Le Parlement européen fustige la faiblesse de l’Europe face à Ankara

Région
01.05.2021

Le Parlement européen n’a jamais craint de monter au créneau sur ce sujet. Des trois grandes institutions européennes, il est la seule à avoir reconnu le génocide des Arméniens, dès juin 1987[i], 33 ans avant le Congrès américain.

Par Anne-Marie Mouradian

Sa résolution est restée sans suite. Le Conseil européen - la plus haute instance décisionnelle de l’UE -, s’est gardé de suivre les recommandations des eurodéputés et de reconnaître le génocide des Arméniens. Quant à la Commission européenne - l’organe exécutif de l’UE -, elle a longtemps préféré éviter « le mot G ». « C’est un sujet délicat et les Etats européens ont des positions divergentes sur ce dossier » ont répondu au fil des ans, les responsables interrogés sur les raisons de ce tabou.  

La place particulière de la Turquie à la Commission européenne remonte loin dans le temps. Le premier secrétaire général de l’institution, Émile Noël, a tout au long de sa carrière promu les liens avec Ankara. Ce grand Européen était aussi parfait turcophone et très attaché au pays où il était né en 1922, la Turquie, où son père était un des fonctionnaires chargés de la liquidation de la dette ottomane. Après le dépôt de la candidature d’adhésion de la Grèce en 1975, il a encouragé le gouvernement turc à déposer la candidature de son pays, ce qu’Ankara, d’abord hésitant, fera en 1987.

Avant l’ouverture officielle des négociations d’adhésion avec la Turquie en 2005, le Français Pascal Lamy fut l’un des seuls, au sein d’une Commission européenne majoritairement acquise à la cause turque, à considérer que la Turquie n'était « pas encore prête » pour ces négociations. Il a été le seul à vouloir poser comme précondition de cette adhésion, la reconnaissance du génocide des Arméniens par Ankara. Ce faisant, non seulement il déchaînait contre lui l’ire de la Turquie mais il irritait les autres commissaires européens. « On s’est demandé quelle mouche l’a piqué, on a tous été très étonnés par son attitude », confiait peu après l’un de ses collègues. Le baroud d'honneur de Pascal Lamy, l'un des membres les plus respectés de la Commission à cette époque et futur directeur général de l’Organisation mondiale du commerce, n'était pas passé inaperçu.

 

Seul à dénoncer l’offensive turco-azérie

En octobre 2020, le Parlement européen a été seul - avec le président français Emmanuel Macron -, à dénoncer l’offensive turco-azérie contre les Arméniens au Karabakh. L’UE a préféré renvoyer dos à dos agressés et agresseurs.

Le 26 avril dernier, les flèches des députés ont été particulièrement cinglantes. Ils recevaient dans leur hémicycle les deux principaux responsables de l’UE, le président du Conseil, Charles Michel, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, venus présenter les résultats de leur rencontre au début du mois avec le président turc. Une visite à Ankara immortalisée par les vidéos du « sofagate » : seuls deux fauteuils avaient été préparés pour la rencontre, Charles Michel s'est empressé de s’assoir sur le second à côté de celui occupé par le président Erdoğan, alors qu’Ursula von der Leyen s’est vue reléguée à l’écart sur un divan. La scène renvoyait l’image d’une Union européenne divisée et humiliée.

La formule de l’eurodéputée française Nathalie Loiseau, présidente de la sous-commission Sécurité et défense, résume bien le ton des échanges au Parlement européen ce jour-là: « L’Europe doit un peu moins se demander où elle s’assoit et un peu plus comment elle reste debout pour se faire respecter, à Ankara comme à Moscou ».

François-Xavier Bellamy a raconté : « Le jour de votre visite à Ankara,  j’étais à Erevan où je visitais un hôpital qui soigne les blessés de la dernière guerre. En croisant leur regard, j’ai eu honte de venir d’Europe, honte des compromissions européennes face aux agissements d’Erdogan. »

« On voulait envoyer un message de la force à Ankara mais c’est celui de la faiblesse qui est passé » a fustigé de son côté le président du parti de la droite populaire (PPE), l’Allemand Manfred Weber, tandis que sa compatriote, Ska Keller, coprésidente du groupe des Verts et membre de la commission parlementaire mixte UE-Turquie, a attaqué: « Malgré la situation catastrophique des droits de l’Homme et de l’Etat de droit dans ce pays, malgré les énormes violations, le Conseil continue de travailler sur un mandat pour moderniser l’union douanière de l’UE avec la Turquie ! Sans engagements vis-à-vis des droits humains ! On aide Erdogan là où il est le plus faible, l’économie ! ».

De fait, les besoins de l’économie turque en pleine crise ne lui permettent pas de couper les liens avec l'Europe, son premier partenaire commercial avec qui elle réalise 37% de son commerce extérieur. Durant leur visite à Ankara, Charles Michel et Ursula von der Leyen ont souligné la disponibilité de l’UE pour  renforcer ces liens économiques en modernisant l’Union douanière euro-turque et l’élargir à de nouveaux secteurs tels que l’agriculture, les services et les marchés publics. En échange, les Européens ont demandé des « gestes crédibles » et des « efforts durables » de la part d’Ankara. Ils ont également, comme ils le font depuis plusieurs années, agité la menace de sanctions, renvoyant cette fois l’examen de la situation au mois de juin 2021.

 

[i] Dans leur résolution du 18 juin 1987, les eurodéputés estimaient que « le refus de l’actuel gouvernement turc de reconnaître le génocide commis autrefois contre le peuple arménien par le gouvernement « jeunes Turcs », sa réticence à appliquer les normes du droit international dans ses différends avec la Grèce, le maintien des troupes turques d’occupation à Chypre ainsi que la négation du fait kurde, constituent, avec l’absence d’une véritable démocratie parlementaire et le non-respect des libertés individuelles et collectives, notamment religieuses, dans ce pays, des obstacles incontournables à l’examen d’une éventuelle adhésion de la Turquie à la Communauté  ».