Olga Tumanyan, la mystérieuse

Arts et culture
14.02.2022

À Erevan jusqu'au 20 février, le musée Hovhannes Tumanyan dédie une rétrospective à l'épouse de l'immense poète et écrivain, Olga, à l’occasion du 150e anniversaire de la naissance de cette mère courage au destin tragique méconnu.

Par Anna Aznaour

En ce jour de Saint-Valentin, fête des amoureux, il serait difficile de trouver un couple capable de rivaliser de romanesque avec celui des Tumanyan. Entre tragédie grecque et conte de fée, cette union frappe par sa dramaturgie que le destin lui tricotera en lignes ponctuées d’amour vrai, d’éloignements et de retrouvailles.

On est en 1887. Hovhannes n’a que 18 ans lorsqu’il rencontre Mariam Machkalyan, 16 ans, que tout le monde appelle Olga. Déjà poète, le jeune homme originaire de la campagne veut épouser cette enfant unique de notables de Tbilissi. « À une seule condition : tu dois devenir prêtre ! » exigent de lui les parents de la jeune fille, soucieux de la sécurité financière du couple. Hovhannès le promet, et se fiance. « Il m’a d’abord offert une paire de très belles chaussures à la mode. Et après, les œuvres d’Homère – L’Iliade et L’Odyssée - que je ne connaissais guère », écrira Olga plus tard. Un cadeau hautement prémonitoire, puisque, telle Pénélope, elle attendra souvent le retour de son Ulysse de mari, qui ne deviendra jamais prêtre.

Et pour cause, en cette fin du XIXe siècle, marquée d’abord par les massacres hamidiens puis le génocide de son peuple, la littérature arménienne vit une métamorphose. Sans doute par instinct de survie, elle se tourne vers la représentation fidèle du folklore national. Hovhannès Tumanyan en deviendra alors le chantre voyageur dont la plume va fidèlement illustrer les joies, peines et sagesses de sa nation, tant sous forme de poésie que de prose.

Prolifique, il l’est également avec son épouse, qui mettra au monde leurs dix enfants, quatre garçons et six filles. De caractère doux et généreux, Olga sera aimée de la descendance "très fournie" de son mari, mais également tres appréciée des amis du poète, dont la vie sociale extrêmement dense, l’asservira encore un peu plus. Ani Yeghiazaryan, la directrice du musée, rapporte à ce sujet : « Tumanyan disait qu’il avait transformé sa maison en salle de réception où il était le maître, et sa famille sa servante. » Cependant, la fidélité n’est point le fort du bel homme, aussi sollicité que sensible à l’esthétique féminine. Ainsi, parmi les grandes découvertes de cette critique littéraire et experte du poète, on apprend la relation extraconjugale de Tumanyan avec la duchesse Marmar Markovna, également sa mécène et alter ego intellectuelle.

L’homme restera malgré tout toujours très attaché à son épouse, Olga, auprès de qui, atteint d’un cancer, il rendra son dernier souffle à l’âge de 54 ans. Devenue veuve, celle-ci quittera alors Tbilissi pour s’installer à Erevan. Pendant cette période, Olga et sa famille subiront les persécutions staliniennes. Elles couteront la vie à ses trois derniers fils, brillants scientifiques de la fin des années 1930, Olga avait deja perdu son premier garcon à la bataille de Van en 1918.

Seule face aux bourreaux des siens, Olga Tumanyan se battra alors comme une lionne pour sauver ses petits-enfants de leur dispersion dans des orphelinats. Décédée à l’âge de 100 ans, cette mère courage aura ainsi élevé ses enfants et ses petits-enfants sans jamais faiblir. Elle survivra de 48 ans à son poète de mari, près d'un demi-siècle inlassablement consacré à perpétuer son œuvre et sa mémoire. En 1953, l’Arménie reconnaissante lui dédiera un musée. « Notre institution, nous la devons à Madame Olga, une vraie "Mayrig" (mère en arménien), femme dont le grand cœur pourrait rendre amoureux n’importe quel homme », souligne Ani Yeghiazaryan, commissaire de  cette exposition organisée conjointement avec Guissané Hovsepyan, directrice du musée Hovhannes Tumanyan de Tbilissi. « Ouverte au public en 2017, cette maison où le poète a vécu les dix dernières années de sa vie, est tout aussi appréciée par nos visiteurs géorgiens qui connaissent et aiment l'œuvre du grand écrivain arménien », confie la philologue.

À Erevan, la plongée passionnante dans les secrets d’Olga, mais aussi de Hovhannes Tumanyan à travers une multitude de beaux objets, est encore possible jusqu’au 20 février 2022. Pour cette immersion, il faudra… monter les cinquante-quatre marches du musée qui symbolisent les années de vie du poète immortel de "La Goutte de miel" et d'"Anoush" qui a eu la chance de rencontrer puis d’épouser Olga, son ange gardien.

 

http://www.Tumanyan.am/fr