babajanyan. « Depuis des années, nous avions le projet de faire un concert tous ensemble en proposant au public un voyage à travers la musique arménienne », confie Astrig Siranossian qui avec sa sœur, Chouchane, respectivement violoniste et violoncelliste, comptent parmi les plus talentueux de ces instrumentistes dans le monde, tout comme leurs acolytes de cette soirée, Levon Chatikyan au duduk, Narek Kazazyan au kanoun et Nathanaël Gouin au piano. 

 

Style unique

À la fin de leur concert, une question me taraudait : « Pourquoi avoir choisi d’interpréter des œuvres si mélancoliques ? » Pour Narek, primé en 2012, lors de l’"Eurovision pour les jeunes talents", il s’agissait de faire découvrir au public les morceaux les plus représentatifs de la culture musicale arménienne. Quant à Levon, il confirme : « la plupart de nos chants d’amour ancestraux eux-mêmes sont teintés de tristesse ».  Un sentiment qui pourtant n’a pas été un frein à l’engouement pour les cours de duduk qu’il dispense en France et en Suisse. Plus encore, ce père du jumelage entre le conservatoire de Romans en France et l’école Tchaïkovski d’Erevan constate un enthousiasme sans équivoque pour la musique arménienne hors de ses frontières.

Comment l’expliquer ? D’après Nathanaël Gouin, seul non-Arménien du quintette et pianiste virtuose ovationné de la France aux États-Unis ou au Japon, le secret serait dans le style arménien, unique au monde. « C’est une musique à la recherche de beaucoup de profondeur, tournée vers la danse, avec des notes d’onctuosité et de quelque chose de très suave.

En tous cas, il y a là un art de la mélodie et de la recherche harmonique très intéressant… » Et qui est le compositeur préféré des étrangers ? « Je dirais Komitas », répond Chouchane Siranossian.  La réponse de cette violoniste leader sur la scène baroque internationale est inspirée de sa propre expérience. « En solo ou avec mon propre orchestre de chambre, j’ai toujours joué quelques extraits de Komitas à travers le monde. Et partout, le public est particulièrement touché par cette musique, à la fois extrêmement simple et très raffinée ! »

Un constat que confirme un autre violoniste prodige, Fabrizio von Arx, à qui l’on doit l’initiative de la création du Festival des Bastions, lancé…  en pleine pandémie de coronavirus ! En cette année 2020 si catastrophique pour la culture, ce talentueux Italo-Suisse avait décidé d’insuffler de l’oxygène dans les poumons assoiffés de liberté de Genève. Une mission réussie grâce à la collaboration de sa société Stradivarius Art & Sound avec le café-restaurant des Bastions et l’agence musika dont la productrice, une Arménienne, sera la cheville ouvrière de l’invitation de ce quintette. « C’est grâce à Ani Gasparyan que j’ai appris l’existence du projet d’Astrig Siranossian concernant la musique arménienne, la plus belle au monde ! Je crois d’ailleurs que ce sont les Arméniens qui ont porté l’harmonie et la musicalité dans toute l’Europe. Et je trouve également qu’il y a des liens et une symbiose entre les musiques traditionnelles italienne et arménienne ! »

 

Un outil de défense 

À la fin de cette douce soirée genevoise, une dernière question s’imposait à l'intention de l’instigatrice du concert, Astrig Siranossian : « Le choix de "Danse" en clôture de votre représentation, une œuvre d’Alexander Spendiaryan, artiste arménien né en Ukraine, aujourd'hui cinquième communauté arménienne au monde, marque-t-il votre volonté de finir sur une note d’espoir » ? La réponse de la talentueuse violoncelliste, par ailleurs fondatrice de la mission "Spidak-Sevane" pour venir en aide aux enfants au Liban et en Arménie à travers la musique, sera : « Je portais cette idée en moi depuis longtemps et la guerre d’Artsakh en 2020 n’a fait que renforcer ma détermination. Faire connaître notre culture, c’est faire comprendre au monde la raison de la haine de ses agresseurs envers le peuple arménien. Une culture de plusieurs millénaires ne peut s’acheter par ceux qui ne l’ont jamais eue ! Elle peut juste s’imiter et se faire approprier, surtout si l’ont fait disparaître ses vrais porteurs-témoins… », un plan funeste qui a toujours échoué.