Réflexions sur l’identité arménienne

Opinions
23.01.2023

Sujet éternel de réflexions et d’interrogations, l’identité arménienne ne cesse de se chercher et de vouloir se définir. Nane Movsisyan, docteur en sciences philosophiques qui effectue des recherches autour de l’identité arménienne, son histoire et sa philosophie, trouve que celle-ci n’a pas connu de véritables remaniements au cours de l’histoire… Elle y revient dans un entretien avec le Courrier d’Erevan.

Propos recueillis par Lusine Abgaryan

 

Qui est l’Arménien du XXIe siècle ? Quel est son vrai visage  ?

Je pense que l’identité arménienne n’a pas subi de changements majeurs au cours des siècles. Si nous regardons les deux siècles précédents et faisons une comparaison avec la période actuelle, nous remarquons que non seulement les caractéristiques psychologiques mais les situations et les cas se répètent.

La question « qu'est-ce qu'un Arménien ? » est pertinente à toutes les étapes de notre histoire, nous avons nous-mêmes du mal à répondre à cette question. Hayk Asatryan, philosophe et homme politique arménien, a peut-être donné la description la plus profonde d’un Arménien : « il chante le soleil, mais il est somnolent, c’est un idéaliste, mais il est avide, il est arrogant, mais il s’adapte à l’humilité »... Ce sont des caractéristiques qui n’ont pas du tout changé, même aujourd'hui. Pour moi cependant, l’une des raisons de nos malheurs et de nos échecs tient à ce que l’Arménien attend toujours de l’autre avant d'attendre de lui-même. Nous avons souvent une attitude "extérieure" par rapport aux événements qui nous arrivent et nous concernent, préférant attendre, en quelques sortes, que quelqu’un agisse à notre place et évalue ce qui est bien et ce qui est mal.

 

Existe-t-il aujourd’hui une conscience nationale arménienne?

Notre existence prouve d'ores et déjà que nous en avons une. La question est de savoir combien la ressentent et comment ils l’expriment. Sans conscience nationale, la nation ne peut exister et la guerre de 44 jours en est une preuve éclatante.

D’un côté, nous voyons un Arménien soucieux des questions nationales et prêt à se sacrifier, porteur de son identité, et de l’autre, des anti-arméniens qui ne ménagent pas leurs efforts et leur énergie pour contribuer de toutes les façons qui soient à former des individus dénués de conscience nationale nous faisant paraître, à la fin, sans visage et sans trait. Hayk Asatryan, Garegin Nzhdeh, Shahan Natali ou Monte sont des héros de notre conscience nationale et c’est sur leur exemple- et grâce à leur influence - qu’une grande armée d’individus, porteuse de notre conscience nationale, devrait être constituée. Dans ce cas seulement nous ne finirons pas assimilés et voués à disparaître de la scène de l’histoire.

 

Comment décrivez-vous la situation présente que traverse l'Arménie?

Nous vivons les moments les plus difficiles de notre histoire, une épée de Damoclès suspendue au-dessus de nos têtes, notre simple existence menacée. Il nous faut repenser le présent. Arrêtons-nous un instant et réalisons que notre patrie, c’est l’Arménie, et sans l’Arménie, nous n’avons pas d’identité. Ce qui arrive à notre patrie nous arrive à nous. Si l’Artsakh est en blocus, alors l’Arménie est en blocus,  nous  sommes en blocus. Et soit nous serons le « chameau opiniâtre » de Tcharents, sachant passer même par le chas d’une aiguille, soit nous cesserons d’exister. Je constate avec douleur que l’indifférence et l’ignorance sont devenues un syndrome dont nous devrons assumer les conséquences. Nous devons nous réveiller de ce sommeil profond dans lequel nous sommes plongés et atteindre la vision du monde à laquelle nous aspirons. Celle d'une Arménie stable et florissante.

 

Et la diaspora ?

La diaspora arménienne a toujours joué un rôle important dans la vie de l’Arménie. C’est aussi grâce aux Arméniens de la diaspora que nous sommes représentés dans bien des endroits du monde. Notre patrie est une : l’Arménie ; donc les Arméniens de l’extérieur, ceux de la diaspora, avec les Arméniens vivant à l’intérieur, en Arménie, doivent garder fortes les frontières de notre patrie.

 

Préserver son identité comporte-t-il aujourd’hui des risques d’isolement et d’enfermement ?

Non, car c’est grâce à l’identité nationale arménienne que nous portons notre visage dans le monde. Sans elle, nous n’existons tout simplement pas. Et parallèlement à la préservation de notre identité, nous savons également faire notre ce qui est universel et ne reconnaît pas de nationalité. C’est ainsi que nous nous intégrons aux changements qui s’opèrent dans ce monde.

Je trouve même qu'à trop nous fondre dans les tendances du monde moderne, nous risquons d'y perdre notre visage. C'est le dilemme entre le national et l'universel : l’être national, c’est notre visage unique, l’être universel est un individu sans visage, capable de menacer l’identité nationale,  et non l’inverse. Selon moi, non seulement nous ne restons pas isolés en préservant notre identité nationale, mais au contraire, à ne pas vouloir la mettre en avant, nous courons le danger de la perdre. ll faut vivre et la faire vivre et non pas simplement savoir qu’elle existe en passant à côté.