L'Arménie et l'Artsakh dans la campagne électorale française

Géopolitique de la francophonie
04.01.2022

Notre interlocuteur est le journaliste et chercheur Tigran Yegavian (France).

 

Monsieur Yegavian, il y a des élections présidentielles qui se préparent en France, et les différents candidats présidentiels se rendent les uns après les autres en Arménie et même en Artsakh. À votre avis, qu'est-ce que cela signifie ?

L'Arménie et les Arméniens ne devaient pas être un sujet de campagne, étant donné que la droite, dont l'influence est croissante en France, estime que les Arméniens sont des chrétiens d'Orient, un phénomène tout à fait inédit car la question arménienne est une question purement humaniste qui réunit tous les courants politiques - gauche et droite. Au début, ce sont les gauchistes qui nous soutenaient et « Hay Dat ». Mais depuis 2014, un nouveau cycle a commencé. La société française étant extrêmement fragmentée et profondément conflictuelle face à la menace islamique, ils tentent d'« exploiter » le facteur arménien au détriment des Arméniens. Il s'agit simplement d'une excuse pour souligner les menaces qui pèsent sur les Arméniens, qui n'ont pas besoin d'être protégés au prix de nos intérêts. Nous devons être particulièrement prudents sur ces sujets car Éric Zemmour, qui, comme vous le savez, représente les forces radicales de droite, s'est également rendu en Arménie. Il est vrai que les visites en Artsakh sont extrêmement importantes, mais ils essaient de rallier à leur cause la communauté arménienne, qui compte 400 000 voix, ainsi que les électeurs de droite qui sont favorables aux Arméniens.

 

La candidate à l'élection présidentielle, Mme Pécresse, a déclaré que l'Arménie était un pays frère de la France et qu'elle était favorable à des efforts accrus de la part de la France pour rétablir la paix au Karabakh, développer l'Arménie sur le plan économique et culturel et préserver le patrimoine culturel arménien.

Il s'agit d'un acte de propagande, mais il faut toujours garder à l'esprit que le ministère français des Affaires étrangères a toujours maintenu une position neutre, parfois pro-turque. Bien que je pense que c'est aussi une façon de forcer Macron à exprimer sa position, parce que Macron, qui parle toujours d'être pro-arménien, n'a jamais rien fait pour protéger nos frontières à Syunik et n'a pas reconnu l'Artsakh. Nous vivons dans une période où, d'une part, il y a un sentiment pro-arménien dans la société française et, d'autre part, il y a un gouvernement de type realpolitik qui limite les relations avec l'Arménie à la culture et à l'amitié, qui, hélas, n'ont aucun impact sur les relations internationales. Les Français disent qu'ils soutiendront toujours les Arméniens, votent une loi sur le génocide, mais l'État ne parle pas de la sécurité de l'Arménie et de son soutien dans la reconnaissance de l'Artsakh. Ce sont donc autant de discours émotionnels dans lesquels le partenariat avec l'Azerbaïdjan se poursuit. Disons que le lobby turc et azerbaïdjanais en France s'est visiblement intensifié. Les Arméniens sont gentils, mais dans les affaires, les Arméniens n'ont aucun poids. Ce qui est important, c'est que même si Pécresse devient président, ce qui est très probable, Macron sera toujours président jusqu'en juin. Et il a dit qu'il organisait une conférence internationale en faveur de l'Artsakh. Cela permet d'internationaliser la question et d'intégrer l'Artsakh dans le discours international. C'est certainement une bonne idée, mais les Arméniens français observent les négociations entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan avec appréhension, car ils ont peu confiance dans le gouvernement actuel.

 

Quel candidat présidentiel a le plus de chances de réussir ?

Il est difficile de faire des prédictions à ce stade, mais c'est la première fois que la France est aussi polarisée. Pour la première fois, le thème de l'identité française, de la francité, est utilisé en politique. C'est pourquoi la question arménienne a été remise au goût du jour. Je pense que Macron va devoir faire des gestes. Il est très communicatif, mais prendre des décisions est une autre paire de manches. Cela s'est manifesté dans ses relations avec les Arméniens lorsqu'il a prononcé un certain nombre de discours, mais ceux-ci n'ont jamais eu d'impact politique. En revanche, le parti de droite, dont Valérie Pécresse est la candidate, est en position la plus favorable. C'est vraiment quelque chose de nouveau, car à une époque, la communauté arménienne était plutôt orientée vers la gauche, mais maintenant elle penche vers la droite. Malheureusement, les Arméniens n'ont pas de partis de droite ; le principal parti arménien, l'FRA, est plutôt associé aux socialistes. C'est effectivement un défi, et la société arménienne doit se regrouper et créer un parti de droite, mais pas un parti radical. Bien qu'il y ait des radicaux de droite dans la communauté arménienne qui soutiennent Érik Zemmour, malgré le fait que son ami le plus proche soit un avocat pro-turc et pro-azerbaïdjanais. Une chose est claire : cette campagne sera extrêmement tendue, et sans précédent dans l'histoire récente de la France.

Source : lragir.am