La francophonie au service de la culture

Arménie francophone
04.06.2021

En Arménie, la présence du français sur le plan culturel a tendance à s’intensifier. On peut affirmer sans ambiguïtés que l’introduction du français en tant que langue étrangère dans le cursus des établissements d’éducation supérieure du domaine de la culture ouvrirait de nouveaux horizons pour les artistes arméniens. Mais un processus « à l’envers » est également imaginable, voire plus fondamental.

Nous en avons discuté avec Armen Bagdassaryan, le vice-recteur du Conservatoire d’Etat d’Erevan et professeur de français à l’UFAR, qui est aussi à l’origine de l’actualisation des programmes de l’enseignement du français au Conservatoire.

Propos recueillis par Lusiné Abgarian

Pensez-vous que l’Arménie peut non seulement « exporter » ses talents, mais en « importer » également, grâce à l’implémentation profonde du français et de la francophonie dans les milieux artistiques, étant donné que la francophonie soutient la mise en place de politiques favorables à la diversité des expressions et promeut le dialogue des cultures ? 

D’abord, ce qu’il faut à l’Arménie c’est d’importer de l’expertise, du savoir-faire et non pas des talents, car il ne faut pas penser que les talents n’ont pas besoin d’encadrement par des professionnels ou des gens ayant une expertise certaine dans le domaine artistique. Je préfère la notion d’expertise à celle d’expérience, car cette dernière désigne, à mon sens, un bagage de connaissances et de savoir-faire professionnels en état d’attente ou en état passif et renvoie à une potentialité, alors que l’expertise suppose des compétences et des savoir-faire en action. C’est peut-être une connotation quelque peu subjective de la notion, mais c’est comme cela que je vois les choses.

En deuxième lieu, quand on parle des talents, on risque d’exercer une sorte de discrimination par rapport aux « non-talents ». Je ne suis pas d’avis que seuls les talents doivent occuper le terrain, ce qu’il nous faut c’est de créer des conditions pour que chaque individu ou artiste puisse trouver et élaborer sa propre forme d’expression artistique. Distinguer les talents et les non-talents revient à appliquer une approche sectaire au domaine artistique ce qui n’est pas du tout dans ses intérêts.

La francophonie peut bien sûr enrichir les milieux artistiques arméniens de nouvelles expertises, aussi bien à l’intérieur qu’en dehors des formats académiques, et permettre un dialogue culturel enrichissant. Les artistes venant du monde francophone peuvent beaucoup donner aux artistes arméniens, inversement ils peuvent à leur tour s’enrichir des pratiques artistiques arméniens modernes. Le français est une passerelle qui peut assurer cette interculturalité.

 

La langue française est déjà enseignée au Conservatoire d’Erevan. Quels projets envisagez-vous à mettre en place afin de familiariser les étudiants encore plus avec la langue française et la francophonie ?

Le nombre d’heures de français est minime au Conservatoire, les étudiants arrivent au niveau A2 à la fin de la deuxième année de Licence, et à partir de la troisième année, les langues étrangères ne sont plus enseignées sauf pour les étudiants en art vocal. C’est un gâchis énorme de temps, compte tenu du fait qu’avec les méthodes modernes d’enseignement de langues étrangères, on peut arriver à maîtriser les niveaux bien supérieurs à A2 dans un délai beaucoup plus court. Le problème est que les curriculums sont déjà assez intenses pour les cours de spécialités et la répartition des crédits en tient compte. Tout cela laisse peu de temps aux langues étrangères ce qui ne facilite point notre tâche. Nous réfléchissons donc à mettre en place des dispositifs complémentaires pour résoudre le problème.

Nous pensons à un modèle à mettre en place qui permettrait aux étudiants du Conservatoire de poursuivre des cours de langues en dehors des curriculums établis. Il est important aussi que les enseignants de langues étrangères qui enseignent le plus souvent avec des manuels obsolètes, puissent participer à des formations afin d’actualiser leurs approches et méthodes.

Pendant sa visite au Conservatoire d’Erevan le 10 avril dernier, Monsieur Guillaume Narjollet, le Conseiller de coopération et d’action culturelle, s’est engagé à nous apporter le soutien de l’Ambassade de France pour envoyer en stage de formation notre seule enseignante de français. L’Ambassade de France se montre également prête à couvrir les frais de certification DELF des meilleurs étudiants du Conservatoire. C’est un soutien que nous apprécions beaucoup.

 

En tant qu’acteur de la francophonie en Arménie, croyez-vous que notre pays a aussi beaucoup apporté à la francophonie ?

Alors là, il faut distinguer, à mon sens, deux francophonies en Arménie : la Francophonie d’apparat (au majuscule) et la francophonie de fait (au minuscule). En 2018, nous avons accueilli en grande pompe le XVIIème Sommet de la Francophonie, les chefs d’une soixantaine d’Etats francophones se sont rendus en Arménie pour y participer. Erevan accueille, de temps à autre, des délégations de maires francophones ou d’autres officiels. Mais, pour être honnête, en dehors de ces entrevues protocolaires, l’Arménie ne sait pas vraiment comment s’y prendre, avec cette Francophonie dite institutionnelle. Nous avons un Ambassadeur auprès de la Francophonie. Quel est son agenda pour le développement de la Francophonie institutionnelle en Arménie, quel est son plan d’action ? On l’ignore. Est-ce que nous avons des centres de recherches qui mesureront l’impact économique et culturel de la Francophonie pour l’Arménie, ou qui mettraient en place des stratégies et des politiques pour que la Francophonie profite pleinement à notre pays et pour que notre pays puisse à son tour apporter de la valeur ajoutée à la Francophonie institutionnelle ? A ma connaissance, non. Donc, déjà là il y a beaucoup à faire.

En dehors de cette « francophonie protocolaire », il y a bien la francophonie de fait : et, en étant un tout petit pays, l’Arménie peut se féliciter du nombre important d’acteurs ou de plateformes qui se sont engagés à développer la francophonie, et Le Courrier d’Erevan en est une démonstration exemplaire.

Pour revenir au Conservatoire, nous sommes au tout début d’un très long chemin que nous devons encore parcourir. Tout est question de volonté, bien entendu. Mais déjà à son échelle, le Conservatoire a organisé, en avril dernier, dans le cadre de la Saison de la Francophonie, un concert de musique de chambre avec, au programme, des œuvres de compositeurs français ou francophones. C’est un premier pas, et même si à ce stade il n’est pas directement lié à la francophonie, c’est-à-dire, au fait de promouvoir la langue française, puisqu’il s’agit la musique, rien ne nous empêche dans l’avenir d’organiser des débats, des tables rondes ou des colloques autour de la musique classique ou contemporaine française qui se dérouleront en langue française et auxquels des musiciens ou des historiens d’art français ou francophones seraient invités.