Le sauvetage des rescapés du Musa Dagh : Une leçon humanitaire pour aujourd’hui !

Opinions
03.11.2025

C’est une histoire méconnue. Il y a 110 ans, alors que se déroulait le premier génocide du XX siècle contre la population arménienne par le gouvernement des Jeunes-Turcs, 4092 arméniens ont alors été sauvé de la mort par la marine française.

 

Par Alain Boinet

Ces arméniens de 6 villages de Cilicie, proches de la ville d’Antioche au sud-est de l’Anatolie, s’étaient réfugiés sur la montagne du Musa Dagh plutôt que d’être condamné à la mort dans les convois de la déportation vers le désert syrien.

Durant 53 jours, ils se sont défendus et ont résistés âprement aux assauts turcs tout en étant totalement isolés et encerclés. Sur le Musa Dagh, situé au bord de la méditerranée, ces arméniens avaient placés sur la montagne un grand drapeau blanc avec une croix rouge.

Un bateau de la marine française, Le Guichen, les a alors repérés et bientôt, sur une décision courageuse du vice-amiral Louis Dartige du Fournet, 5 croiseurs ont embarqués les 12 et 13 septembres 1915 ces 4092 arméniens épuisés pour les débarquer en sécurité à Port Saïd. Leurs descendants comptent aujourd’hui plus de 40.000 âmes en Arménie, en France et dans le monde.

 

L’histoire ne s’arrête pas là. Un des petits-enfants de rescapés du Musa Dagh, Thomas Aintalian, a entrepris de retrouver les traces du sauveur de ses grands-parents. Il a retrouvé sa tombe dans le cimetière du village de Saint Chamassy en Dordogne. Les médias se sont alors passionnés pour cette histoire. Depuis 2010, chaque année, une cérémonie a lieu pour célébrer la mémoire d’un juste qui pris une décision courageuse selon sa conscience et sa conception de l’honneur.

 

J’ai découvert cette page d’histoire cette année, le 22 septembre 2025, a Musa Ler en Arménie lors de la cérémonie réunissant de nombreux arméniens et français avec les autorités de ce pays. Avec eux, une délégation des écrivains de marine avec son président, Patrice Franceschi, Sylvain Tesson, Katel Faria et Arnaud de la Grange, l’ambassadeur de France, Olivier Decottignies et l’amiral Bossu de l’Etat-major de la marine. Cérémonie accompagnée par la célèbre violoncelliste Astrig Siranossian, en présence de l’acteur Simon Abkarian qui jouera le rôle du général de Gaulle dans le prochain film d’Antonin Baudry qui sortira en 2026. Cérémonie suivi du traditionnel repas, la harissa. Avec eux, il y a également Jean-Christian Kipp, vice-président de la Société des Explorateurs Français, Catherine Van Offelen, écrivaine, Antoine Agoudjian, photographe, et votre serviteur, Alain Boinet, président de Défis Humanitaires ».

Comment ne pas voir dans ce sauvetage une opération humanitaire remarquable. Il s’agissait à l’époque d’un génocide qui a fait plus d’un million de victimes et nous étions alors en guerre contre l’Empire Ottoman allié de l’empire allemand. Mais, comment ne pas penser à diverses situations que nous connaissons aujourd’hui ? Que l’on pense à Gaza, à l’Ukraine, la RDC ou le Soudan et tant d’autres encore.

Souvenons-nous que nous célébrons le 5ème anniversaire de la guerre de l’Azerbaïdjan en septembre 2020 contre le Haut-Karabagh ou Artsak qui s’est terminée le 19 septembre 2023 par une nouvelle attaque chassant 100.000 Arméniens de leur territoire ancestral.

Chaque guerre à ses spécificités et on ne peut toutes les confondre. Souvenons-nous aussi que la première guerre mondiale déclencha le déploiement à grande échelle des sociétés de Croix Rouge sur tous les fronts pour soigner les blessés. Pourtant, aujourd’hui, alors que plus de 300 millions d’êtres humains ont besoin de secours, c’est le moment choisi par certains pays pour diminuer drastiquement leur aide humanitaire !

Le 80ème anniversaire des Nations-Unies qui vient de se tenir à New-York en présence de 193 Etats membres illustre bien ce repli, cet affaiblissement qui est celui de ses financements et de son rôle. La Charte des Nations-Unies signée le 26 juin 1945 et l’ONU sont aujourd’hui à un tournant décisif. Le projet UNGA80 sera-t-il suffisant ?

A suivre l’actualité, on a parfois l’impression que Donald Trump s’est substitué à sa manière à l’ONU. Faudrait-il un nouveau cataclysme mondial pour redonner légitimité et vigueur à une telle organisation nécessaire malgré ses limites.

Au mois de juillet, le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, déclarait que la solution à deux Etats entre Israël et la Palestine était « plus éloignée que jamais » ! Aussi la France et une dizaine de pays viennent de reconnaître l’Etat de Palestine car « le peuple de Palestine n’est pas un peuple en trop » comme l’a déclaré le Président de la République, Emmanuel Macron.

L’initiative qui semble celle de la dernière chance s’adresse à tous mais avant tout aux Etats-Unis, car soyons lucide, seul ce pays a les moyens d’obliger Israël à un cessez le feu et à une solution politique sans le Hamas qui s’est irrémédiablement condamné le 7 octobre 2022.  Au moment même où nous allons publier cette édition ce 30 septembre, nous attendons ce qui sortira du plan en 20 points de Donald Trump accepté par Benjamin Netanyahou et les pays arabes ! Le plan Trump va-t-il se concrétiser rapidement, libération de tous les otages, cessez-le-feu, aide humanitaire massive pour mettre fin à la famine, retrait progressif de l’armée israélienne et enfin conduire à la paix ! C’est tout l’enjeu, car, comme le dit Annalena Baerbock, présidente de cette Assemblée générale de l’ONU, « Si le mal prévaut, ce serait la fin de cette organisation » !

 

Dans une tribune publiée dans The Guardian le 26 août, Martin Griffiths, ancien secrétaire général adjoint des Nations-Unies aux affaires humanitaires, écrit en parlant de l’ONU : « Ce nouveau déficit de pertinence découle d’un effondrement de la ressource la plus précieuse de l’ONU : son courage ». Et d’ajouter plus loin « Une culture de prudence s’est infiltrée dans l’organisation, une forme d’inertie et de résignation face aux blocages politiques ». Je crains que ce constat ne concerne beaucoup d’organisations !

 

Dans ce contexte délétère, l’humanitaire est en bien fâcheuse posture ! « A la fin du mois de juillet, la situation humanitaire mondiale 2025 présentait des besoins de financement consolidés de 45,48 milliards de dollars pour secourir 181,2 millions des 300 millions de personnes dans le besoin dans 72 pays. A fin juillet, seulement 7,64 milliards de dollars ont été mobilisé, ce qui représente 16,8% des besoins financiers actuels. C’est environ 40% de moins que le financement enregistré à la même époque l’an dernier » selon les Nations-Unies.

Vous avez bien compris, seulement 7,64 milliards de dollars promis sur les 45,48 milliards indispensables pour secourir cette année tant de personnes en danger ! C’est la course au désengagement ! Face à ce reflux, les Nations-Unies ont annoncé le 16 juin une réduction drastique de leur plan d’aide humanitaire pour 2025 en raison des « coupes budgétaires les plus importantes jamais opérées ».

Le nouveau plan de 29 milliards de dollars priorise à l’extrême 114 millions de personnes selon un communiqué du Bureau de coordination de l’aide humanitaire de l’ONU (OCHA). « Nous avons été forcés de faire un tri de la survie humaine » a déclaré le Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires de l’ONU, Tom Fletcher.

Je n’ai pas de baguette magique ni de solution miracle, mais je sais que la passivité et le « à quoi bon » sont des démissions que l’humanitaire ne peut ni ne doit se permettre. Comment comprendre que des pays de l’OCDE partisans du multilatéralisme laissent largement et brusquement tomber l’aide humanitaire et au développement au risque de le payer cher tant sur le plan de l’éthique de responsabilité qu’ils affichent que des conséquences que tout abandon engendrera.

Je crois que le courage de l’Ukraine doit nous inspirer et j’approuve personnellement l’augmentation des budgets de défense qui sont ceux de notre liberté, de notre indépendance et de notre souveraineté car que le péril est à nos portes. Je crois tout autant que cela est compatible et complémentaire d’une poursuite de l’aide internationale. Comme le suggère dans cette édition Cyprien Fabre dans son article « Flemme », l’aide humanitaire et au développement devrait être intégrée à une architecture de sécurité globale incluant la sécurité humaine et la sécurité environnementale. La sécurité de chaque pays doit s’accompagner d’une défense commune face aux périls collectifs.

Dans ce contexte, je crois que les humanitaires ne doivent pas se recroqueviller sur des analyses faciles qui cacheraient l’essentiel. La baisse de l’aide internationale des pays développés est une tendance générale pratiquée par des gouvernements de gauche ou de droite comme des extrêmes.  Nous sommes en face d’une crise existentielle dont nous n’avons pas encore vu le fond et qui nécessite de comprendre ce qui se passe, de produire un discours pertinent et d’inventer des alternatives pour endiguer la décrue.

C’est dans cette voie que Défis Humanitaires est engagé en publiant des articles répondant à ces attentes. La crise géopolitique que nous vivons doublés de la crise des financements humanitaires nous conduit à nous reposer la question de la politique éditoriale de Défis Humanitaires.

Aussi, nous allons prochainement vous proposer de participer à ce questionnement en contribuant tant à l’analyse de la situation qu’à l’orientation de la revue que vous lisez régulièrement. Merci pour votre soutien qui est précieux.

 

Source : Les défis himanitaires (https://defishumanitaires.com)