La Maison du soldat ou le devoir de réparation

Société
15.07.2021

"Assumer le devoir de réparation". C'est l'engagement que s'est fixée le Centre de réhabilitation du défenseur de la patrie, plus communément nommé la "Maison du soldat". Il prodigue des traitements de pointe en soins hospitaliers ou ambulatoires à 300 anciens combattants blessés et handicapés chaque mois, ceux de toutes les guerres et conflits armés auxquels ont fait face l’Arménie et l’Artsakh depuis trois décennies, soit plus de 9000 personnes à ce jour.

Par Lusiné Abgarian et Olivier Merlet

Médecine de pointe, approche globale

Fondé en 2018 par l’ONG « Soutien aux soldats blessés et handicapés » en collaboration avec l’Université de Médecine et le Ministère de la défense, c’est grâce aux efforts de la communauté pan-arménienne, en particulier celle des Pays-Bas, que la structure a pu se doter des équipements physio-thérapeutiques les plus modernes et recruter les meilleurs spécialistes, post-traumatologues et kinésithérapeutes, souvent formés à l'étranger. Des chirurgiens de renommée mondiale sont régulièrement invités pour y réaliser des interventions délicates telles que la pose de prothèses, par exemple.  

Unique en son genre, cette institution abrite bien plus qu’un simple centre de réhabilitation fonctionnelle. Au-delà de l'aspect purement médical de leur rééducation, la "Maison du soldat" assure également la prise charge psychologique des patients et facilite leur réintégration sociale au travers de formations professionnelles spécialisantes et un accompagnement personnalisé vers le marché du travail. L'approche se veut globale de façon à garantir un retour à la vie ordinaire le plus rapide possible.

 

Réparer les corps,  soigner les âmes

L'agencement de ce vaste complexe a été pensé dans cet esprit. Installé dans les anciens locaux administratif de l'Université de Médecine, il en a gardé le décor soigné et chaleureux. Bien loin de l'atmosphère stérilisée aux parfums d'éther d’un hôpital, il ressemble davantage à une pension de famille cossue ou un lycée anglais, Au rez-de-chaussée du bâtiment, à côté d'une salle de lecture et de repos, véritable lounge avec boiseries, fauteuils et divans de cuir noir, on trouve une bibliothèque aux portes vitraillées et encore une salle informatique dernier cri.

Ici, l'ambiance est calme, feutrée, mais vivante. La guerre est là, présente dans les mémoires et dans les chairs, visible sur les corps meurtris et les "gueules brisées", mais le confort des lieux et le bien-être qui s'en dégage confèrent aux soldats le moral et l'optimisme dont ils ont besoin pour assumer leur nouvelle condition. Un véritable laboratoire-cocon entièrement voué à la renaissance des défenseurs de la patrie.

Les héros sont solides, ne laissent rien paraitre et jamais ne se lamentent sur ce qu'ils ont perdu. Leur optimisme est extraordinaire. Le "choc de la guerre" ne les a toutefois pas laissés indemnes. Bien qu'ils évitent souvent d'en parler, traumatismes et souffrances psychologiques sont réelles. Les programmes développés par la "Maison du soldat" ne les ignorent pas. « La resocialisation et le traitement des problèmes psychologiques est relativement rapide du fait notamment que nous ne soyons pas un hôpital. Nous organisons des cours d'expression artistique, de modélisation graphique, en 3D, toute une gamme d'activités propices à l’autoréalisation. La confiance en soi ainsi regagnée leur permet de se reconstruire plus rapidement », - souligne Satène Mikayelyan, responsable des relations publiques.

 

Retour à l'emploi

Lorsque l'état du patient ne nécessite plus de soins intensifs ou d'urgence, la phase de réintégration sociale peut alors véritablement débuter. Le programme « Une fenêtre » permet à ses bénéficiaires d'élaborer un véritable projet social dont l'accès le plus rapide possible à un emploi adapté constitue la finalité. « Notre objectif est que nos bénéficiaires aient un travail et des revenus stables », - précise Satène. « Bien souvent, les conditions physiques des soldats ne leur permettent plus de pratiquer l'activité qu’ils exerçaient auparavant. Ils sont alors contraints d’en apprendre une nouvelle en repartant de zéro. Dans certains cas, les soldats proposent eux-mêmes des métiers qu’ils veulent étudier. Nous leur dispensons alors les cours appropriés. Notre objectif est qu'un futur employeur ne les embauche non parce qu’ils ont un handicap, mais parce que ce sont de bons techniciens dans leur spécialité. Être recruté en raison d’un handicap ne motive personne ».

Les projets de création d'entreprise sont également encouragés et tout le soutien nécessaire à leur réalisation est apporté, qu'ils soient ambitieux ou plus modestes comme un élevage des lapins ou la culture des champignons dans les communautés rurales. Une étude détaillée et des entretiens directs avec les acteurs des marchés concernés permet de sélectionner et guider les soldats en situation de handicap vers les filières les mieux adaptées à leur situation personnelle.

Le centre lui-même emploie plusieurs anciens patients dont les soins autorisent un suivi plus léger. Ils peuvent être intégrés au cadre du "bloc de soutien social" pour aider leurs camarades de champ de bataille dont ils connaissent les besoins et les soucis mieux que quiconque. Ils les assistent lors de visites médicales de contrôle dans les hôpitaux dénués d'accès pour personnes à mobilité réduite ou participent au réaménagement de leurs appartements ainsi que des espaces qu'ils seront amenés à fréquenter plus tard.

 

Extensions et projets

Un vaste travail de réorganisation s'est avéré nécessaire ces derniers mois. La soudaineté avec laquelle la guerre a éclaté a pris tout le monde au dépourvu, la "Maison du soldat" n’était pas prête à répondre à l'ampleur des demandes. Malgré tout, l’équipe a su faire face dans les meilleurs délais : « Il a vite fallu élaborer un nouveau modèle de travail. Grâce à la mobilisation active des soignants, aucun soldat n’a manqué d’aide. Nos médecins allaient les voir dans les hôpitaux où ils étaient recueillis, jusque dans les salles de réanimation. Même lors d'un coma, une réhabilitation passive est possible », - témoigne notre interlocutrice.

Depuis la fin de la guerre, les défis s'accumulent. Les cas de lésions cérébrales, de blessures aux organes internes ou d'éclats de munitions qui ne peuvent être retirés en une seule fois nécessitent une reprise des actes chirurgicaux menée en parallèle aux soins réparatoires. Des extensions sont en cours d'achèvement dont celle d'un service de microchirurgie qui devrait bientôt ouvrir ses portes, de même qu'un nouveau département au sein de l’Institut chirurgical Mikayelian, dédié aux patients atteints de lésions craniocérébrales graves. Sortis de réanimation mais encore incapable d'assumer une quelconque rééducation, leur état transitoire nécessite un suivi particulier et des soins tout à fait spécifiques que les familles sont absolument incapables de prendre en charge.

Dernier projet enfin, celui de « l'Hôpital des vétérans », réservé aux soins de longue durée. Il regroupera dans un même bâtiment des médecins de différentes spécialités et évitera le transfert des soldats d’un hôpital à l’autre.

La patrie leur a demandé de se battre pour elle. Ils ont répondu avec foi et conviction, ils ont tout donné et y ont laissé une partie d'eux-mêmes, il ne s'agit pas là d'une image. Il en va du devoir de la nation que de leur offrir les meilleures armes pour le nouveau combat qu'ils mènent aujourd'hui. C'est aussi celui qu'assume la "Maison du soldat". Satène de conclure : « C'est leur vie que remettent entre nos mains ces soldats blessés, leurs espoirs aussi. Tant qu’ils en auront besoin nous serons toujours là. »,-