
90% de la laine produite en Arménie est inutilisée voire détruite tous les ans. Ce constat est d’autant plus frappant dans un contexte de développement durable, mettant à l’honneur les matériaux naturels, et quand on sait qu’une demande existe, grâce au nouvel essor des artisanats locaux arméniens, comme la fabrication des tapis. C’est ainsi qu’est née l’initiative Arm.wool, plateforme de mise en avant de la laine arménienne, du mouton jusqu’au tissage.
Par Camille Ramecourt
Structurer la filière laine pour développer les territoires
Arm.wool a conduit une étude de la filière laine arménienne. L’initiative en a identifié les manques, notamment en formation et en équipement, ainsi que plus de 1500 tonnes de laine gâchées annuellement. Cela présente un manque à gagner important, notamment pour des communautés rurales dont l’activité économique est limitée. Le déclin de l’industrie lainière d’Arménie peut être imputé à la mondialisation, à l’essor des fibres synthétiques et importées, sonnant le glas de la majorité des pratiques traditionnelles et des matériaux naturels.
L’Arménie a un riche passé textile, et un savoir-faire ancien en matière de filage, en particulier dans les régions de Shirak, Syunik et Vayots Dzor, difficile à faire revivre en l’état en raison du manque d’infrastructures, de débouchés, de demande et de communication.
C’est face à ce constat et ce potentiel que Arm.wool s’est formé, sous l’égide de la Fondation Homeland Development Initiative (HDIF), avec pour objectif de revitaliser le secteur de la laine arménienne. Partir de l’existant, combler les manques par l’achat d’équipement neuf et de formation par des experts, et redynamiser les communautés locales pour fournir de la laine naturelle et locale à des acheteurs en recherche de ces garanties. La marque Arm.wool est un intermédiaire entre les producteurs individuels locaux et la demande nationale.
“C’est comme un corps, si le bras ne fonctionne pas, la main ne peut pas fonctionner correctement. Tout est important.” explique Ani Mkrtchyan, cheffe de projet à Arm.Wool.
Une chaîne de valeur locale et traditionnelle
Arm.wool a sa propre méthode pour structurer le secteur de la laine arménienne. L’initiative cartographie l’ensemble de la chaîne de valeur, afin de la solidifier et de pouvoir témoigner de ses garanties d’origine et d'éthique. Cette chaîne de valeur est consultable pour toutes les créations utilisant de la laine d’Arm.wool, qui agit ici comme marque déposée, grâce à la blockchain. Cette technologie qui a été développée par la HDIF, membre de la World Fair Trade Organization (WFTO), offre une garantie d’origine pour les produits de laine achetés, de la tonte jusqu’au produit fini. Cette traçabilité est déjà remarquable, quand la blockchain des produits Hermès ne concerne pas l’amont de la production, mais seulement la date de production et le numéro de série du produit. Il est donc impossible de tracer le moindre processus de production, explique Ani Mkrtchyan.
Mais la traçabilité n’est que le médium permettant un engagement “pour l’Arménie, pour un approvisionnement éthique, pour la préservation culturelle et pour un impact et un développement mesurables”.
La marque garantit que ses produits soient fabriqués dans des conditions éthiques, soutiennent les communautés rurales et contribuent à faire revivre le secteur de la laine arménienne. L’idée derrière Arm.wool, est “d’élever la communauté”, de tisser des liens sociaux, dont les premiers effets se voient déjà sur le terrain.
En 18 mois d’existence, le projet a créé plus de 150 emplois dans des conditions de travail dignes, améliorant la vie des tisseuses, et offrant parfois un premier emploi à des femmes dans leur cinquantaine. Les premiers furent créés en 2024. Une filature d’Arm.wool emploie les 8 premières femmes du programme à Amasia, région de Shirak, région qui présente le plus fort taux de chômage d’Arménie.

Pour faire revivre la laine comme héritage historique arménien, ce sont les pratiques manuelles et naturelles qui sont représentées par Arm.wool. Le passeport numérique de la blockchain présente chaque étape du produit fini. On suit les moutons paissant dans les montagnes, leur tonte un à un, les colorants naturels et locaux, et on voit les métiers à filer et à tisser des artisanes. A contre-courant de la fast-fashion, les processus sont une ôde à la lenteur efficace : les teintures sont fixées par des mordants naturels comme l’aluminium ou le fer par conscience environnementale, avant de que les fils soient mis à sécher au soleil pour une adhésion basse consommation des couleurs à la matière. Aucune teinte n’est réplicable, étant influencée par les éléments et les ingrédients de sa recette, qui apparaît dans le passeport digital du produit, comme sa date de teinte, et son ouvrier.

L’enjeu du passeport digital, de la tonte, du filage de la laine, de son tissage et de la vente par des membres de la communauté est la création de valeur ajoutée. Cette manne économique est réinvestie pour l’écosystème local, mais le produit fini quant à lui poursuit sa route.
La laine rurale suivie jusqu’à la scène internationale
Le mouvement se définit lui-même comme “mariant un artisanat ancien avec de la durabilité et traçabilité moderne”, et Ani Mkrthcyan perçoit elle-même le tissage de la laine comme partie de l’ADN du pays :
“Les femmes réinteprétaient par leur tissage leur environnement, c’est pourquoi on retrouve beaucoup de dragons, et d’ornements inspirés de la nature dans les anciennes œuvres tissées. Aujourd’hui nous sommes moins proches de la nature mais cela ne signifie pas que la laine est une affaire du passé. C’est un médium traditionnel par lequel nous pouvons réinterpréter notre environnement pour créer de l’art contemporain”
Et bien que l’initiative soit récente, la laine de son label s’est déjà retrouvée sur plusieurs projets d’art moderne. En 2025, les fils de laine d’Arm.wool ont tissé le tapis rouge du Festival de cinéma Golden Apricot, mettant sous les projecteurs internationaux le savoir-faire local. Et grâce au “passeport digital” permis par la blockchain, sous les projecteurs aussi : les moutons de la race transcaucasienne Balbas, de la ferme de Darik (Shirak) à la frontière avec la Géorgie, le centre d’Amasia, sa filature et ses fileuses, les pigments naturels et locaux du WoolWay Natural Dye Studio, la tisseuse d’Argavand, Normal Studio pour le design, et AHA Collective pour la curation et production.

Arm.wool implique autant d’acteurs liés de près ou de loin avec la laine dans son mouvement, afin de lancer la plus grande dynamique possible. Musées et créateurs, sa laine s’est également retrouvée dans la collection MADE-VEL-E sur la scène de la fashion week d’Erevan 2025. Ani Mkrthcyan avait invité la styliste Natacha Kalfayan, fondatrice de MADE-VEL-E, à un atelier, et cette dernière fut inspirée par la matière brute, que l’on a retrouvé dans ses créations.

Après un Forum sur la Laine tenu en novembre 2025, invitant praticiens de la matière et experts internationaux, Arm.wool regarde vers l’avenir pour hisser la laine et l’artisanat arméniens sur la scène internationale. La COP17 Biodiversité semble offrir le canevas idéal à l’initiative, qui propose des matières durables, fabriquées dans des conditions écologiques et sociales, se souciant même du bien-être des moutons, acteurs de la biodiversité.










