L'enseignant moderne: déclencheur d'intérêt

Arménie francophone
16.09.2019

Cela fait déjà quinze ans que le maître de conférences Stéphane Marion enseigne la stratégie financière, le plan d’affaires et l’entrepreneuriat à l’Université française en Arménie. Comment il vit son expérience ici en Arménie ? Quelles sont les différences entre les modes d’enseignement français et arménien ? Quels sont les défis de l’enseignement moderne? Stéphane Marion a accepté d’en parler au Courrier d’Erevan.

Par Anna Baghdassarian

Depuis 2004, Stéphane Marion vient enseigner quatre ou cinq semaines par an à l’Université française en Arménie. Maître de Conférences en sciences de gestion spécialité entrepreneuriat, il y enseigne la stratégie financière, le plan d’affaires et l’entrepreneuriat. « Je rencontre des étudiants qui sont déjà bien installés dans la vie professionnelle. Il y en a même qui enseignent à l’université. Donc c’est assez agréable de voir évoluer l’UFAR et de voir que cette expérience qu’on a lancée au début des années 2000 est plus pérennisée dans le temps et qu’elle a pu développer, d’une façon durable, les liens entre à la fois l’Arménie et la France, mais aussi entre l’UFAR et l’Université Jean Moulin Lyon 3 auquel j’appartiens »,-nous raconte Stéphane Marion.

Au cours de quinze années d’expérience en Arménie, il a identifié plusieurs différences et des écarts culturels entre les modes d’enseignement français et arménien. « Il faut s’adapter, car ils ne sont pas du tout le même. La première chose qui vous surprend quand vous êtes Français et quand vous arrivez en Arménie, c’est que les étudiants arméniens n’ont pas de cartables. Ils n’arrivent pas avec des livres, des cahiers, des stylos. Ils arrivent souvent avec uniquement leur cerveau, et en cours vous ne les voyez pas écrire, prendre des notes. En France, c’est impensable ! En France à un étudiant qui arrive au cours et qui ne fait rien pendant le cours, vous lui montrez la porte.  Ici si je fais ça, je n’ai plus d’étudiants.  La particularité, c’est qu’ici il y a une culture orale qui est très importante. Les gens fonctionnent beaucoup sur la mémorisation des choses. Donc, en 15 années d’Arménie j’ai commencé à m’adapter. Il faut faire en sorte que le cours puisse être assimilé, entendu par les étudiants. Sur mes présentations PowerPoints ici j’écris plus de choses qu’en France, car là, comme ils prennent beaucoup de notes, le PowerPoint n’est qu’un fil conducteur de mon propos »,-explique Stéphane Marion. Il souligne quand même qu’à l’UFAR nombreux sont les étudiants qui partent continuer leur master en France sans rencontrer aucun problème. «  Il faut donc accepter qu’ils apprennent autrement.  Ça, c’est vraiment de l’interculturel »,- ajoute le professeur.

Ce qui est aussi surprenant pour lui en Arménie, c’est la façon dont on évalue les étudiants. « D’habitude, c’est uniquement de connaître leur cours par cœur. Les professeurs essayent de comprendre s’ils l’ont appris par cœur.  En France on le fait beaucoup moins. On essaye de comprendre non pas si l’étudiant connaît par cœur son cours, mais s’il le maîtrise. C’est-à-dire, est-ce qu’il est capable de mettre en situation ce qu’on enseigne pendant le cours. Donc, au lieu de poser une question de cours, on va lui donner une étude de cas. Par exemple : vous avez cette situation d’entreprises devant vous. A partir des connaissances qu’on a développées au cours, comment vous pensez résoudre cette situation ? »,- précise Stéphane Marion,-« La culture de notation est vraiment très différente en Arménie et en France. Quand je mets un 14, je mets une bonne note. Ici on ne donne pas le même sens aux significations des notes. En France avoir son master avec 15 de moyenne, c’est déjà excellent tandis que souvent en Arménie pour avoir un diplôme dit « rouge » (mention « excellent », NDLR), il faut avoir un 18 de moyenne, ce qui est incroyable en France. Là, un étudiant qui a 18, j’en ai vu un ou deux tout au long de ma carrière ». Stéphane Marion trouve qu’il faut laisser toujours une marge de progression aux étudiants. « En France, on ne met pas 20 car 20 c’est réservé aux dieux, on ne met pas 19, car c’est réservée aux profs. Donc, quand on met 18, 19 c’est déjà extraordinaire », - souligne le professeur,- Au début j’avais tendance à critiquer ça, mais aujourd’hui, je crois qu’il faut accepter que ce sont des modalité différentes et qu’il ne faut pas donner la même valeur aux choses ». Il fait quand même remarquer que quelqu’un ayant un diplômé de master de l’UFAR avec de 15 moyenne, c’est un excellent étudiant.  Alors que sur le marché du travail arménien cela peut poser des problèmes d’interprétation…

En prenant en compte des particularités culturelles, Stéphane Marion a néanmoins gardé une approche assez française. Il pense que tout est déjà dans les livres, donc les étudiants doivent encore avoir une curiosité de lecture. Quant aux professeurs, ils doivent être un déclencheur d’intérêt : « Nous devons développer des éléments qui vont stimuler et intéresser les étudiants, mais ça ne sert à rien de redire ce qui est dans le livre. La problématique aujourd’hui c’est que les étudiants ne sont pas très grands lecteurs. Tout est dans leurs smartphones. L’enseignant d’aujourd’hui doit donner envie de découvrir une matière. Je donne des éléments clés aux étudiants pour qu’ensuite ils aient envie d’aller chercher des informations ailleurs, qu’ils aient envie de compléter leurs connaissances. Moi, ce que je demande à un étudiant c’est qu’ils soit curieux, c’est qu’il ne se contente pas de ce que le prof dit »,-explique le professeur.

Stéphane Marion est persuadé : le défi principal de l’enseignement moderne c’est d’intégrer les nouvelles technologies. Mais c’est également une vraie problématique pour les professeurs. « Pendant longtemps, le professeur ou l’enseignant diffusait des connaissances et des savoirs. Aujourd’hui, les connaissances et le savoir sont à la disposition de tout le monde. Il suffit de les chercher sur Internet. Tout le monde a accès à la connaissance, tout le monde a accès au savoir. Il suffit d’être un peu curieux et d’avoir un peu d’énergie pour ça. Donc le professeur ne peut pas, me semble-t-il, se contenter de répéter le savoir. Il doit être là pour pouvoir donner des perspectives à la connaissance. Il doit permettre à l’étudiant de voir comment utiliser la connaissance, qu’est ce qui peut poser des problèmes dans l’utilisation des connaissances. Il doit mettre en scène des connaissances pour que l'étudiant comprenne à quoi ça sert, quels sont les éléments de vigilance qu’il faut avoir, par rapport à la connaissance pour éviter de les utiliser « n’importe comment ».