
La première exposition en Arménie consacrée aux œuvres graphiques d'Herman Vahramian, l'une des figures les plus visionnaires de la diaspora arménienne en Europe à la fin du 20e siècle, a lieu en ce moment à Erevan dans la galerie d’AHA collective. Architecte, peintre, sculpteur, théoricien et éditeur, Herman Vahramian (Téhéran, 1939 – Milan, 2009) incarne une figure polymorphe dont la pensée critique et l’esthétique singulière traversent les disciplines.
Par Jean Villemin
Herman Vahramian est né en Iran. Il a passé son enfance et son adolescence à Téhéran au pied de la chaîne de l’Elbrouz enneigé.
Il raconte comment il réalisa à treize ans sa première sculpture en faisant tomber maladroitement une maquette de galion espagnol dans le bassin de la cour de sa maison. L’anéantissement du galion fut une expérience primordiale de jeunesse : maquette construite laborieusement pendant des jours et objet coûteux acheté par son père dont, dit-il, il fera sa première sculpture. Il faut pousser le symbolisme au-delà de l’expérience de la simple destruction d’un objet cher. Le galion espagnol est bien ce navire qui part à la conquête du Nouveau Monde et dont les occupants vont anéantir les cultures indigènes, et considérées comme minoritaires. C’est une grande constante dans l’œuvre de Vahramian qui s’éloignera toujours des cultures dominantes. Davantage que les défendre, il les fera vivre. Et il va développer une ambition encyclopédique au sens du XVIII siècle français. Tout embrasser et tout savoir.
Comment être persan quand on est arménien ? Comment être arménien quand on est persan ? Komitas l’ethnomusicologue, collecte et restitue la musique de la liturgie arménienne qui était embarrassée des modes occidentales. Vahramian constituera un véritable corpus architectural documenté des monuments historiques arméniens. Il inscrit l'arménité comme faisant partie de l’universel.
Adolescent, il a dédaigné l’art occidental prisé à Téhéran pour se tourner vers des artistes moins conventionnels. Son nomadisme le conduira à Milan plutôt qu’à New-York ou à Londres. Il sera architecte, designer, typographe, sculpteur, peintre. Il fréquente un lycée zoroastrien à Téhéran, une autre culture minoritaire. Est-ce de là, que surgissent les soleils rouges, ou or, dans ses Encres noires ? Ses calligraphies sont des morceaux d’abstraction. Vahramian maîtrise le génie arménien de la géométrie abstraite qui se retrouve dans toutes les architectures religieuses en particulier, mais aussi partout dans les modénatures des façades contemporaines. Il intègre et magnifie la répugnance à la figuration que mettent en œuvre les architectes arméniens. Mais il y a chez Vahramian un dépassement de l’arithmétique du constructeur. Il déforme et se joue des calligraphies persanes pour les sublimer. Il écrit à l’encre de Chine noire des noumènes. Il sait comment aller à l’essentiel.
Brancusi arrachait des idées à la matière. Vahramian se sert des encres pour révéler les idées. C’est la main qui pense avec un pinceau au bout des doigts !
Cette exposition historique à Erevan sous la commissariat de Nairi Khatchadourian révèle pour la première fois en Arménie une sélection de ses œuvres graphiques des années 1970-1980, réalisées à l’encre de Chine sur papier A4. Dans ces dessins d’une grande rigueur formelle, Vahramian interroge les notions d’ordre et de vide à travers le prisme de la tradition orientale. Une œuvre à découvrir jusqu'au 18 juillet, à la croisée de l’art, de la pensée diasporique et de l’avant-garde culturelle arménienne du 20ème siècle.