
“Cette année scolaire sera sous le signe de la biodiversité”, c’est sur ces mots de Salwa Sandra NACOUZI, Rectrice de l'UFAR, que s’ouvrit la conférence sur le rôle des paysans et des communautés rurales dans la conservation de la biodiversité qui s’est tenue à l'Université française en Arménie vendredi dernier.
Par Camille Ramecourt
La rectrice a introduit cette conférence comme point de départ d’une année pour la construction d’un avenir durable, la prochaine COP sur la Biodiversité ayant lieu à Erevan en octobre 2026. C’est une opportunité historique pour le pays d’opérer un rôle international, de s’ouvrir au monde, de gérer les négociations. Historique car en 1992 au Sommet de la Terre à Rio, les premières conventions internationales que le pays tout juste indépendant a signé portaient sur la protection de la biodiversité, et la lutte contre le changement climatique et la désertification.
Le monde rural est un levier d’action clé pour la protection de la biodiversité, et aussi la condition essentielle à la souveraineté alimentaire d’un pays. Davit HAKOBYAN, Vice-Président du Groupe de travail de l’ONU sur les droits des paysans et enseignant à l’UFAR, présente les paysans comme point de jonction entre anthropocentrisme et biocentrisme, comme députés au Parlement des choses du philosophe Bruno Latour. Donner priorité à la parole des paysans dans la législation environnementale est donc nécessaire, point de vue partagé avec Jean Matthieu THEVENOT, de la Coordination Européenne Via Campesina, mouvement international formé par des membres locaux, représentant le monde rural dans son ensemble.
Dans cette optique et pour protéger les paysans, La Via Campesina a construit l’UNDROP (United Nations Declaration on the Rights of Peasants and Other People Working in Rural Areas) à partir des demandes de la population rurale. Accaparement des terres et biopiraterie des grandes entreprises, pauvreté, insécurité alimentaire, la déclaration non-contraignante répond à ces problèmes auxquels les paysans font face par des droits, et La Via Campesina œuvre à ce que des gouvernements l’intègrent dans leur législation nationale. Une version de l’UNDROP traduite en arménien et présentée sous la forme d’un livre pédagogique existe, notamment grâce à Davit HAKOBYAN, et dont les exemplaires sont actuellement distribués sur le territoire dans une volonté d’autonomisation et d’information des paysans arméniens sur leurs droits.
L’autonomisation, le développement des communautés rurales et la protection de la biodiversité se retrouvent dans les projets que se doit de mener le pays hôte en amont de la COP, en suivant notamment l’agenda 2030 de l’ONU. Françoise JACOB, résidente de l’ONU en Arménie, a rappelé les enjeux propres du pays en la matière, et présenté certaines solutions concrètes déjà mises en place.
L’Arménie, bien que très agricole (un quart de la population active), compte 85% de terres dégradées, importe des semences étrangères depuis 60 ans et a vu ses populations rurales isolées et particulièrement exposées lors des conflits avec l’Azerbaïdjan. En réponse, des programmes d’installation de panneaux solaires dans des villages permettant d’implémenter de petits projets économiques, de connecter les zones rurales, et d'autonomiser leurs habitants, ou la réhabilitation de pâturages de montagne pour que les paysans puissent améliorer la qualité de leur lait ont vu le jour.
La France soutient également l’Arménie dans ce type de projets, car “sans développement rural pas de développement économique” a dit Xavier RICHARD, Conseiller de coopération et d’action culturelle de l’Ambassade de France en Arménie. Les deux pays travaillent conjointement par exemple sur le barrage de Vedi, et le canal de Spandaryan, qui permettront un apport en eau à quelques dizaines de milliers d’agriculteurs.
L’Etat, par le biais de l’Unité de mise en œuvre des projets environnementaux (EPIU) du ministère de l’Environnement, gère la transformation des priorités stratégiques nationales en projets environnementaux concrets depuis 2010, et près de la moitié des actions de la structure concerne la dégradation des sols et l’agriculture innovante. Les résultats présentés par l’EPIU sont de l’ordre de 3900m² de serres construites, la restauration de 3000 hectares de terres dégradés, plus de 40 sécheurs solaires construits et 145 ateliers de développement des capacités rurales tenus. Armen YESOYAN, Chef de l’EPIU, a la protection des droits des paysans et le besoin de les impliquer dans le processus législatif les concernant pour leitmotiv. Ayant déménagé d’un village à Erevan il y a 20 ans, il a conscience des enjeux du terrain, mais déplore la déconnexion de certains urbains qui travaillent sur les questions rurales, au sens littéral comme figuré : la difficulté d’accès, en termes de transports, aux populations rurales lorsque des formations et ateliers sont proposés étant un défi majeur à surmonter.
Pour renouveler les pratiques, et informer les populations rurales, les formations sont pourtant essentielles, et c’est un des problèmes dont Arman KHODJOYAN, Vice-Ministre de l’économie responsable pour l’agriculture, a signalé que le gouvernement avait conscience. L’institution, pour constater et récolter les besoins des populations locales, effectue 4 à 5 visites mensuelles en zones rurales, limitant le risque de déconnexion évoqué par Armen YESOYAN. Il plaide également pour un institut de formation agraire en Arménie.
En attendant sa création, l’UFAR se place en précurseur et souhaite déjà engager ses étudiants dans la dynamique de la COP et créer un espace de rencontre entre l’université, les scientifiques et le monde rural. Françoise JACOB, l’appelle également de ses vœux. Le besoin de passerelles entre les savoirs tertiaires et ruraux, de recherche collaborative entre ces deux secteurs, et la possibilité de créer des start-up dans l’agribusiness donnent aux étudiants des pistes pour agir pour la préparation de leur pays à la COP et aux enjeux climatiques dont elle traitera.